Montréal,  4 mars 2000  /  No 57
 
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation, il a travaillé à la Banque du Canada puis pour le gouvernement du Québec. On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
OPINION
  
L'ÉTAT CONTRE LES CITOYENS
 
par Yvon Dionne
  
  
« La société, quelle qu'en soit la forme, est toujours 
un bienfait, mais le meilleur gouvernement n'est qu'un 
mal nécessaire et le plus mauvais un mal intolérable. »  
  
– Thomas Paine, Common Sense, 1776
 
          Le Québec est devenu une société d'« intervenants ». Si on les additionne tous, ils dépassent en nombre la population... L'ambition ultime semble être de devenir un intervenant dans le réseau de l'éducation, de la santé ou comme fonctionnaire ayant obtenu la permanence dans un ministère. « Les gens les plus importants dans la société, ce sont les employés de l'État. » C'est de Michel Chartrand lors d'une entrevue radiodiffusée le 24 février. 
  
          Tous les interventionnistes, qu'ils soient de gauche, du centre ou de la droite, même s'ils se battent entre eux, pensent en réalité la même chose: que l'on peut sacrifier les individus aux « intérêts » de la collectivité. Ainsi la coercition est utilisée par tous les interventionnistes; dans tous les cas, l'État est l'instrument de cette coercition. La seule différence réside dans l'ampleur de la coercition et la gravité de la peine pour les « contrevenants ». 
  
L'interventionnisme, pour ou contre? 
  
          Peut-on se fier à des politiciens et à leurs fonctionnaires (qu'ils soient avocats, médecins, policiers, etc.) pour décider pour nous de ce qui est bien et de ce qui est mal? Voilà le fond du problème: la libération de l'homme passe par la libération des individus et non pas, comme le dit la gauche, par plus d'intervention de l'État. Les alibis les plus répandus aujourd'hui de l'interventionnisme sont le chômage, la santé publique, la sécurité publique et l'argument de l'équité, lequel est utilisé sans nuances pour justifier le harcèlement fiscal. 
  
          Pour avoir voulu « créer des emplois », le Québec a le plus haut taux de taxation après Terre-Neuve. Et on n'est pas « sorti du bois » malgré les baisses d'impôt qui seront distribuées au compte-gouttes par le ministre Bernard Landry. En effet, les calculs de son propre ministère montrent que nous serons encore loin derrière dans cinq ans. Le coût de la santé publique sert couramment d'argument pour imposer de nouvelles contraintes (casque à vélo, législation antifumeurs, etc.). 
  
          Malgré son incapacité à nous protéger contre les criminels, le gouvernement maintient une législation abusive sur les armes dites à autorisation restreinte et a étendu cette législation aux armes de chasse, faisant potentiellement des millions de Canadiens et Québécois propriétaires d'armes de chasse des criminels en puissance. Qui plus est, par cette législation le gouvernement confie à des policiers le soin de juger si les propriétaires d'armes à feu sont potentiellement dangereux, pour des raisons aussi douteuses qu'une simple mésentente avec sa conjointe. Évidemment, les médias donnent beaucoup de publicité aux déclarations du lobby contre les armes à feu, sans les approfondir, lobby que les gouvernements subventionnent à même nos taxes. 
  
          Quand j'ai commencé à travailler au gouvernement du Québec il y a près de trente ans, il ne m'a pas fallu beaucoup de temps pour comprendre que l'interventionnisme conduisait à un cul-de-sac et que la priorité doit être accordée à la liberté de choix des individus, sans pourtant nier que l'État doit intervenir dans les domaines où le secteur privé ne peut pas remplir pleinement son rôle. Je me suis alors seulement posé la question suivante: si toute la société était un grand ministère comme celui où je travaille, qu'est-ce que ça donnerait? La réponse: un véritable bordel d'inefficacité et de contraintes à grande échelle où toute la population serait occupée non pas à travailler et à avoir du plaisir, mais plutôt à décortiquer les règlements, à apprendre comment s'y conformer et à remplir des formulaires d'autorisation... De plus, on m'aurait sûrement mis au ban de cette société, sinon emprisonné, parce que je suis « trop » individualiste. 
  
  
     « Dans les pays où les individus ont le pouvoir et où le pouvoir de l'État est limité, la liberté de pensée est florissante, et aussi l'initiative sur le plan économique. »  
 
 
          Ceci m'amène à un éditorial du Soleil Collégial du 10 février (un supplément du quotidien Le Soleil). C'est signé par un étudiant au Cégep de Sainte-Foy. Je cite son dernier paragraphe:  
          Il faut cesser de se camoufler derrière de grands principes de liberté individuelle quand on connaît, avec une certitude incontestable, les méfaits du tabac. Les États doivent prendre leur courage à deux mains et continuer le combat. Les Nazis ont été innovateurs dans le domaine, en mettant eux-mêmes en place une loi interdisant de fumer dans les lieux publics. Peut-être devrait-on cesser de craindre tout ce qui se rapproche de près ou de loin au fascisme (c'est l'un des arguments démagogiques abusivement utilisé) et tirer l'évidente conclusion que les États se doivent de faire en sorte de sauvegarder la santé de leurs citoyens.
C.Q.F.D. 
  
          J'aurais pu faire cliquer sur une « musique » de parade des SS (les Schutzstaffel) en format MP3 mais je réserve l'espace qui m'est alloué à d'autres fins... Hitler ne fumait pas et ne prenait pas d'alcool. Mais c'était aussi un psychopathe. Bien sûr il n'y a pas de relation de cause à effet. Je réponds à cet étudiant, en espérant qu'il approfondisse ses connaissances, par ces paroles du comte Yorck von Wartenburg prononcées devant le sinistre Freisler, procureur du Reich (Hitler a dit de Freisler: c'est notre Vichinsky): « Ce qui est à la source de toutes ces questions, a-t-il dit, c'est le pouvoir totalitaire de l'État sur l'individu. » Wartenburg a été pendu avec d'autres à un crochet de boucherie le 8 août 1944 par les bourreaux nazis. Le tout a été filmé sur les ordres de Goebbels. 
  
Liberté de pensée et liberté tout court 
 
          Un correspondant m'écrit que j'ai tort d'appuyer le Québécois Libre (voir LA PENSÉE SCLÉROSÉE, Courrier des lecteurs, le QL, no 56) car ce groupe défend non pas la liberté de pensée ou de conscience mais la liberté de propriété. Bon. Primo, je me sens relativement à l'aise avec des gens qui défendent la liberté des individus car sans doute défendent-ils aussi la mienne. Secundo, peut-il y avoir des individus libres de penser dans une société qui n'est pas libre sur le plan économique, où les décisions économiques sont centralisées? Les régimes communistes ont fait la preuve du contraire. 
 
          De plus, historiquement, dans tous les pays où la liberté de pensée a été restreinte et réprimée, c'est que des groupes d'intérêts (religieux ou d'autres idéologies) se sont accaparé de l'État pour s'en servir à leurs fins propres. Dans les pays où les individus ont le pouvoir et où le pouvoir de l'État est limité, la liberté de pensée est florissante, et aussi l'initiative sur le plan économique. Quant au droit de propriété, droit qui n'est pas reconnu par la Constitution canadienne mais qui l'est dans la Déclaration des droits de l'homme des Nations-Unies, sans doute que la valeur d'un Être ne doit pas être mesurée à son Avoir mais, néanmoins, la propriété est un facteur essentiel à la prise de décision économique. Plus la propriété est répartie, plus il y a de décideurs. 
 
          Prenons seulement l'exemple de l'exploitation forestière sur les terres publiques. Je ne discuterai pas du diagnostic du film L'erreur boréale de Richard Desjardins (comme plusieurs, j'ai bien aimé son film) mais plutôt de la solution qu'il propose: une meilleure réglementation. Or, quelle que soit la réglementation gouvernementale les exploitants forestiers ne seront jamais réellement intéressés et motivés à assurer le renouvellement de la ressource à moins d'en être le propriétaire. Nous ne vivons pas dans un monde idéalisé où tous les gens viseraient gratuitement à l'atteinte d'un bien-être optimal pour tous; le résultat est plus certain s'il en va de leurs intérêts. Le choix est donc entre les incitatifs économiques et les contraintes gouvernementales. Or, j'ai choisi. 
 
 
 
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