Montréal, 1er avril 2000  /  No 59
 
 
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Pierre Desrochers est Senior Research Fellow (Urban Studies) à l'Institute for Policy Studies de l'Université Johns Hopkins à Baltimore 
 
LE MARCHÉ LIBRE
 
LE MYTHE DES UNIVERSITÉS
AMÉRICAINES INACCESSIBLES 
 
par Pierre Desrochers
  
  
          L'un des mythes les plus répandus dans la Belle Province est que le coût de l'éducation dans les universités américaines est inabordable pour l'immense majorité des étudiants et que seule une petite minorité de riches accèdent aux études supérieures. Des frais annuels variant entre 12 000$ US (pour certaines universités publiques) et 30 000$ (pour certaines institutions privées) ont évidemment de quoi faire frémir les étudiants québécois. La situation est toutefois plus complexe, notamment en raison de la diversité du système d'enseignement supérieur américain.
 
          Je vais donc expliquer brièvement pourquoi le coût de l'éducation est aussi élevé aux États-Unis, mais également pourquoi la situation des étudiants américains est loin d'être aussi dramatique qu'on pourrait le croire en regardant les seuls coûts d'inscription.  
  
Financement publique et explosion des coûts 
  
          L'enseignement supérieur est l'un des secteurs de l'économie américaine où les coûts ont littéralement explosé au cours des dernières décennies. Comme le remarque l'économiste Richard Vedder, le coût d'une année de formation doctorale à l'université Northwestern (Chicago), une institution privée, était de 795 $ en 1958, soit l'équivalent de deux mois du salaire moyen américain brut. La même formation coûtait en 1998 plus 22 392 $, soit l'équivalent de près de la moitié du salaire moyen brut annuel. Bien que moins spectaculaire, la hausse des coûts dans les universités publiques américaines au cours des quinze dernières années a été de plus 195%, tandis que l'indice du coût de la vie dans la même période n'augmentait que de 63%. 
  
          Le problème, selon Vedder, c'est que l'intervention publique massive des dernières années a complètement bouleversé la dynamique des universités américaines. La charge de travail des enseignants a ainsi été réduite de façon dramatique pour leur permettre de faire davantage de recherche, même si la majorité d'entre eux ne produiront jamais rien de bien original. Un professeur dans une institution publique de bonne qualité consacre ainsi moins de 250 heures par années à l'enseignement (incluant la préparation des cours, la correction des travaux et des examens et la direction de recherche), tandis que le fardeau de son collègue dans une institution moyenne ne dépasse guère 650 heures. 
  
          L'augmentation du personnel non-enseignant, que ce soit pour administrer des programmes de discrimination positive ou pour d'autres exigences gouvernementales, a également été considérable. Le ratio « administrateurs/étudiants » est ainsi passé de 35,1 pour 1000 en 1976 à 51,4 pour 1000 en 1993. La proportion d'enseignants dans les universités américaines est aujourd'hui de moins de 35% du personnel salarié. Le gouvernement fédéral a beau augmenter les subventions, elles ne suffisent pas pour compenser l'allégement de la charge de travail. Malgré tous ces déboires, la situation de l'étudiant américain moyen est néanmoins loin d'être aussi dramatique que les leaders étudiants québécois le laissent croire. 
  
La situation américaine en perspective 
  
          Bien que diplômé récent d'institutions québécoises, j'ai eu l'occasion depuis 1992 d'étudier et d'effectuer des stages prolongés (au moins un semestre) dans diverses universités hors de la province. Pour faire la liste: Carleton (Ottawa), Toulouse-Le Mirail (Toulouse, France), George Mason (Fairfax, Virginie), Auburn (Auburn, Alabama), Montana State (Bozeman, Montana) et Johns Hopkins (Baltimore, Maryland). J'ai donc vécu tous les extrêmes, de la « gratuité » française aux coûts en apparence exhorbitants de l'une des 10 plus prestigieuses universités privées américaines.  
  
  
     « L'intervention publique massive des dernières années a complètement bouleversé la dynamique des universités américaines. Aujourd'hui, la proportion d'enseignants dans les universités américaines est de moins de 35% du personnel salarié. » 
 
  
          Or, s'il y a une chose qui saute rapidement aux yeux, c'est que les étudiants les plus mal pris (et de loin) sont nos cousins de l'Hexagone. L'université a beau être gratuite en France, les Français en ont vraiment pour leur argent. Des bâtiments décrépis, des auditoriums surpeuplés, des bibliothèques médiocres et remplies de fonctionnaires déplaisants, un accès pratiquement nul aux professeurs... qui sont par ailleurs de véritables fonctionnaires indélogeables.  
  
          La situation des étudiants américains est nettement meilleure, surtout pour les plus méritants. Sans entrer dans les détails, le nombre des bourses et des emplois académiques d'appoint (même pour les étudiants de baccalauréat) est tout simplement incroyable pour quelqu'un issu du système québécois. Il n'est d'ailleurs pas rare que dans certaines institutions privées plus de 90% des étudiants de premier cycle bénéficient d'une aide financière importante. On les paie également beaucoup mieux qu'au Québec pour des emplois d'appoint non-académiques (travail à la cafétéria, entretien d'équipements simples, etc.).  
  
          De plus, la situation de l'emploi temporaire pour les étudiants hors des institutions d'enseignement (et pas seulement chez McDonald's) est incroyablement plus favorable que pour les étudiants québécois, même dans un État pauvre comme le Montana. L'Université Auburn, perdue au milieu de nulle part en Alabama, compte ainsi un parc industriel ayant attiré plusieurs entreprises qui bénéficient d'une main-d'oeuvre flexible et motivée. On doit finalement tenir compte de la disponibilité de bourses parfois importantes distribuées par des fondations, des églises et autres oeuvres de charité. 
  
          La situation des étudiants gradués est encore plus intéressante. Il y a maintenant plus de 5 ans que je fréquente des dizaines d'étudiants de niveau supérieur aux États-Unis, et je n'en ai pas rencontré un qui doit débourser plus de 3000$ ou 4000$ de sa poche annuellement. Le motto de la plupart de mes amis est: « J'ai été dans l'institution qui m'offre les meilleures conditions. » Un des mes amis, professeur d'économie dans une université publique, conseille ainsi aux étudiants de ne pas investir un sous dans leur formation doctorale, car ils n'en reverront jamais la couleur. Il tient pour acquis que quiconque est un peu compétent dans le domaine va se faire donner une formation gratuite quelque part.  
  
Des réformes nécessaires 
  
          La situation des étudiants américains n'est évidemment pas parfaite, mais elle est loin d'être aussi dramatique que ce qu'on nous fait croire au Québec. En fait, même le plus pauvre des étudiants américains peut obtenir une formation convenable s'il est prêt à endurer les quelques heures d'entraînement mensuelles requises par les forces de réserve de l'armée américaine – et il peut évidemment joindre l'Army, la Navy et l'Air Force sur une base régulière.  
  
          De plus, plusieurs institutions convenables suggèrent à leurs étudiants de suivre leurs « cours bidons » (science politique, sociologie, etc.) pendant deux ans pour trois fois rien dans un Community College avant de s'inscrire à des cours plus sérieux en finance ou en ingénierie. De plus, comme je l'ai souligné dans une chronique précédente (voir LES CLICHÉS DU MODÈLE QUÉBÉCOIS, le QL, no 53), plusieurs entrepreneurs ont créé depuis quelques années des alternatives privées à but lucratif donnant une formation de qualité pour une fraction du coût des universités traditionnelles. 
  
          Certains étudiants québécois auraient intérêt à sortir plus souvent de leur paroisse avant d'écrire ou de dire n'importe quoi sur ce qui se passe aux États-Unis. 
 
 
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