Montréal, 15 avril 2000  /  No 60
 
 
<< page précédente 
 
 
 
 
Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation, il a travaillé à la Banque du Canada puis pour le gouvernement du Québec. On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
OPINION
  
LE REVENU DE CITOYENNETÉ,
BONNE OU MAUVAISE IDÉE?
 
par Yvon Dionne
  
  
          Un lecteurs du QL, Dominic Claveau, s'en prend vertement à Brigitte Pellerin et se déclare un admirateur inconditionnel d'un « projet de société », le revenu de citoyenneté (voir Courrier des lecteurs, HLM BLUES: AUCUNE NUANCE, le QL, no 59). Il écrit:
 
          Ainsi, un test: avez-vous lu Manifeste pour un revenu de citoyenneté de Michel Chartrand et Michel Bernard? Si oui, écrivez donc un texte pour critiquer les idées qui y sont proposées. Et surtout: pourquoi les solutions envisagées sont mauvaises. Car j'ai lu et je dois avouer que je suis d'accord avec tout ce que j'ai lu de la première lettre à la dernière. Mais je ne suis pas du genre à avoir des idées préconçues tel un membre de secte lobotomisé. Je suis de gauche, j'avoue, mais j'aime bien avoir des idées contradictoires et bien défendues pour éclairer ma vision des choses... Alors vous, chère « Québécoise Libre », dites-moi en quoi un principe de gauche, comme par exemple le revenu de citoyenneté (ou un autre) serais mauvais et proposez donc des solutions alternatives...
          Permettez-moi d'offrir un bout de réponse. 
  
Dans les faits... 
  
          En janvier, la revue L'Action nationale a publié un texte sur « Le revenu de citoyenneté, un projet pour le Québec », par MM. Michel Bernard et Michel Chartrand; en février, la même revue publiait Un Québec sans pauvreté et une loi-cadre pour rêver logique de Vivian Labrie du « Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté » (regroupant principalement des syndicats). Les deux propositions se ressemblent pour ce qui est du revenu minimum garanti mais la « loi-cadre » comprend une série d'autres mesures de soutien des « pauvres ». Elles se ressemblent aussi par leur absence d'un examen sous-jacent des causes de la pauvreté, dont la définition est toujours relative, par leur naïveté et par leur insouciance face aux coûts monétaires et économiques que toutes ces mesures dites sociales peuvent représenter. « D'l'argent, y en a en masse! » (Michel Chartrand). 

          De telles propositions, dans des pays comme le Mozambique, seraient clairement irréalisables. Leurs pauvres ne seraient pas plus riches avec l'instauration de telles mesures alors qu'ici, tout le monde risque d'être plus pauvre qu'auparavant. Les écarts de richesse frappent plus l'imagination qu'une pauvreté généralisée. Il y a des pauvres qui le sont devenus de causes naturelles ou accidentelles, d'autres n'ont pas été favorisés par leur situation sociale mais ils ont quand même leur part de responsabilité.  
  
          Si, comme le dit l'article, 31,3% des bénéficiaires de l'aide sociale en 1998 sont des femmes seules avec enfants, comment peut-on dire que la société est responsable de leur situation sociale? Par contre les écarts héréditaires de richesse, le fait d'être né de parents financièrement à l'aise ou de parents pauvres, font varier les possibilités d'avancement dans l'échelle sociale (toutes choses étant égales par ailleurs). 
 

  
     « Si 31,3% des bénéficiaires de l'aide sociale en 1998 sont des femmes seules avec enfants, comment peut-on dire que la société est responsable de leur situation sociale? »  
 
 
          Ces propositions s'inspirent quelque peu du vieux rêve communiste « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins », sauf qu'entre-temps il leur faut un État passablement coercitif pour décider des besoins de la population et obliger chacun à produire selon ses capacités, sans être nécessairement rémunéré en conséquence... 
 
Dans l'application... 
 
          Qui recevra le revenu de citoyenneté (RC)? « Le RC sera distribué à tous les citoyens du Québec et le montant en sera égal pour tous. » Tous les citoyens, cela comprend les enfants, toute personne à domicile, les étudiants, les criminels, etc. Le RC remplacerait plusieurs programmes d'assurance sociale (en tout ou en partie, comme les prestations de la Régie des rentes), d'assistance sociale (ex.: les allocations familiales), et plusieurs mesures fiscales tant fédérales que provinciales. « La définition de l'égalité que nous retenons est l'égalité face aux biens premiers. » Cette égalité est purement théorique. Un enfant n'a pas les mêmes besoins qu'un adulte, etc. Quand on naît, il est totalement faux que la société a le devoir de pourvoir à nos besoins! 

          Quels sont ces « biens premiers »? « Aucun Québécois ne devrait être inquiet face à ce que la vie physique commande: la nourriture, le vêtement, le logement décent, les soins de santé, la sécurité suite à la vieillesse, la sûreté, etc. Personne ne devrait être privé des biens sociaux comme l'éducation, qui est un bien nécessaire à la vie digne et à l'égalité des chances dans l'accès à tous les postes dans la société, dans l'exercice de la liberté politique, l'accès à la culture, etc. » 

          Qui va payer pour tout ça? Ceux qui travaillent bien sûr. Mais combien en restera-t-il? Le montant du RC n'est pas estimé par les auteurs mais on voit que la définition de « biens premiers » à satisfaire est très extensible. Les « etc » sont révélateurs... J'ai bien lu que le RC serait d'abord versé à tous les citoyens et ensuite remboursé (en tout ou en partie) par ceux qui n'en ont pas besoin. Pauvres de tous les pays, émigrez au Québec! Tout ça rappelle le dividende national du Crédit social payé en faisant marcher « la planche à billets » de la Banque du Canada... Sauf que maintenant, au lieu de l'inflation ce sont les taxes qui vont financer le tout. 

          Par ailleurs, le parti de l'Action démocratique propose un « grand ménage » dans les programmes d'aide sociale pour les remplacer par un revenu minimum conditionnel à la réintégration au travail. Voilà qui est faisable et moins coûteux que la situation actuelle. Irait-on jusqu'à l'instauration d'un impôt négatif comme le proposait Milton Friedman? 
  
          Toutes ces propositions devraient répondre à la question suivante: doit-on aider les pauvres à survivre ou devrait-on plutôt les aider à se sortir de leur pauvreté? Il y a des personnes (et même des pays, pour ce qui est de l'aide internationale) qui vont toujours dépendre de l'assistance sociale parce qu'elles y ont été habituées. L'assistance sociale devient alors un dû sans obligation de la part du bénéficiaire. L'aide ressemble alors au fonctionnement d'une vis sans fin. 
 
 
 

 
<< retour au sommaire
PRÉSENT NUMÉRO