1. Vous
dite que la philosophie libertarienne prône la liberté des
individus dans les échanges sociaux... On ne peut évidemment
pas être contre la liberté individuelle... Mais en quoi des
principes de redistribution de richesses viennent-ils brimer cette liberté?
Liberté individuelle rime-t-elle nécessairement avec accumulation
de richesses? Si, sans intervention de l'État, le travailleur au
bas de l'échelle est contraint à travailler 90 heures par
semaines pour un salaire ridicule, est-il « libre »?
Surtout... libre de s'en sortir?
2. Un
gouvernement libertarien va cesser d'intervenir dans les domaines «
où il n'aurait jamais dû intervenir »
(cf. LE BUDGET DE L'AN
1 LIBERTARIEN, le QL, no
59). Moi on m'a appris, peut-être à tort, je vous le demande
Monsieur Masse, que c'est grâce à l'intervention de l'État
québécois lors de la Révolution tranquille (nationalisation
de l'Hydro-Québec, création de la SGF, Caisse de Dépôt)
que les Québécois francophones ont pu (enfin!) prendre les
rênes de l'économie québécoise qui était
contrôlée par l'establishment anglo-saxon depuis l'époque
du Bas-Canada... Qu'avez-vous à répondre à mes profs
d'histoire Monsieur?
3. Et
dans un monde « libre »... Les consommateurs eux
sont-ils libres? Les fusions et les acquisitions qui créent des
espèces de monstres, de méga-compagnies presque aussi puissantes
que des États... vont-elles être garantes de cette liberté
individuelle? En quoi je suis libre si, lorsque je décide de m'acheter
un char, je n'ai plus le choix qu'entre deux, trois constructeurs? Et la
situation ne va pas en s'améliorant, en tous cas si on se fie à
ce qu'on lit dans les journaux. Bien sûr je ne crois pas tout...
Dominic
Claveau
Montréal
Réponse
de Martin Masse:
Monsieur
Claveau,
Vous êtes sans doute tombé sur les mauvais articles, nous
discutons sans cesse de ces sujets et la dernière chose que nous
tentons de faire est de les éviter!
1. Pourquoi
la redistribution de la richesse brime-t-elle la liberté?
Parce qu'elle se fait de façon coercitive, sans laisser le choix
à ceux qui « donnent » et donc sans leur
laisser la liberté de disposer eux-mêmes de leur propriété.
Je vous suggère de regarder la chose de la façon suivante.
Au Québec, les impôts et diverses taxes enlèvent en
gros la moitié du salaire de ceux qui travaillent. Vous n'avez PAS
LE DROIT de travailler, de subvenir à vos besoins et à ceux
de votre famille, sans payer ce dû à l'État. Donc,
vous êtes OBLIGÉ de travailler pour l'État jusqu'au
30 juin chaque année (le Tax Freedom Day ou Jour de délivrance
fiscale) avant de pouvoir ensuite travailler pour vous-même le reste
de l'année. Pendant ces six premiers mois, êtes-vous libre?
Ou n'êtes-vous pas plutôt une sorte d'esclave temporaire? Le
mot esclave n'est pas trop fort. Si vous refusez cet esclavage temporaire,
vous êtes condamné à vivre sans revenu et en marge
de la société.
Évidemment, tout cet argent que nous envoyons au gouvernement ne
va pas à d'autres qui en ont moins. Vous me direz que le gouvernement
nous donne aussi des « services » comme l'éducation
et la santé. Mais la logique est bien sûr la même sur
ce plan comme sur tous les autres où l'État intervient. Pour
ne prendre que ce dernier secteur, l'État nous force à lui
payer une assurance-maladie, nous empêche d'en acheter une de quelqu'un
d'autre, et nous oblige à aller nous faire soigner dans ses hôpitaux
publics mal gérés. Êtes-vous libre lorsque vous devez
faire cela?
Vous dites qu'on ne peut pas être contre la liberté individuelle,
mais lorsqu'on appuie le vol « légal »
de la propriété individuelle et sa redistribution forcée
par l'entremise du pouvoir étatique, on ne peut pas être en
même temps pour la liberté individuelle. Il faut être
pour l'un ou pour l'autre, et les gauchistes devraient admettre qu'il n'ont
rien à faire de la liberté s'ils privilégient avant
tout la redistribution.
Libre
d'être cupide?
Non, liberté individuelle ne rime pas nécessairement avec
accumulation de richesse ou, comme on l'entend constamment dans la bouche
de ceux qui nous attaquent, avec égoïsme, cupidité,
élitisme bourgeois et mépris des plus pauvres. Liberté
individuelle rime avec liberté de choisir ce qu'on veut faire dans
la vie, tout simplement. On peut volontairement et librement décider
de mener une vie simple, de consacrer son temps à faire des choses
qui ne rapportent rien monétairement mais nous comblent autrement.
Je travaille à temps partiel parce qu'il faut bien payer un loyer
et vivre, mais je consacre aussi une partie importante de mon temps au
QL, qui ne rapporte pas un sou. Je pourrais sans doute faire plus
d'argent si je décidait de vivre autrement, mais ce n'est pas mon
but dans la vie pour le moment.
On peut toutefois noter que la plupart des gens préfèrent,
avec raison, avoir plus d'argent et de biens plutôt que d'en avoir
moins ou de ne pas en avoir du tout. Cela est parfaitement normal. La prospérité
permet à chacun d'avoir plus d'options, de choix, permet de mieux
vivre, a été un facteur de développement de la civilisation.
C'est en fait étrange de voir les gauchistes accuser d'une voix
les riches de ne penser qu'à accumuler la richesse, et d'une autre
voix les dénoncer parce qu'ils en gardent trop pour eux-mêmes
et n'en redistribuent pas assez. Pourquoi ceux qui en ont moins se plaignent-ils
de ne pas avoir assez d'argent et demandent-ils qu'on redistribue la richesse
à leur profit si accumuler de la richesse est une activité
si immorale?
« Vous êtes OBLIGÉ de travailler pour l'État
jusqu'au 30 juin chaque année avant de pouvoir ensuite travailler
pour vous-même le reste de l'année. Pendant ces six premiers
mois, êtes-vous libre? Ou n'êtes-vous pas plutôt une
sorte d'esclave temporaire? »
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Il n'y a rien de mal à vouloir être plus riche. La question
cruciale est: comment? Il y a deux façons d'obtenir de la richesse.
D'abord, en travaillant soi-même pour la produire; ensuite, en s'appropriant
celle des autres. La première est une activité productive,
fondée sur la responsabilité individuelle; la seconde, une
activité parasitique. L'économie de marché permet
à tous de travailler pour accumuler de la richesse pour eux-mêmes,
alors que les politiques de redistribution de l'État sont une façon
légale de voler le fruit du travail de certains pour le donner à
d'autres.
Et ce processus n'a pas de limite. Il n'y a aucune mesure objective du
niveau optimal de redistribution. À partir du moment où l'État
se mêle de savoir qui doit payer et qui mérite d'en profiter,
les institutions politiques perdent leur fonction première – qui
est de protéger nos droits – et deviennent un simple lieu d'arbitrage
où chacun cherche à payer le moins possible et à obtenir
la plus grosse part possible de la « tarte collective
». Voilà pourquoi l'État-providence, loin de
créer une société plus juste et « solidaire
» comme on nous le promettait, n'a fait qu'engendrer le cynisme,
le chacun-pour-soi, le je-m'en-foutisme. Ceux qui paient en ont ras le
bol d'entretenir de force des gens qui leur envient leur succès
et veulent en profiter sans trop d'effort, alors que ceux qui reçoivent
en veulent toujours plus et sont constamment désabusés des
promesses brisées et du fait qu'une « véritable
égalité » ne soit pas instaurée.
Sans intervention de l'État, personne n'est « contraint
», comme vous dites, à travailler 90 heures par semaine
pour presque rien. Au contraire, tout le monde est « libre
» de faire ou ne pas faire tous les efforts possibles pour
améliorer son sort dans une économie qui serait bien plus
dynamique et qui offrirait bien plus d'occasions et de moyens de s'enrichir
que ce n'est le cas présentement (voir, par exemple, IL
FAUT ABOLIR LE SALAIRE MINIMUM, le QL, no
50). Et sans intervention de l'État, il se trouvera aussi des
tas de gens VRAIMENT solidaires qui seront prêts à donner
volontairement et à aider ceux qui sont passés au travers
des mailles du filet malgré tout. Cette redistribution-là
sera le résultat d'un acte moral, pas la conséquence d'un
tordage de bras étatique. C'est la seule façon de redistribuer
la richesse qui soit compatible avec la liberté individuelle.
2. Il
y a tout un débat qui reprend sur l'héritage véritable
de la révolution tranquille, comme en font foi des publications,
colloques, séries d'articles dans les journaux, etc., ces dernières
semaines. La version qui veut que le Québec s'est modernisé
grâce à l'intervention de l'État est de plus en plus
battue en brèche. Je vous invite à lire notamment les articles
de notre collaborateur Jean-Luc Migué (LA
RÉVOLUTION TRANQUILLE, UN TOURNANT POUR LE PIRE,
le QL, no 56) ainsi que son livre récent
sur ce sujet. Vous pouvez aussi regarder en Realplayer un reportage
du Point à Radio-Canada sur la révolution tranquille, où
apparaissent des collaborateurs du QL.
3. La
quantité et la variété d'objets de consommation dans
notre société capitaliste moderne est phénoménale,
au point où des gauchistes dénoncent maintenant le fait que
les gens sont amenés à consommer des tas de choses dont ils
n'ont pas vraiment besoin. Il faudrait se brancher!
Les fusions très médiatisées des derniers mois touchent
des secteurs bien précis et limités: voitures, télécommunications,
entertainment de masse, alumineries. Ce sont des secteurs où il
faut en général des investissements énormes et où
le marketing et les ventes se font à l'échelle mondiale.
Les fusions permettent une rationalisation et ultimement une plus grande
productivité, c'est-à-dire de meilleurs produits à
meilleur prix, ce qui profite aux consommateurs. Si cette stratégie
ne marche pas, il y aura d'autres mouvements (de déconcentration),
comme il y en a toujours eu: dans une économie libre, les choses
changent toujours pour s'adapter aux demandes du marché.
Les seuls secteurs où votre liberté de consommateur est vraiment
diminuée sont les secteurs contrôlés par l'État,
où la compétition est interdite (ex.: vous n'avez pas le
choix d'un autre fournisseur d'électricité qu'Hydro-Québec).
Cela ne vous dérange donc pas? Si vous vous préoccupez de
votre liberté de consommateur, vous devriez vous attaquer aux monopoles
de l'État plutôt qu'aux marchés en constante évolution.
J'espère que ceci répond adéquatement à vos
questions.
M.
M. |