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Montréal, 15 avril 2000 / No 60 |
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par
Martin Masse
L'anarchisme est à la mode. Les opposants à l'Accord multilatéral sur les investissements et les manifestants contre l'Organisation mondiale du commerce à Seattle s'en réclamaient; les Il y a 25 ans, c'est le marxisme qui canalisait les pulsions contestataires des jeunes étudiants excités et les frustrations existentielles des écrivains ratés et des barbus en mal d'utopies. Mais la plupart de ceux qui manifestaient alors se sont trouvé de belles positions dans les universités, les syndicats et surtout la bureaucratie du secteur public, et ont depuis longtemps oublié leur volonté de changer le monde. Le monde tel qu'il est leur convient tout à fait, salaire et conditions de travail inclus, et c'est le corporatisme qui est devenu leur idéologie de prédilection. La nouvelle génération de paumés a donc constaté le chemin parcouru par les pseudo-révolutionnaires de la génération précédente et conclu qu'il ne suffit pas de s'attaquer au marché, aux L'anarchisme est l'idéologie tout indiquée pour ces déçus du système. Ce qui le distingue en effet officiellement des idéologies collectivistes plus conventionnelles que sont le communisme et le socialisme, c'est le scepticisme devant la capacité de l'État à mettre en place les structures de la société égalitaire parfaite. En plus de l'égalité, ils disent défendre, en théorie du moins, la liberté individuelle. |
Mais ne
nous trompons pas: les anarchistes sont tout sauf des libertariens. Leur
défense de la liberté est purement rhétorique et se
voit en fait contredite par tout le reste de leur philosophie. Ce sont
en réalité des communistes pressés. Comme Marx, ils
souhaitent ultimement l'instauration d'une société complètement
égalitaire, sans classe et sans État. Contrairement aux marxistes,
ils ne croient toutefois pas qu'on puisse y arriver en se soumettant à
une dictature du prolétariat et en permettant à une avant-garde
bureaucratique éclairée de planifier la production collective,
mais plutôt en démolissant le plus rapidement possible toutes
les institutions sociales, économiques et politiques qui entretiennent
l'oppression actuelle.
Tyrannie locale Dans un petit livre publié l'automne dernier avec pour titre simplement Anarchisme(1), le professeur Normand Baillargeon de l'UQAM (que certains ont pu lire jusqu'à récemment comme chroniqueur au Devoir) explique que les anarchistes veulent non seulement éliminer l'État, mais aussi le marché, la propriété privée, le salariat, le profit, ainsi que tout rapport hiérarchique dans les relations de travail. Par quoi tout cela serait-il remplacé? M. Baillargeon consacre quatre petites pages au modèle économique anarchiste, ce qui s'avère un bon reflet de ce que cette idéologie a à offrir sur ce plan. On a le choix: il y a d'abord les capotés qui prônent carrément l'abolition du travail et le La recette anarchiste mènerait, on s'en doute, à un effondrement économique mais aussi à un nouveau type de tyrannie collectiviste à saveur plus locale. Comment fait-on en effet pour calculer la quantité d'effort et de sacrifice consacrée par quelqu'un? Pire, comment peut-on faire ce type d'évaluation collectivement? Comment peut-on motiver les gens à accroître leur effort et leur quantité de travail tout en maintenant l'égalité de tous? Et comment maintenir l'égalité de tous sans obligatoirement réprimer ceux qui veulent en avoir plus, en faire plus, ceux qui sont plus actifs, brillants, dévoués à la tâche, inventifs, rapides, ambitieux? Comment assurer l'échange et la coopération lorsque rien ne nous appartient – la propriété privée a en effet été abolie – et lorsqu'il n'y a aucune façon simple et directe de déterminer si nous pourrons jouir du fruit de notre travail – Est-on libre lorsqu'on dépend constamment de l'accord des autres pour tout, lorsque chacun de nos actes nécessite une permission accordée par le groupe, aussi décentralisé soit-il? Comment peut-on être assez naïf pour croire que ces petits groupes ne seront pas contrôlés par des cliques qui s'arrogeront le pouvoir localement et qui en profiteront aux dépens des autres, tout comme les bureaucrates se transforment nécessairement en caste privilégiée dans les économies socialistes? On voit immédiatement à quel genre d'absurdité mènerait un tel arrangement en lisant cette citation de Kropotkine, après l'apologie que M. Baillargeon fait de la Nihilisme Oubliez tous les problèmes de gestion bien plus complexes que demande le maintien d'une économie qui peut nourrir six milliards d'humains, les anarchistes n'y comprennent rien et n'ont rien à offrir à ce chapitre. Comme les marxistes, ils n'ont même pas résolu les paradoxes les plus simples et les plus fondamentaux que soulève l'imposition d'un idéal égalitariste et communiste dans un contexte humain où les individus ont des aptitudes inégales, des besoins et des désirs variés, et ont une nature qui fait qu'ils se préoccupent en général d'abord de leur propre bien-être avant de penser à celui de la collectivité. Une façon simple de contourner ce problème de l'élaboration d'un modèle alternatif logique et cohérent est de nier sa pertinence et de s'en remettre à la pensée magique. C'est ce que défend par exemple Noam Chomsky, linguiste américain de renom et le plus connu des idéologues anarchistes contemporains, pour qui Cette attitude nihiliste résout bien des problèmes en effet. Dans une entrevue à l'hebdo culturel Ici qui a suivi la parution de son livre, Normand Baillargeon applique la même logique au problème du droit dans la société anarchiste: La grosse critique que l'on a fait aux anarchistes, c'est de dire que c'est utopique. À ce propos, les anarchistes avaient de bons arguments. Sur chacun des cas concrets, ils faisaient remarquer que la question présuppose la présence des institutions en place. Supprimez ces institutions et la plupart des problèmes que vous pensez avoir trouvés disparaissent. (...) Prenons par exemple la question du droit. On demande souvent aux anarchistes ce qu'ils comptent faire des criminels. La réponse traditionnelle des anarchistes c'est: examinons ce que l'on appelle crime. Or, quand on l'analyse on se rend compte qu'une part substantielle de ce que l'on appelle crime provient des institutions au sein desquelles nous vivons. On a des crimes économiques parce qu'il y a de la propriété privée; on a des crimes contre la personne parce que l'on a des inégalités épouvantables qui génèrent ça. Éliminons ces institutions-là et le problème que l'on croyait déceler aura pour une large part disparu(2).Simple comme bonjour! Dans une société anarchiste, les voisins plus pauvres de Violence Avec une telle logique, ce n'est pas un hasard si depuis ses origines au 19e siècle, le mouvement anarchiste a toujours eu une image de violence et de banditisme révolutionnaire. Comme nous l'explique M. Baillargeon, les théoriciens anarchistes On pourrait rajouter aussi émeutes, briques lancées dans les fenêtres, vols, attaques contre les personnes, et autres méfaits. Normand Baillargeon ne prône aucune de ces méthodes et dit déplorer Une de ces militantes ultragauchistes qui se réjouissait de voir tant de drapeau noirs et rouges lors de l'émeute, Martha Harnacker (voir Béquille de bronze, le QL, no 59), expliquait ainsi dans une lettre à La Presse qu'il y a une différence entre la violence des policiers, qui protègent
Les anarchistes entartistes professent une logique similaire. Car c'est bien de violence qu'il s'agit, lorsqu'on s'attaque à la personne physique de quelqu'un, qu'on le blesse ou non. Ces minables personnages tentent de se justifier en prétendant s'attaquer uniquement à l'ego de leurs victimes, en disant vouloir faire rire et démystifier le pouvoir de personnages importants de la politique et des affaires. Pour eux, l'intégrité physique n'a évidemment rien d'absolu, il s'agit simplement d'une autre invention des puissants pour se protéger et défendre leurs privilèges. Ils considèrent donc qu'il n'y a rien de répréhensible à la violer en leur envoyant des tartes à la crème au visag Irrationalisme réactionnaire Des entartistes de plusieurs pays et tout ce que la ville compte d'anarchistes se sont d'ailleurs réunis ces derniers jours à Montréal dans le cadre du L'un de ces terroristes du rire de passage au festival, le belge Robert Dehoux, a exprimé dans un bouquin qui traite de Comment survivrons-nous dans un tel monde? Pas de problème, Même vieille gauche étatiste On l'a dit, les anarchistes prétendent se distinguer de la gauche plus conventionnelle, social-démocrate, socialiste et communiste, par leur scepticisme envers toute forme de pouvoir, y compris le pouvoir politique et bureaucratique. À ce titre, ils se rapprochent d'une certaine manière des libertariens, par leur opposition de principe à la coercition étatique. Mais est-il vraiment nécessaire de leur trouver une case idéologique particulière, quelque part à mi-chemin entre les collectivistes étatistes et nous? Pas vraiment, puisqu'en bout de ligne, la différence entre gauche socialiste conventionnelle et gauche anarchiste iconoclaste ne tient pas à grand-chose. Le lecteur profane qui lirait les articles de Normand Baillargeon dans le Devoir et ailleurs mettrait beaucoup de temps à se rendre compte que l'auteur professe des idéaux anarchistes. Comme je lui ai souvent fait remarquer, on lit en effet dans ses écrits les mêmes dénonciations du Lorsqu'on constate par ailleurs que les bozos du Symfolium ont eux aussi, malgré leurs prétentions anarchistes, profité d'une subvention de Rassurons-nous donc. Malgré la mode actuelle, toute cette mise en scène idéologique n'est en réalité qu'une immense farce plate et ce n'est pas demain la veille qu'une philosophie radicale d'une telle nullité réussira à exercer une véritable influence. Et n'oublions pas, les anarchistes le savent, l'État a tendance à coopter les forces de changement à gauche. Les soixante-huitards aussi ont voulu trouver sous le pavé la plage mais ont finalement abouti dans les positions de pouvoir qu'ils dénonçaient. Et comme il reste des tas d'opportunités d'avancement dans les syndicats, les groupes communautaires subventionnés, les universités et la bureaucratie... 1. Éditions L'île de la tortue, 1999. À côté notamment de l'entartiste Benoît Foisy, qui comparaissait devant un juge il y a quelques jours pour avoir assailli le ministre Stéphane Dion, on retrouvera mon nom dans la liste des personnes remerciées par l'auteur. M. Baillargeon m 'a en effet demandé mon avis sur la section qui traite de laquelle il est évidemment en total désaccord. >> 2. Yves Schaëffner, « Le bonheur, c'est l'anar 3. Caroline Montpetit, « La vie avant le tra
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