Montréal, 13 mai 2000  /  No 62
 
 
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Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur
 
  
  
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     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.
 
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.
 
     Il s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.
 
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.
 
ÉDITORIAL
  
LA MONTÉE DE LA DROITE CANADIENNE
 
par Martin Masse
  
  
          Les changements de paradigme dominant prennent du temps à s'effectuer en politique. Ça fait 20 ans déjà que les gauchistes et les centristes mous sont sur la défensive au Canada et qu'ils nous mettent en garde contre une terrible « montée de la droite » qui ramènerait la barbarie et le « capitalisme sauvage ». Ce sont pourtant encore des australopithèques libéraux qui nous gouvernent et qui saupoudrent les fonds publics de façon éhontée sur tout ce qui bouge au pays.  
  
          En 1993, le Parti réformiste est devenu, quelques années seulement après sa fondation, le deuxième en importance au Canada anglais. Son programme proposait enfin une alternative radicale au consensus interventionniste canadien, maintenu aussi bien par les conservateurs que par les libéraux. Comme formation issue de l'Ouest et porteuse du ressentiment répandu dans cette région envers la domination du Canada central, le bilinguisme imposé et les magouilles constitutionnelles pour apaiser le nationalisme québécois, il gardait une image extrêmement négative ici, mais allait tout de même ouvrir un bureau montréalais une année plus tard. Son chef Preston Manning promettait d'apprendre enfin le français et de se mettre à l'écoute du reste du pays. Et la vision décentralisatrice des réformistes offrait une voie de sortie alternative après la défaite référendaire de 1995. 
  
          Comme on le sait, cet élan s'est brisé lors de l'élection de 1997, même si les réformistes sont alors devenus l'Opposition officielle à la Chambre des Communes. Conservateurs et réformistes ont une nouvelle fois divisé le vote de droite, la stratégie du parti envers le Québec s'est avérée désastreuse (voir LE PARTI RÉFORMISTE VS LE QUÉBEC, le QL, no 13), et on pouvait s'attendre il y a encore quelques mois à ce que les libéraux affrontent encore une fois une opposition divisée et reviennent au pouvoir pour un troisième mandat aux élections qui viendront probablement d'ici un an. 
 
          La transformation – essentiellement symbolique – du Parti réformiste en Alliance canadienne il y a deux mois, et surtout le déclenchement subséquent d'une course à la chefferie, sont toutefois venus tout bouleverser et ont relancé l'élan du mouvement créé à Vancouver en 1987. Comme je l'ai écrit à quelques reprises, seul le départ de Preston Manning et de la clique qui l'entoure pouvait provoquer ce déblocage. C'est, espérons-le, arrivé. Sommes-nous finalement à la veille d'une transition majeure dans la politique canadienne?  
  
Joe n'est plus dans le portrait 
  
          Preston Manning jouit encore d'un fort appui chez les réformistes de la première heure et il est trop tôt pour le donner perdant lorsque les votes seront comptés le 24 juin. Mais les candidatures du ministre albertain des Finances Stockwell Day et de l'organisateur ontarien Tom Long sont en voie de bouleverser l'échiquier politique canadien. Les deux hommes symbolisent la rupture enfin presque complète entre les partis conservateurs provinciaux et le Parti progressiste-conservateur fédéral, un parti en pleine déroute.  
  
          Au moment où cet article sera publié, le PC sera réuni en congrès à Québec, peut-être le dernier congrès important de sa longue histoire. Le parti connaît une hémorragie sans précédent depuis quelques semaines. Son membership est passé de 100 000 à 22 000 en dix-huit mois. Un troisième député a fait faux bond depuis les élections, André Harvey de Chicoutimi. Ses organisateurs et bailleurs de fonds le quittent pour rejoindre l'Alliance. D'ex-ministres de l'ère Mulroney font la même chose. Le premier ministre albertain Ralph Klein, qui était jusqu'ici toujours resté neutre dans ce combat fratricide à droite, a annoncé la semaine dernière qu'il avait finalement joint l'Alliance.  
  
          C'est la panique qui règne à l'interne. Le PC reste endetté jusqu'au cou, n'a aucun programme cohérent et son caucus est dominé par des députés gauchistes téteux de subventions de l'Atlantique. On donne des ultimatums au chef pour qu'il se fasse élire dans une élection partielle et qu'il intervienne plus souvent et fermement dans le débat politique. Et pendant que tout s'écroule autour de lui, l'inénarrable Joe Clark continue de prétendre que l'Alliance reste un phénomène marginal et que son parti est la seule alternative aux libéraux et est prêt à prendre le pouvoir aux prochaines élections. Quand on pense que cet épisode s'ajoute à ceux d'il y a 20 ans, alors qu'il perdait son poste de premier ministre puis de chef de parti à cause de son ineptitude politique, on ne peut qu'être abasourdi de voir à quel point la soif de pouvoir peut se manifester chez quelqu'un de façon aussi pathétique.  
  
          À moins que Preston Manning ne se succède à lui-même et ne reviennent une fois de plus freiner l'élan de son parti et donner un répit aux conservateurs, ce sont les derniers sursauts de vie du PC fédéral que l'on observe, et sa mort enlèvera un obstacle majeur au succès de l'Alliance canadienne. 
  
Tom ne parle pas français 
  
          Long et Day sont non seulement en train de drainer les forces vives du PC, ils ont aussi réussi, pour la première fois, à attirer un intérêt réel au Québec. Pas pour les mêmes raisons toutefois.  
  
          En tant qu'architecte de la « révolution du bon sens » et conseiller de Mike Harris, Tom Long a le gros avantage d'accrocher le wagon de la puissante machine conservatrice ontarienne à la locomotive de l'Alliance canadienne, une rattache importante pour le succès du parti dans la plus importante province du pays. Il exprime des idées claires et ne tournent pas autour du pot: il souhaite baisser les impôts, éliminer le saupoudrage de fonds publics et redonner au Canada sa compétitivité par rapport aux États-Unis. 
  
  
     « Quelqu'un qui croit pouvoir ignorer le quart de la population canadienne ne mérite pas de diriger un parti national, et n'est pas qualifié pour devenir premier ministre, quelles que soient ses autres mérites. »  
 
 
          Sauf que... Tom Long a l'air encore plus indifférent face au Québec et au français que ne l'est Manning, ce qui n'est pas peu dire. Tout comme l'avait fait l'ex-leader réformiste lorsqu'il est devenu chef de l'Opposition officielle un soir d'élection de 1997, Long n'a pas dit un seul mot de français lors du lancement de sa campagne, un moment symbolique s'il en est pour imposer une image et établir publiquement ses priorités. Il a balbutié en tout et pour tout quatre mots de français lors d'une visite dans le comté de Jean Chrétien, et offre les promesses d'ivrogne habituelles pour ce qui est de ses intentions à en apprendre plus, lorsqu'il aura le temps.  
  
          Certains de ses supporters discutent par ailleurs publiquement dans le Globe and Mail d'une stratégie qui verrait l'Alliance concentrer ses efforts sur le « nouveau Canada », comprenant l'Ouest et l'Ontario, et délaisser l'« ancien Canada », le Québec et l'Atlantique, les régions où un message idéologique conservateur n'aurait, paraît-il, aucune chance de passer. C'est bien sûr la même stratégie qu'avait adoptée le Parti réformiste aux dernières élections, alors qu'il tentait de consolider ses votes dans l'Ouest et de faire une percée en Ontario. 
  
          Ça ne valait vraiment pas la peine de transformer le Parti réformiste en Alliance canadienne et de déclencher une course au leadership s'il faut se retrouver avec la même stratégie porteuse de division et un autre chef plus jeune mais aussi étroit d'esprit et ignorant des divers aspects de la réalité de ce vaste pays. Quelqu'un qui croit pouvoir ignorer le quart de la population canadienne ne mérite pas de diriger un parti national et n'est pas qualifié pour devenir premier ministre, quelles que soient ses autres mérites. 
  
Stock n'est pas parfait 
  
          Stockwell Day n'est bien sûr pas le candidat parfait. D'un point de vue libertarien, de toute façon, le meilleur politicien, c'est pas de politicien du tout. Et la coalition de droite que représente l'Alliance contient toutes sortes d'éléments qui ne cadrent pas nécessairement avec les visées libertariennes: les populistes, traditionalistes religieux et affairistes ambitieux ont souvent plus tendance à se servir de l'État pour avancer leurs propres buts qu'à tenter d'en diminuer la taille et l'influence. 
  
          L'ex-trésorier albertain a passé les premiers jours de sa campagne à parler de religion et à s'interroger à voix haute sur le sexe des anges et sur les causes de l'homosexualité. Il est bien sûr tout à fait normal qu'il courtise les fondamentalistes religieux de la Bible Belt de l'Ouest, qui forment une partie importante de l'électorat de l'Alliance. Sauf que, d'un point de vue politique, ON S'EN FOUT de leur obsession de l'homosexualité et des autres périls sataniques qui menaceraient le Canada et le monde. Le rôle du gouvernement fédéral n'est pas de promouvoir les valeurs des fondamentalistes ni celles des militants gais, mais plutôt de garantir les mêmes droits individuels à tout le monde et de laisser chacun vivre selon ses propres valeurs.  
  
          M. Day a heureusement délaissé ces questions controversées et se concentre maintenant sur des sujets plus pertinents, tels la réduction du fardeau fiscal et le retrait du gouvernement fédéral des juridictions provinciales. Comme ministre des Finances de la province la moins taxée au Canada, et qui sera la première à instaurer un impôt à taux fixe dès janvier (voir L'IMPÔT À TAUX FIXE, le QL, no 33), il a certainement fait ses preuves sur le plan économique. Son intérêt réel pour le Québec, où il a passé une partie de sa jeunesse, et sa volonté de communiquer directement avec les francophones dans leur langue, qu'il maîtrise assez bien, sont des atouts essentiels pour enfin convaincre une partie des Québécois qu'il existe une troisième voie entre le séparatisme et le fédéralisme centralisateur.  
  
          Stockwell Day est albertain et ses appuis dans l'Ouest sont déjà assurés. Au contraire de Preston Manning, il est bien perçu en Ontario et en Atlantique, où il pourra faire oublier l'image négative du Parti réformiste. Enfin, il est le seul candidat bilingue et sensible à la réalité québécoise, le seul aussi qui a reçu l'appui de nombreuses personnalités issues des diverses familles politiques du Québec. Il s'avère le seul des trois principaux candidats au leadership de l'Alliance canadienne qui possède les qualités nécessaires pour rallier toutes les régions du pays et pour enfin déloger le régime libéral à Ottawa. 
 
 
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Le Québec libre des  nationalo-étatistes  
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
  
        « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »    

Alexis de Tocqueville   
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840) 

 
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