Montréal, 13 mai 2000  /  No 62
 
 
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Pierre Desrochers est Senior Research Fellow (Urban Studies) à l'Institute for Policy Studies de l'Université Johns Hopkins à Baltimore. 
 
LE MARCHÉ LIBRE
  
LE LIBÉRALISME ET 
LE DÉVELOPPEMENT DURABLE
 
par Pierre Desrochers
  
  
          Professeur au département des « sciences » de l'éducation de l'UQAM, ancien chroniqueur au Devoir et anarchiste convaincu, Normand Baillargeon répliquait récemment dans un autre cybermagazine (voir UNE POLÉMIQUE. RÉPONSE À MARTIN MASSE, Ao! Espaces de la parole, 16 avril 2000) à un éditorial de notre directeur sur l'anarchisme (voir L'ANARCHISME: ENTRE LA TYRANNIE LOCALE ET LA FOLIE RÉACTIONNAIRE, le QL, no 60).
 
          Monsieur Baillargeon – dont on sait qu'il a lu Noam Chomsky – se dit profondément indigné du « manque de charité » de Martin Masse qui présenterait sous un jour défavorable et dégradant les idées qu'il combat. M. Baillargeon, magnanime, associe par la suite le libéralisme à l'esclavage et à l'empoisonnement des pauvres du Tiers-Monde. 
 
          Je laisserai le soin à mon directeur de répliquer aux divagations de M. Baillargeon s'il le juge utile. Je voudrais toutefois revenir plus en détail sur la question du libéralisme et du développement durable, une problématique que j'ai déjà abordée à quelques reprises (voir notamment DÉRÉGLEMENTER N'EST QU'UNE PREMIÈRE ÉTAPE POUR VAINCRE LA POLLUTION, le QL, no 1; LA VÉRITÉ DES PRIX ET LE DÉVELOPPEMENT DURABLE, le QL, no 12; LES BOLCHÉVIKS DE L'ENVIRONNEMENT, le QL, no 36 & 37), mais qui semble totalement échapper à notre anarchiste subventionné. 
 
          Brièvement, M. Baillargeon soutient que la seule tentative de s'approcher d'un marché dérégulé a eu lieu en Grande-Bretagne au siècle dernier et que cela a abouti à une catastrophe. De plus, le marché conduit toujours à des externalités négatives, notamment la pollution. La réalité, c'est que la Grande-Bretagne au siècle dernier, comme toutes les sociétés dont l'économie repose sur l'initiative individuelle, le système des prix et les droits de propriété privée, correspond dans ses grandes lignes à l'idéal contemporain du développement durable. L'une des sources les plus intéressantes sur la question est un auteur aujourd'hui oublié, Peter Lund Simmonds. 
 
Peter Lund Simmonds, libéral et pionnier du développement durable 
 
          Peter Lund naquit en 1814 dans une famille pauvre de la ville danoise de Aarhus. Il est adopté quelques années plus tard par un lieutenant britannique de la Royal Navy, George Simmonds, sur le navire duquel il servira. Ses tribulations le mènent en Jamaïque où il acquiert une plantation entre 1831 et 1834. Il rentre en Angleterre par la suite et devient ce que l'on qualifierait aujourd'hui de journaliste scientifique, notamment au Mark Lane Express, au Colonial Magazine, au Globe, au Journal of the Society of Arts, au Technologist et au Journal of Applied Science. Il rédigera plusieurs ouvrages sur des sujets allant de l'agriculture tropicale à l'exploration de l'Arctique en passant par les produits de la mer. Sa contribution à la vie intellectuelle du dix-neuvième siècle sera suffisamment importante pour lui valoir le rang de Chevalier de la légion d'honneur française et de la Couronne d'Italie. Peter Lund Simmonds s'éteint en 1897 à la Charterhouse de Londres. 
 
          Les écrits scientifiques de Simmonds sont évidemment depuis longtemps dépassés. Il a toutefois laissé une masse importante de documents sur l'innovation technique et la récupération des déchets dans l'Angleterre victorienne qui sont aujourd'hui extrêmement utiles pour illustrer la « durabilité » d'une économie libérale (on me pardonnera de le citer abondamment dans sa langue d'origine). Simmonds remarque d'abord que dans une économie de marché, les producteurs n'ont d'autres choix que d'éliminer le plus possible les déchets: 
          Few among the minor tendencies of industries are more worthy of note than that shown in the utilization of waste materials. As competition becomes sharper, manufacturers have to look more closely to those items which may make the slight difference between profit and loss, and convert useless products into those possessed of commercial value, which is the most apt illustration of Franklin's motto that « a penny saved is twopence earned »: our manufacturers have not been slow to appreciate this truth, as is shown in more than one branch of trade. Wherever we turn we find that the most trivial things may be converted into gold, the refuse and lumber of one manufacture or workshop, is the raw material of another (Simmonds et collaborateurs, 1875: 4).
 
  
     « Peter Lund Simmonds n'avait rien du révolutionnaire destructeur ou utopiste qui fascine tant les gauchistes de salon ne comprenant rien au fonctionnement d'une économie de marché. Au contraire, toute son oeuvre a un but très simple: transmettre de l'information utile à ses congénères. » 
 
  
          Simmonds observe également que ce que l'on qualifie aujourd'hui de « symbiose industrielle, » i.e. des échanges de déchets entre entreprises où le rebut de l'une est la matière première de l'autre, est extrêmement répandue en Grande-Bretagne: « There are few great manufactures now which have not one of more of these dependent industries attached to them. These secondary products are all examples of one form of the utilization of waste » (idem). Il décrit également en détail l'efficacité des entreprises de son époque, notamment en observant que « modern science has pointed out the uses of many substances which were formerly regarded as offal, and thrown away; and the result is, that in England and on the Continent scarcely anything is entirely wasted » (Simmonds, 1876: 5). 
 
          Simmonds souligne aussi à plusieurs reprises l'efficacité des droits de propriété comme mécanisme de protection de l'environnement. Il offre ainsi l'exemple suivant dans l'industrie de l'abattage des animaux: 
          The first [method for abating nuisance] is now in operation in East Cambridge, at the extensive pork-packing establishment of Messrs. North, Meriam & Co. The blood and offal at this establishment had become such an offense to the neighbourhood, that the proprietors were threatened with a perpetual injunction. They have removed the cause of complaint by drying the entire refuse, including the blood. The parts that contains sufficient fat to be worth the operation are first treated in the rendering tank, the clean fat being converted into lard, and the refuse into grease and grease-oil. The scrap which is left, consisting of the bones of the head and feet, and considerable meat, is then thoroughly mixed with the blood, and dried (Simmonds, 1876: 39).
          Encore plus remarquable, Simmonds renvoie à plusieurs reprises à la métaphore de « l'écologie industrielle », que l'on présente aujourd'hui comme une nouvelle façon de promouvoir le développement durable (voir L'ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE: NOUVELLE THÉORIE, VIEUX PHÉNOMÈNE, le QL, no 15). Il observe ainsi que « civilized man, having discovered that "nothing is lost in nature," has been busy in devising fresh fields for the application of what had hitherto been abandoned as having served its purpose, and therefore been rendered worthless » (Simmonds, 1876: 10). Il ajoute également: 
          Utilisation is the great law of Nature, and we are only following her teaching. The air we inspire gives us life, the poison we expire gives life to plants. She, true to herself, is never at a loss what to do with any of her elements. Man, in an artificial state of society, and in an enlightened age, also provides for converting all the material he uses into useful purposes. There must be no loss of anything once within his grasp (idem, p. 10).
Le legs de Simmonds 
 
          Peter Lund Simmonds n'avait évidemment rien du révolutionnaire destructeur ou utopiste qui fascine tant les gauchistes de salon ne comprenant rien au fonctionnement d'une économie de marché. Au contraire, toute son oeuvre a un but très simple: transmettre de l'information utile à ses congénères. 
 
          Simmonds, dont l'oeuvre peut sans l'ombre d'un doute être qualifiée de libérale dans les valeurs qu'elle promeut, est aujourd'hui oublié. On réfère toutefois abondamment à Bakounine, Proudhon, Fourier et d'autres exaltés pour décrire la trame sociale du 19e siècle. On ne peut évidemment s'attendre d'un auteur comme Normand Baillargeon, qui ne se donne même pas la peine de lire honnêtement les auteurs libéraux contemporains, de faire une recherche sérieuse avant d'écrire n'importe quoi sur l'Angleterre victorienne. On pourrait toutefois l'inviter à ne plus jouer les vierges offensées dans ses écrits. 
 
 
Liste des principaux ouvrages de Peter Lund Simmonds sur l'économie et l'environnement: Waste Products and Undeveloped Substances: or, Hints for Enterprise in Neglected Fields, London, Robert Hardwicke,1862; Animal Products. Their Preparation, Commercial Uses, and Value, New York, Scribner, Welford and Armstrong,1875; Waste Products and Undeveloped Substances: A Synopsis of Progress during the Last Quarter of a Century at Home and Abroad, London, Hardwicke and Bogue,1876; (Peter Lund Simmonds and collaborators) Descriptive Catalogue of the Collection Illustrating the Utilization of Waste Products, London, George E. Eyre and William Spottiswoode for Her Majesty's Stationery Office,1875.
 
 
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