Au lendemain de l'annonce, Mario Roy de La Presse s'est réjouit
du fait que la ministre ait « résisté
à la tentation de créer une structure bureaucratique lourde
et coûteuse [et que] pour l'heure, le budget de l'Observatoire est
inférieur à un million de dollars [alors que] son fonctionnement
s'appuie sur des institutions déjà existantes: l'ISQ, le
CALQ et la SODEC. »(1)
Du même souffle, l'éditorialiste a souligné que les
« informations fiables et circonstanciées qui
manquent aujourd'hui cruellement au monde de la culture »
allaient enfin être chose du passé avec l'arrivée de
l'OCC. Structure légère, petit budget (tout est relatif)
c'est bien beau, mais si on se fie à l'insatiable appétit
des intervenants de la culture et l'importance qu'ils/elles attachent à
la « diversité culturelle » en cette ère
de globalisation, les données de base vont sûrement changer...
Qui
veut la fin veut les moyens
Selon le Petit Robert, l'observatoire est un « établissement
scientifique destiné aux observations astronomiques et météorologiques.
[Un] lieu élevé, favorable à l'observation ou aménagé
en poste d'observation. » Imaginez un tel bâtiment
juché sur le plus haut sommet de la province – à défaut
de lieux élevés, et pour le côté pratico-pratique
de la chose, imaginez-le surplombant le Mont-Royal à Montréal.
Des dizaines de bureaucrates de la culture y travaillent, un seul est installé
derrière l'immense télescope pivotant qui occupe l'essentiel
du plancher de ce haut lieu de la recherche.
L'oeil collé à la lunette d'approche, le bureaucrate de service
ne sonde pas les profondeurs de l'espace, il observe la société
québécoise. S'adressant à la responsable de l'entrée
de données: « Une citoyenne – 25 ans, célibataire
et sans-emploi selon le détecteur de statut – se procure le disque
Quatre saisons dans le désordre de Daniel Bélanger
au magasin Archambault de la rue Berri. Attendez... elle utilise un bon
d'achat « Achetez chez nous » pour
payer. Sur l'esplanade de la Place des Arts, plusieurs centaines de jeunes
assistent à un spectacle gratuit de la formation Groovy Aardvark
– 1500 selon l'indicateur de foule. Au Cinéma du Quartier Latin,
quelques dizaines de cinéphiles assistent à une représentation
du film La vie après l'amour – 23 selon l'indicateur de foule.
Toujours personne au rayon de la littérature québécoise
du Renaud-Bray de la Côte-des-Neiges... »
Le concept d'Observatoire de la culture et des communications n'est pas
neuf. Au Québec, l'idée rebondie périodiquement dans
le circuit de la consultation, de la commission et du sommet depuis plus
d'une dizaine d'années. Ses plus récentes apparitions ont
été décelées lors de la Commission de la culture
qui se déroulait dans la vieille capitale au début de l'année
(voir LE CONFORT DE LA DÉPENDANCE,
le QL, no 55).
« La seule raison d'être d'un Observatoire de la culture et
des communications est de justifier les constantes interventions du gouvernement
dans ces domaines et de donner un peu plus de poids aux nombreuses revendications
des gens du secteur. »
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Le député de Matane et président de la Commission,
Matthias Rioux, recommandait alors la mise sur pied d'un observatoire de
la culture parce que « ça nous a été
demandé et nous croyons que c'est justifié de le recommander
au gouvernement. Un observatoire de la culture qui non seulement va examiner
la réalité du milieu culturel, mais donner à cet instrument
une dimension prospective qui nous permettra de mieux développer,
de mieux investir et de mieux aussi favoriser la création.
»
Un autre député, François Beaulne, soulignait que
la création d'un tel observatoire apparaissait fort importante puisque
« avant de formuler des politiques, avant surtout de
les traduire en législation, il importe d'établir un diagnostic
aussi précis qu'il puisse être de la réalité
que vit le milieu culturel du Québec. [...] Cet observatoire, dans
notre esprit, viserait non seulement, dans un premier temps, à compiler
des statistiques sur la vie culturelle au Québec, mais, bien au-delà
de ça, à doter le gouvernement du Québec et l'ensemble
des intervenants concernés du Québec de ce que j'appellerais
des statistiques vivantes, c'est-à-dire d'un moyen d'évaluer
et d'apporter des correctifs nécessaires aux politiques gouvernementales,
des bonifications à ces politiques et même des innovations.
»
Le mois dernier, on pouvait retrouver le même genre de propos creux
dans le communiqué de presse qui accompagnait la nouvelle de la
création du bidule en question: « En confiant
à l'Institut de la statistique du Québec la recherche, la
production et la diffusion de statistiques sur la culture et les communications,
les partenaires qui oeuvrent dans ces domaines sont assurés de disposer
de données pertinentes, neutres, fiables et actuelles pour orienter
et soutenir leur action. » « Disposer »,
« orienter », « soutenir »
l'action des principaux partenaires... on entend déjà le
tintement des caisses enregistreuses.
La
fin justifie les moyens
On s'en doute, une fois l'OCC mis sur pied, ses haut statisticiens ne s'en
tiendront pas à la simple cueillette de données sur les habitudes
de consommation des Québécois. Déjà, plusieurs
suggestions de recherche ont été formulées à
l'Observatoire par les gens du milieu: « compiler des
données sur les conséquences du réseau internet sur
le développement de la culture, fournir des détails sur les
spectateurs qui fréquentent les spectacles au Québec, analyser
les besoins financiers de ceux qui vivent de la culture... »(2).
Pas difficile d'imaginer les conséquences d'une éventuelle
recherche qui démontrerait, chiffres à l'appui, qu'une très
grande majorité des artistes en art visuel vivent sous le seuil
de la pauvreté en région. Tout ce qui grouille d'intervenants
culturels de Saint-Meumeu à Pointe-Perdue descendraient dans la
rue (ou sur le rang, c'est selon) pour lancer de vibrants et urgents appels
à l'investissement – ça se fait déjà sans chiffres
alors... Pas surprenant que les choses aient évolué dans
cette direction. Il faut bien se donner des outils de travail adéquats!
Les gens du milieu disent que l'OCC permettra de mieux suivre «
collectivement » les hauts et (surtout) les bas de la culture
au Québec. Qu'il nous aidera à cibler les secteurs en difficulté
et prendre de façon éclairée les mesures qui s'imposent
pour faire en sorte de rétablir la situation. Consciemment ou inconsciemment
ces amants de la statistique évitent de nous dire que ces mesures
impliquent habituellement des « investissements »
de la part de l'État – pourquoi le feraient-ils, tout le monde dort
au gaz et les autres tiennent pour acquis que l'art ne peut s'épanouir
ici sans l'aide du gouvernement.
La ministre de la Culture de son côté, malgré l'existence
de nombreux organismes qui la conseillent déjà, dit ne pas
disposer de suffisamment d'informations « justes »
et « fiables » pour vérifier l'impact de
ses politiques et ultimement cerner les grandes tendances qui l'aideront
à mieux prévoir les besoins du milieu culturel. Mme Maltais
semble confiante qu'avec son nouveau bidule, elle pourra justement être
en mesure de cerner ces grandes tendances et peut-être même
les anticiper pour que l'art québécois rayonne ici comme
ailleurs pour le plus grand bénéfice de tous.
Bravo pour la confiance! Sauf que... si les entrepreneurs qui investissent
parfois de larges sommes de leur argent ne réussissent pas
à prévoir correctement l'évolution des tendances –
et qu'ils perdent souvent d'importantes mises –, rien n'indique que les
bureaucrates de la culture obtiendront de meilleurs résultats avec
notre argent. Parce que ces bureaucrates n'ont pas d'investissement
personnel, pas d'incitatif financier à réussir, et parce
qu'ils doivent suivre des règles rigides au lieu de s'adapter aux
conditions changeantes du marché, ils ont bien moins de chance de
prévoir quoi que ce soit. C'est le commerçant,
l'entrepreneur, l'artiste qui est le moindrement à l'écoute
de son public qui peut anticiper ces demandes et y répondre le mieux.
Ce sont les mécanismes du marché qui permettent le mieux
de cerner les besoins culturels des citoyens.
La seule raison d'être d'un Observatoire de la culture et des communications
est de justifier les constantes interventions du gouvernement dans ces
domaines et de donner un peu plus de poids aux nombreuses revendications
des gens du secteur. Sa seule utilité est de légitimer les
millions de dollars qu'à la demande de groupes de pression organisés
l'État prend chaque année dans nos poches pour les redistribuer
là où il le croit approprié.
1.
Mario Roy, « Mieux connaître pour mieux agir
», La Presse, 29 juin 2000, p. B2. >>
2.
Presse canadienne, « Québec crée un Observatoire
de la culture », La Presse, 28 juin, p.B8.
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