Montréal, 8 juillet 2000  /  No 64
 
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
  
OBSERVER POUR MIEUX DÉPENSER
 
par Gilles Guénette
  
  
         Le mois dernier, la ministre de la Culture et des Communications du Québec, Agnès Maltais, a annoncé la création de l'Observatoire de la culture et des communications (OCC), un organisme placé sous l'égide de l'Institut de la statistique du Québec (ISQ) qui aura pour mandat de compiler des données et des statistiques en matière de culture, produire des études et des sondages et tenir à jour la liste des entreprises, organismes et intervenants qui oeuvrent dans ces domaines.
 
          Au lendemain de l'annonce, Mario Roy de La Presse s'est réjouit du fait que la ministre ait « résisté à la tentation de créer une structure bureaucratique lourde et coûteuse [et que] pour l'heure, le budget de l'Observatoire est inférieur à un million de dollars [alors que] son fonctionnement s'appuie sur des institutions déjà existantes: l'ISQ, le CALQ et la SODEC. »(1) Du même souffle, l'éditorialiste a souligné que les « informations fiables et circonstanciées qui manquent aujourd'hui cruellement au monde de la culture » allaient enfin être chose du passé avec l'arrivée de l'OCC. Structure légère, petit budget (tout est relatif) c'est bien beau, mais si on se fie à l'insatiable appétit des intervenants de la culture et l'importance qu'ils/elles attachent à la « diversité culturelle » en cette ère de globalisation, les données de base vont sûrement changer... 

Qui veut la fin veut les moyens 

          Selon le Petit Robert, l'observatoire est un « établissement scientifique destiné aux observations astronomiques et météorologiques. [Un] lieu élevé, favorable à l'observation ou aménagé en poste d'observation. » Imaginez un tel bâtiment juché sur le plus haut sommet de la province – à défaut de lieux élevés, et pour le côté pratico-pratique de la chose, imaginez-le surplombant le Mont-Royal à Montréal. Des dizaines de bureaucrates de la culture y travaillent, un seul est installé derrière l'immense télescope pivotant qui occupe l'essentiel du plancher de ce haut lieu de la recherche. 

         L'oeil collé à la lunette d'approche, le bureaucrate de service ne sonde pas les profondeurs de l'espace, il observe la société québécoise. S'adressant à la responsable de l'entrée de données: « Une citoyenne – 25 ans, célibataire et sans-emploi selon le détecteur de statut – se procure le disque Quatre saisons dans le désordre de Daniel Bélanger au magasin Archambault de la rue Berri. Attendez... elle utilise un bon d'achat « Achetez chez nous » pour payer. Sur l'esplanade de la Place des Arts, plusieurs centaines de jeunes assistent à un spectacle gratuit de la formation Groovy Aardvark – 1500 selon l'indicateur de foule. Au Cinéma du Quartier Latin, quelques dizaines de cinéphiles assistent à une représentation du film La vie après l'amour – 23 selon l'indicateur de foule. Toujours personne au rayon de la littérature québécoise du Renaud-Bray de la Côte-des-Neiges... » 
  
          Le concept d'Observatoire de la culture et des communications n'est pas neuf. Au Québec, l'idée rebondie périodiquement dans le circuit de la consultation, de la commission et du sommet depuis plus d'une dizaine d'années. Ses plus récentes apparitions ont été décelées lors de la Commission de la culture qui se déroulait dans la vieille capitale au début de l'année (voir LE CONFORT DE LA DÉPENDANCE, le QL, no 55). 
 

 
     « La seule raison d'être d'un Observatoire de la culture et des communications est de justifier les constantes interventions du gouvernement dans ces domaines et de donner un peu plus de poids aux nombreuses revendications des gens du secteur. » 
 
 
          Le député de Matane et président de la Commission, Matthias Rioux, recommandait alors la mise sur pied d'un observatoire de la culture parce que « ça nous a été demandé et nous croyons que c'est justifié de le recommander au gouvernement. Un observatoire de la culture qui non seulement va examiner la réalité du milieu culturel, mais donner à cet instrument une dimension prospective qui nous permettra de mieux développer, de mieux investir et de mieux aussi favoriser la création. » 

          Un autre député, François Beaulne, soulignait que la création d'un tel observatoire apparaissait fort importante puisque « avant de formuler des politiques, avant surtout de les traduire en législation, il importe d'établir un diagnostic aussi précis qu'il puisse être de la réalité que vit le milieu culturel du Québec. [...] Cet observatoire, dans notre esprit, viserait non seulement, dans un premier temps, à compiler des statistiques sur la vie culturelle au Québec, mais, bien au-delà de ça, à doter le gouvernement du Québec et l'ensemble des intervenants concernés du Québec de ce que j'appellerais des statistiques vivantes, c'est-à-dire d'un moyen d'évaluer et d'apporter des correctifs nécessaires aux politiques gouvernementales, des bonifications à ces politiques et même des innovations. » 

          Le mois dernier, on pouvait retrouver le même genre de propos creux dans le communiqué de presse qui accompagnait la nouvelle de la création du bidule en question: « En confiant à l'Institut de la statistique du Québec la recherche, la production et la diffusion de statistiques sur la culture et les communications, les partenaires qui oeuvrent dans ces domaines sont assurés de disposer de données pertinentes, neutres, fiables et actuelles pour orienter et soutenir leur action. » « Disposer », « orienter », « soutenir » l'action des principaux partenaires... on entend déjà le tintement des caisses enregistreuses. 
  
La fin justifie les moyens 

          On s'en doute, une fois l'OCC mis sur pied, ses haut statisticiens ne s'en tiendront pas à la simple cueillette de données sur les habitudes de consommation des Québécois. Déjà, plusieurs suggestions de recherche ont été formulées à l'Observatoire par les gens du milieu: « compiler des données sur les conséquences du réseau internet sur le développement de la culture, fournir des détails sur les spectateurs qui fréquentent les spectacles au Québec, analyser les besoins financiers de ceux qui vivent de la culture... »(2) 

          Pas difficile d'imaginer les conséquences d'une éventuelle recherche qui démontrerait, chiffres à l'appui, qu'une très grande majorité des artistes en art visuel vivent sous le seuil de la pauvreté en région. Tout ce qui grouille d'intervenants culturels de Saint-Meumeu à Pointe-Perdue descendraient dans la rue (ou sur le rang, c'est selon) pour lancer de vibrants et urgents appels à l'investissement – ça se fait déjà sans chiffres alors... Pas surprenant que les choses aient évolué dans cette direction. Il faut bien se donner des outils de travail adéquats! 

          Les gens du milieu disent que l'OCC permettra de mieux suivre « collectivement » les hauts et (surtout) les bas de la culture au Québec. Qu'il nous aidera à cibler les secteurs en difficulté et prendre de façon éclairée les mesures qui s'imposent pour faire en sorte de rétablir la situation. Consciemment ou inconsciemment ces amants de la statistique évitent de nous dire que ces mesures impliquent habituellement des « investissements » de la part de l'État – pourquoi le feraient-ils, tout le monde dort au gaz et les autres tiennent pour acquis que l'art ne peut s'épanouir ici sans l'aide du gouvernement. 

          La ministre de la Culture de son côté, malgré l'existence de nombreux organismes qui la conseillent déjà, dit ne pas disposer de suffisamment d'informations « justes » et « fiables » pour vérifier l'impact de ses politiques et ultimement cerner les grandes tendances qui l'aideront à mieux prévoir les besoins du milieu culturel. Mme Maltais semble confiante qu'avec son nouveau bidule, elle pourra justement être en mesure de cerner ces grandes tendances et peut-être même les anticiper pour que l'art québécois rayonne ici comme ailleurs pour le plus grand bénéfice de tous.  

          Bravo pour la confiance! Sauf que... si les entrepreneurs qui investissent parfois de larges sommes de leur argent ne réussissent pas à prévoir correctement l'évolution des tendances – et qu'ils perdent souvent d'importantes mises –, rien n'indique que les bureaucrates de la culture obtiendront de meilleurs résultats avec notre argent. Parce que ces bureaucrates n'ont pas d'investissement personnel, pas d'incitatif financier à réussir, et parce qu'ils doivent suivre des règles rigides au lieu de s'adapter aux conditions changeantes du marché, ils ont bien moins de chance de prévoir quoi que ce soit. C'est le commerçant, l'entrepreneur, l'artiste qui est le moindrement à l'écoute de son public qui peut anticiper ces demandes et y répondre le mieux. Ce sont les mécanismes du marché qui permettent le mieux de cerner les besoins culturels des citoyens. 

          La seule raison d'être d'un Observatoire de la culture et des communications est de justifier les constantes interventions du gouvernement dans ces domaines et de donner un peu plus de poids aux nombreuses revendications des gens du secteur. Sa seule utilité est de légitimer les millions de dollars qu'à la demande de groupes de pression organisés l'État prend chaque année dans nos poches pour les redistribuer là où il le croit approprié. 
 
 
1. Mario Roy, « Mieux connaître pour mieux agir », La Presse, 29 juin 2000, p. B2.  >> 
2. Presse canadienne, « Québec crée un Observatoire de la culture », La Presse, 28 juin, p.B8.  >> 
 
 
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