Montréal,  5 février 2000  /  No 55
 
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
  
LE CONFORT DE LA DÉPENDANCE
 
par Gilles Guénette
  
 
          La Commission de la culture tient des audiences en ce moment à Québec pour faire le point sur l'intervention du gouvernement dans ce domaine et pour évaluer la performance des deux organismes responsables de l'attribution des subventions. Les artistes, comme n'importe quel groupe de pression, s'y sont préparés et y participent activement.
 
          Le Mouvement pour les arts et lettres (MAL), qui regroupe huit organismes culturels, a dévoilé son Plaidoyer pour un soutien équitable et immédiat des arts et des lettres au Québec dans lequel il réclame un réinvestissement « massif » dans la culture alors que le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), un des organismes redistributeurs qui réclament une hausse budgétaire, a « investit » dans une série de rencontres à travers villes et villages dans le but d'aller se chercher des appuis dans sa quête pour plus de fonds.  
  
          Si le plaidoyer du MAL n'a rien de bien original à offrir – à part quelques phrases bidonnantes, d'autres pathétiques, c'est selon – (voir le Mot pour Mot), le Rapport des rencontres exploratoires inter-régionales et pluridisciplinaires avec les milieux artistiques et culturels du CALQ offre par contre un éclairage des plus révélateurs sur la psyché de l'artiste subventionné. 
  
Le MAL de vivre 
  
          Le rapport, vous vous en doutez, traite en grande partie de financement et de la situation « précaire » des artistes au Québec. Sa lecture nous fait découvrir un milieu hyper dépendant et terrorisé à la simple idée de prendre des initiatives. Les subordonnés de la culture ne se demandent même plus ce qu'ils pourraient faire pour améliorer leur sort, il se demandent ce que les autres – en l'occurrence, les différents paliers de gouvernements – pourraient faire pour eux. 
  
          À lire le rapport, on se demande comment la civilisation a bien pu se développer jusqu'à aujourd'hui sans l'aide des gouvernements. C'est que ça prend beaucoup d'expertise et d'argent pour maintenir un niveau culturel élevé – et heureusement, nos gouvernements ne manquent ni de l'une, ni de l'autre! Et ça prend énormément de détermination et d'imagination pour faire avancer les choses! – et ça... nos artistes en ont moins. 
  
 
     « Tels des assistés sociaux qui se trouvent constamment 56 000 défaites pour refuser l'emploi qui leur est offert, les artistes préfèrent se serrer les coudes et partager, dans la pauvreté, le confort de la dépendance. » 
 
 
          Car tout est difficile pour eux. Et pour pouvoir mieux affronter ce monde qu'ils décrivent comme étant toujours plus hostile (mondialisation, globalisation...), ils ont toujours besoin de plus de protections. Tels des assistés sociaux qui se trouvent constamment 56 000 défaites pour refuser l'emploi qui leur est offert (et continuer de recevoir, pénards, leur maigre chèque de l'État), les artistes préfèrent se serrer les coudes et partager, dans la pauvreté, le confort de la dépendance. 
  
          Un bon indicatif de cette dépendance est l'espace réservé à la question du financement privé de l'art dans le rapport. Sur une trentaine de pages, on n'y consacre qu'une douzaine de lignes:  
          La difficile recherche de financement privé: Les personnes qui se sont exprimées sur cette question ont toutes fait montre d'un scepticisme certain quant à l'aide à attendre de l'entreprise privée. Leur expérience leur enseigne que, actuellement, il faut investir beaucoup d'efforts dans la recherche de financement privé et ce, pour peu de résultats obtenus. L'abondance de festivals et d'événements d'envergure, conjuguée à une accentuation de la sollicitation des entreprises, a rendu celles-ci exigeantes. Les compagnies privées sont prêtes à investir des fonds minimaux pour lesquels elles veulent obtenir un grand rayonnement. « Ne parlons donc pas de réel mécénat au Québec, concluaient certains, mais plutôt de petits échanges de services. » Et la situation est pire dans les régions où il y a peu d'entreprises florissantes et où il n'y a pas d'organismes artistiques susceptibles de rejoindre d'imposants bassins de population. 
  
          Si certains représentants d'organismes entrevoient des solutions ou du moins des pistes d'action afin d'améliorer la participation financière des entreprises, d'autres considèrent que, compte tenu de cette situation, le jeu n'en vaut pas la chandelle.
          On le voit, le secteur privé n'est même pas une option à envisager. « Leur expérience leur enseigne que, actuellement, il faut investir beaucoup d'efforts dans la recherche de financement privé et ce, pour peu de résultats obtenus. » On préfère de loin investir « beaucoup d'efforts » dans la recherche de financement public et ce, pour à peu près les mêmes résultats. « Les compagnies privées sont prêtes à investir des fonds minimaux pour lesquels elles veulent obtenir un grand rayonnement. » Et les gouvernements, ne sont-ils pas eux aussi prêts à investir des fonds minimaux pour obtenir un rayonnement maximal? Ce n'est pas pareil. , le jeu en vaut la chandelle! 
  
          Les artistes ne remettent pas en question le système dont ils dépendent. Pourquoi le feraient-ils? Au lieu de cela, ils montrent les dents et décrient gentiment son fonctionnement tout en proposant de nouvelles structures et des mesures fiscales mieux adaptées à leur réalité – comme l'exonération d'impôt et l'instauration du revenu minimum garanti pour les personnes ayant le statut d'artiste professionnel. Imaginez!  
  
L'art au service de la nation 
  
          Tranquillement, par convictions nationalistes et protectionnistes, les politiciens ont élevé la culture au rang d'entité chimérique. Quelque chose à chérir et protéger pour le plus grand bien de la collectivité. Conséquences de cette récupération politique: les artistes ne possèdent plus leur art et ne se possèdent plus. Ils font de moins en moins affaire avec des clientèles développées au fils des années, pour faire affaire surtout avec l'État. 
  
          Comme n'importe quels autres employés de l'État, ils doivent maintenant se mettent en ligne pour réclamer leurs hausses salariales – c'est-à-dire, des « investissements » dirigés vers leur secteur. Le plaidoyer du MAL fait même un parallèle avec l'interventionnisme de l'État dans l'industrie pour justifier ses demandes: « la création artistique est à la culture ce que la recherche et le développement sont au secteur industriel. Nous exhortons donc le gouvernement à investir maintenant pour soutenir les artistes, les artisans, les écrivains, les travailleurs culturels et tous les organismes qui œuvrent en création, en production, et en diffusion dans toutes les régions du Québec, au Canada et à l'étranger. »             
  
          Comme n'importe quels membres de groupes de pression, les artistes réclament toujours plus de fonds. Ils voudraient des vacances payées, le droit de débrayer et des primes pour les congés fériés travaillés! 
  
          Maintenant que la culture est « l'âme d'un peuple », « son essence », toute une catégorie de petits artistes de peu d'envergure – ou à la conscience sociale luxuriante – font carrière à l'abri des intempéries du marché et même des regards. Plusieurs sont déjà perdus dans les dédales du système et virevoltent sans but d'un programme à l'autre. On ne les embauche plus pour leurs talents (beaucoup trop discriminatoire comme approche!), on les embauche parce qu'ils répondent à des critères ou parce qu'ils maîtrisent l'art du formulaire. Les demandes du marché? C'est dépassé!  
  
          Heureusement, quelques artistes ont encore la décence de ne pas entrer dans le bal du braillage collectif et refusent de s'abandonner au confort de la dépendance (voir Prix du Québécois Libre). 
 
 
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