L'erreur fondamentale des tenants de la « fin du travail
» est qu'ils observent seulement la diminution du nombre de
travailleurs entraînée par l'introduction d'une machine en
un lieu donné et qu'ils ne s'attardent pas à ses effets secondaires.
Si l'on adopte une perspective plus large, on observe immanquablement trois
phénomènes: 1) une demande accrue de travail pour produire
les nouvelles machines; 2) l'extension du marché, car les nouvelles
technologies permettent ultimement de diminuer le prix de vente des produits,
ce qui laissent plus d'argent dans la poche des consommateurs; 3) l'apparition
de nouvelles activités répondant à de nouveaux besoins.
Les
retombées secondaires du progrès technique
Imaginons le cas d'un manufacturier qui introduit une nouvelle machine
lui permettant de produire des manteaux en utilisant deux fois moins de
travailleurs. Dans le pire scénario, on crée des emplois
pour produire les nouvelles machines, mais il est entendu que l'on n'en
crée pas autant que l'on en a perdu. Le manufacturier, en homme
d'affaires averti, n'aurait toutefois pas acheté les nouvelles machines
si elles ne lui permettaient pas d'économiser de l'argent. S'il
vend ses manteaux au même prix, il fera des profits plus intéressants
une fois qu'il aura remboursé le coût de sa machine. Il peut
alors faire trois chose de ses revenus: 1) réinvestir cet argent
pour agrandir son usine et produire davantage de manteaux; 2) investir
dans de nouvelles activités; 3) augmenter sa consommation.
Le manufacturier opère toutefois dans une économie de marché
concurrentielle, ce qui veut dire que ses compétiteurs adoptent
rapidement les nouvelles méthodes de production. Une fois que l'ensemble
des producteurs dans le domaine ont adopté les nouvelles techniques,
le prix des manteaux chute de façon considérable, ce qui
permet au reste de la population de mieux se vêtir, ou alors de se
vêtir à moindre coût. Les consommateurs disposent aussi
d'un pouvoir d'achat accru, ce qui faIt que la demande pour d'autres produits
augmente, créant par le fait même plusieurs nouveaux emplois.
« Comme le démontre toutes les études historiques et
contemporaines sérieuses, il y a toujours plus d'emplois après
l'introduction des nouvelles techniques qu'auparavant. »
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Au bout du compte, comme le démontrent toutes les études
historiques et contemporaines sérieuses, il y a toujours plus d'emplois
après l'introduction des nouvelles techniques qu'auparavant. Une
autre facette intéressante de la dynamique du progrès technique,
c'est que les pertes d'emplois dans les entreprises novatrices sont assez
rares, car les entrepreneurs et les gestionnaires qui introduisent des
machines réduisant les besoins en main-d'oeuvre trouvent souvent
de nouveaux marchés pour leur production et créent alors
de nouveaux emplois à l'interne, que ce soit dans la recherche,
la production, l'entretien, la vente, la distribution, etc.(1).
Le
discours optimiste
Les pionniers de la science économique étaient bien conscients
de ces processus. L'économiste libéral français Jean-Baptiste
Say écrit ainsi au début du dix-neuvième siècle
que « le service des machines n'est funeste à
la classe des ouvriers qu'à l'époque où l'on commence
à se servir d'une nouvelle machine; car l'expérience nous
apprend que les pays où l'on fait le plus d'usage des machines,
sont ceux où l'on occupe le plus d'ouvriers. »(2)
De même, Robert Thomas Malthus, dont les écrits sur le sujet
sont bien meilleurs que sa vision apocalyptique de la surpopulation de
la planète, ajoute à la même époque: «
Aussitôt qu'une machine est inventée, qui, en épargnant
la main-d'oeuvre, fournit des produits à un prix plus bas qu'auparavant,
l'effet le plus ordinaire qui se manifeste, c'est une extension de la demande,
pour des objets, qui, par leur bon marché, sont mis à la
portée d'un plus grand nombre d'acheteurs; et cette extension est
telle que la valeur de la masse des objets fabriqués par ces nouvelles
machines surpasse de beaucoup celle des produits qui étaient manufacturés
auparavant. »(3)
Au début du siècle, l'économiste John Bates Clark
fait le même constat: « As progess closes one
field of employment it opens others, and it has come about that after a
century and a quarter of brilliant invention and of rapid and general substitution
of machine work for handwork, there is no larger proportion of the laboring
population in idleness now than there was at the beginning of the period.
»(4)
L'argumentation des tenants du progrès technique a donc toujours
été vérifiée par les faits. Je crois toutefois
que les auteurs s'étant intéressé au sujet n'ont pas
suffisamment insisté sur la dynamique du changement technique. Les
alarmistes ont donc toujours la partie belle pour prédire que les
leçons du passé ne s'appliquent plus en raison du caractère
« révolutionnaire » des nouvelles techniques
qui fait que « rien ne sera jamais plus comme avant
». Or comme je l'ai souligné à quelques reprises
dans des chroniques précédentes, les processus novateurs
sont toujours les mêmes car indépendamment du lieu ou de l'époque,
les inventeurs résolvent des problèmes en combinant des choses
qui existent déjà. Et quiconque s'intéresse au monde
de l'invention réalise rapidement que les problèmes et les
nouvelles idées ne manquent pas...
1.
Voir notamment D. Hoke, Ingenious Yankees: The Rise of the American
System of Manufactures in the Private Sector, New York: Columbia University
Press, 1990 et P.N. O'Farrel et R.P. Oakey, « The
Employment and Skill Implications of the Adoption of New Technology: A
Comparison of Small Engineering Firms in Core and Peripheral Regions
», Urban Studies 30 (3), p. 507-526, 1993.
>> |
2.
Cité par Antoine Cassan, « L'invention française
du libéralisme », L'esprit libre 14, p.
13-14, 1996. >> |
3.
Cité par A. Sauvy, La machine et le chômage, Paris:
Dunod, 1980. >> |
4.
Cité par E. Fano, « A Wastage of Men:
Technological Progress and Unemployment in the United States »,
Technology and Culture 32 (2), p. 264-292, 1991. >> |
Suggestions
de lecture:
Le
lecteur voulant consulter quelques écrits sensés sur la problématique
du chômage technique est invité à lire les ouvrages
suivants: |
Bruce
Bartlett, « Is Industrial Innovation Destroying Jobs?
», Cato Journal 4 (2), p. 625-643,
1984. |
Henry
Hazlitt, Economics
in One Lesson, New York: Crown Trade Paperback, 1946/1979. |
Mauricio
Rojas, Millenium Doom: Fallacies about the End of Work, London,
The Social Market Foundation, 1999 (voir un article sur le sujet sur le
site du Timbro
et une recension de l'ouvrage par Jorg Guido Hulsman dans le Quarterly
Journal of Austrian Economics vol. 3, no. 1 (à paraître). |
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