Montréal, 5 août 2000  /  No 65
 
 
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Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur.
 
NUMÉRO SPÉCIAL:
NOTRE TRADITION LIBÉRALE
  
RENOUER AVEC NOTRE
TRADITION LIBÉRALE
 
par Martin Masse
  
  
          Depuis 40 ans, l'élite nationalo-étatiste qui contrôle l'appareil gouvernemental, les médias, la culture, l'enseignement et les principales institutions du Québec prétend que notre identité comme peuple québécois dépend d'un État de plus en plus puissant et  interventionniste et que nous devons accepter cette collectivisation de notre province pour nous protéger de la domination du gouvernement fédéral et des anglophones du continent qui menacent notre existence. 
 
          Depuis 40 ans, les mêmes élites qui contrôlent (avec à peine moins de succès) les principales institutions canadiennes nous disent que notre identité et notre unité comme peuple canadien dépendent d'un État de plus en plus puissant et interventionniste et que nous devons accepter cette collectivisation de notre pays pour nous protéger de l'hégémonie américaine qui menace notre existence.  
  
          On a même réussi à nous convaincre que les États-Unis étaient le pays de l'individualisme forcené, du « capitalisme sauvage », du « néolibéralisme » à tout crin, toutes caractéristiques qui s'opposent évidemment à notre propre tradition et auxquelles nous devrions continuer de résister. Comme en France, où le libéralisme est décrié par l'élite cocorico-socialiste comme « une idéologie anglo-saxonne », on a inventé ici ce repoussoir yankee pour mieux étouffer les débats et réduire nos choix à deux options: un peu plus ou beaucoup plus d'étatisme. 
   
          Et pourtant, comme l'indiquent deux articles dans ce numéro spécial, notre histoire montre tout le contraire. Le Canada tout comme les États-Unis a été, dès la période coloniale (i.e., après la conquête de 1760), une société gouvernée sur le modèle libéral britannique, c'est-à-dire une société où les droits individuels étaient généralement respectés, où les taxes étaient minimales et où le gouvernement intervenait peu dans la vie des gens. C'est cela qui a distingué l'Amérique du Nord et qui en a fait le continent le plus riche et le plus libre sur la planète.  
  
Notre véritable tradition 
  
          Dès le milieu du 19e siècle, c'est toutefois aux États-Unis qu'on a commencé à expérimenter avec les modes étatistes. Et pendant les cent années qui ont suivi, le Canada et le Québec ont toujours été un peu en retard dans l'adoption de ces modes concoctées au sud de la frontière ou importées du Vieux Continent (voir THE SOCIALIST WIND FROM THE SOUTH, p. 14). Imaginons la réaction des pères de la Confédération canadienne réunis en 1864 devant la situation au sud de la frontière: guerre civile, gouvernement central tyrannique bafouant les libertés fondamentales et envoyant des centaines de milliers de jeunes hommes à leur perte, intervenant dans l'économie, imposant le premier impôt sur le revenu, etc. Pas étonnant qu'ils aient voulu sauvegarder les « libertés britanniques » par le projet d'union des colonies du nord du continent (voir LA TRADITION INDIVIDUALISTE CANADIENNE, p. 15).  
  
          Au Québec, l'orthodoxie intellectuelle nous commande de croire que la civilisation est arrivée ici autour de 1960, peu après la mort de Duplessis, lors de l'élection de Jean Lesage et de son équipe de technocrates socialistes « du tonnerre » incluant René Lévesque. Ce qu'on constate pourtant de plus en plus, comme nous le démontre Jean-Luc Migué, c'est que la Révolution tranquille a été un tournant pour le pire (voir p. 17, de même que le reportage de Radio-Canada sur la Révolution tranquille où apparaissent des collaborateurs du QL). Et ce qu'il est étonnant de découvrir, c'est que, contrairement à ce qu'on nous raconte, nous avons bel et bien une tradition libérale (dans le vrai sens du mot, pas dans le sens politique lié au Parti libéral). Non, notre vie intellectuelle ne s'est pas toujours limitée à du pleurnichage nationaliste, à des fadaises réactionnaires ultramontaines et à des croisades socialistes. Et même si nous n'avons pas de Jefferson, de Tocqueville ou de Bastiat, il y a dans le passé québécois des penseurs et des hommes d'État qui ont défendu le libéralisme classique. Comment pourrait-il en être autrement, puisque nous sommes restés une société relativement libérale jusque vers le milieu du 20e siècle? 
  
  
     « Revenir à l'État plus limité d'avant la Révolution tranquille n'implique aucunement revenir au contrôle social étouffant de ce qu'on a appelé la Grande Noirceur. Cela implique de se débarrasser de la nouvelle morale étouffante contemporaine imposée par les nouveaux curés, les bureaucrates. » 
 
 
          Étienne Parent, probablement le journaliste canadien-français le plus influent au 19e siècle, a écrit en 1852, à l'heure des chemins de fer, des bateaux à vapeur et du télégraphe, une apologie du libre commerce et du capitalisme où l'on sent déjà poindre la mondialisation des marchés que nous croyons caractéristique de notre époque (voir ÉTIENNE PARENT, UN LIBÉRAL CLASSIQUE CANADIEN-FRANÇAIS, p. 8). D'autres ont dû écrire des choses similaires, mais les textes publiés dans les revues et journaux d'il y a 75 ou 150 ans sont difficiles d'accès, et les historiens nationalo-gauchistes d'aujourd'hui ne sont pas pressés de nous les faire découvrir. Il faudrait que des historiens libertariens se mettent à la tâche pour réécrire notre histoire sans les biais de ceux qui dominent la profession afin que nous puissions avoir l'heure juste.  
  
Quel progrès? 
  
          Mais, nous dira-t-on, le Canada français d'avant la Révolution tranquille était tout de même une société arriérée, dominée par l'Église, où régnait la corruption, et patati et patata. Était-ce vraiment si pire? On nous répète par exemple que Louis-Alexandre Taschereau (premier ministre libéral de 1920 à 1936) et Maurice Duplessis (premier ministre presque sans interruption par la suite jusqu'en 1959) achetaient des votes en promettant des faveurs aux électeurs et en faisant voter les morts. Mais aujourd'hui, Jean Chrétien admet candidement que oui, les centaines de millions que son gouvernement dépensera d'ici les prochaines élections en Atlantique vont aider à réélire les députés libéraux de la régions. Et au Québec, le gouvernement n'en finit plus d'inventer des façons d'acheter les votes de tous les parasites de la province, des artistes qui vivent aux crochets de l'État aux compagnies subventionnées, en passant par les familles pauvres qui s'achètent un nouvel ordinateur. Et les bulletins de vote rejetés à grande échelle dans les comtés fédéralistes lors du référendum de 1995, ça ne se compare pas à ce qui se faisait dans les années 1930? 
  
          En fait, la situation est PIRE aujourd'hui: à l'époque, le gouvernement pigeait deux ou trois fois moins dans les poches des citoyens, et les sommes qu'il distribuait ainsi étaient minimales. Aujourd'hui, au contraire, on ne parle plus de centaines de dollars, mais de centaines de millions. C'est ça le progrès?! Notre chroniqueur Ralph Maddocks, qui a été témoin des changements des quarante dernières années, conclut que non (voir FORTY YEARS ON, p. 6). 
  
          On nous dit aussi que l'Église dominait tout, entretenait la médiocrité culturelle et intellectuelle, imposait une morale prude et archaïque. Les baby boomers hédonistes qui ont fait le party pendant toutes les années 1960 et 1970 ont beaucoup exagéré ce soi-disant carcan clérical. Une partie importante de la population devait sûrement approuver cette influence cléricale pour qu'elle puisse se maintenir ainsi. Mais admettons que ce soit en partie vrai et posons-nous la question: les gens étaient-ils obligés d'aller à l'église et de suivre la morale étouffante de l'époque, sous peine de payer une amende ou d'aller en prison? Bien sûr que non! Si une partie de la population était assez moutonne et idiote pour suivre des règles de conduite traditionnelle qu'elle n'approuvait pas vraiment, par crainte de subir le regard désapprobateur du curé ou des voisins, quel rapport cela a-t-il avec l'intervention de l'État?  
  
          Les changements culturels et sociaux à ce chapitre seraient venus de toute façon, même sans la montée étatiste que nous avons connu. Celle-ci n'est d'aucune façon la cause de ces changements, tout comme il est absurde de faire un lien entre la domination de l'Église et les politiques économiques relativement peu interventionnistes du temps. Au 19e siècle, l'anticléricalisme qui a dominé à certaines époques se déployait dans un contexte politique où l'État occupait encore moins de place. Bref, revenir à l'État plus limité d'avant la Révolution tranquille n'implique aucunement revenir au contrôle social étouffant de ce qu'on a appelé la Grande Noirceur.  
  
          Au contraire, cela implique de se débarrasser de la nouvelle morale étouffante contemporaine imposée par les nouveaux curés, les bureaucrates: celle qui nous oblige aujourd'hui à ne pas fumer où il ne faut pas ou à mettre notre ceinture de sécurité ou à ne pas dire certaines choses offensantes sur certains groupes ou à suivre des centaines d'autres diktats et à éviter des centaines d'autres interdits sous peine d'amende ou de prison. Étrangement, ceux qui ont peur de revenir à la Grande Noirceur sont exactement les mêmes qui nous imposent cette Super Grande Noirceur fanatique de la rectitude politique. Dans les années 1950 et avant, on subissait peut-être l'opprobre social et ecclésiastique si on avait des relations sexuelles défendues, si on dansait ou allait au cinéma, si on lisait des livres à l'index; aujourd'hui, on subit la persécution juridique si on fait ce qu'on veut avec notre corps dans des tas d'autres activités. C'est ça le progrès?! 
  
Quarante ans de supercherie 
  
          La politique québécoise et canadienne est dominée depuis 40 ans par les deux élites nationalo-étatistes qui ont propagé ces supercheries sur notre histoire et notre identité. Mais comme l'explique Pierre Lemieux (voir LE CLERC ET LE COUREUR DES BOIS, p. 16), le combat entre les Hells Angels étatistes au fédéral et les Rock Machine étatistes au provincial n'a finalement aucune importance. Ce qui compte, c'est de savoir laquelle de nos traditions, l'individualiste ou la collectiviste, l'emportera en bout de ligne.  
  
          Pour que la liberté l'emporte, il serait utile qu'en plus d'y voir un attrait intrinsèque, nous la voyions comme autre chose qu'une notion étrangère qu'on nous impose. Il serait pertinent de redécouvrir et relire ceux qui ont défendu le même idéal dans le passé et qui y ont vu le fondement de notre société.  
  
          Si vous pouvions renouer avec notre tradition libérale et comprendre qu'elle est là, notre véritable identité de Québécois, Canadiens et Nord-Américains, nous pourrions plus facilement réfuter les mythes nationalo-gauchistes entretenus depuis 40 ans par ceux qui veulent nous asservir.  
 
 
Articles précédents de Martin Masse
 
 
 
  
Le Québec libre des nationalo-étatistes  
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
  
        « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »    

Alexis de Tocqueville   
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840) 

 
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