Le
miracle de la culture
« Dimanche, la télé québécoise
ressemblait à une cousine de l'ancienne Pravda, le journal
officiel du Parti communiste. On n'y vantait peut-être pas les vertus
du communisme, mais on forçait tellement la note sur le miracle
de la culture qui guérit tout, même les brûlures d'estomac,
que ça revenait presque au même. » (Nathalie
Petrowski, La Presse, 12 septembre 2000).
Si vous étiez posté devant votre télé, le 10
septembre dernier, vous savez de quoi cause madame Petrowski. L'émission
Culture en direct était omniprésente sur les ondes
de 19h30 à 21h00, vous laissant comme seules autres alternatives
les chaînes anglaises, la lecture d'anciens numéros du QL
ou une partie de jambes en l'air. Toute la communauté télévisuelle
québécoise, elle, vivait à l'heure de l'infopub culturelle.
Le but de l'exercice: annoncer le retour des Journées de la culture,
un événement qui en est à sa 4e édition et
qui ne prend toujours pas auprès de la population.
De facture très Télé-Québec, l'émission
empruntait la formule du téléthon – sans l'incontournable
levée de fonds – et se déroulait devant public. Un drôle
de public soit dit en passant. Beaucoup de femmes tenant des enfants sur
leurs genoux, beaucoup d'adolescentes (les gars étaient rassemblés
au Café Graffiti dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve et n'ont
fait que deux petites incursions via satellite), quelques politiciennes
(qu'on s'empressait de nous montrer à tout bout de champs), quelques
porte-parole officiels et représentants syndicaux et, soirée
oblige, des artistes.
Les artistes-animateurs avaient pour l'occasion revêtu leurs costumes
de publicitaires. Pas de politique, pas de polémique, l'exercice
vise à attirer et non revendiquer. L'un après l'autre, ils
sont apparus le temps de vendre leur salade puis sont repartis. Malgré
toutes les bonnes intentions et quelques grands moments (une prestation
trop courte de Diane Dufresne, une présentation remarquée
de Marc Labrèche), le show n'a pas levé. Cet interminable
enchaînement de numéros nous a laissé avec une vague
impression de vente sous pression.
« La culture, on le dit pas assez souvent, c'est plus
de 11 milliards de dollars d'impact économique. C'est plus de 175
000 emplois au Québec. C'est important. Mais c'est pas pour
ça qu'on l'aime la culture. La contribution des artistes est immense
parce qu'on a besoin de la culture comme de l'air qu'on respire. Grâce
à l'apport de nos créateurs, de nos créatrices, grâce
à leur esprit critique, à leur pouvoir d'imagination, on
s'ouvre au monde. On s'ouvre à la beauté des différences.
»
La ministre de la Culture, Agnès Maltais, même si elle ne
voulait pas en parler – parce que ce n'est pas ça l'important
–, n'a pas pu s'empêcher de souligner l'apport économique
de la culture. Les fameuses retombées qui justifient les nombreux
« investissements » de l'État dans le secteur.
Bien entendu, sans les constantes « stimulations »
du gouvernement, sans ses nombreux « encouragements »
et son incontournable soutien, tout ce qui grouille d'industrie de la création
serait inerte. Inexistant. Ce qui lui fait dire que « nous
avons besoin de la culture comme de l'air que l'on respire ».
Imaginez un monde sans Isabelle Boulay! Vite! Donnez-moi, donnez-moi de
l'oxygène...
« L'État ne vend pas des divans, il vend des comportements.
Il n'est pas "en affaire" pour s'enrichir, il l'est pour nous
améliorer. »
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La culture nationalisée, on le dit pas assez souvent, c'est aussi
des dépenses « collectivisées ».
L'émission par exemple a coûté environ 700 000
$ dont 50% provenaient des télédiffuseurs (sous forme
d'argent et de services) et le reste, des poches des contribuables – 25%
d'une commandite des Journées de la culture (Hydro-Québec?
Loto-Québec?), 15% d'un crédit d'impôt provincial et
10% d'un crédit d'impôt fédéral. On ne sait
pas si les ministres, syndicalistes et artistes présents étaient
rémunérés pour être là, mais bon...
Pour
devenir meilleurs
Culture en direct s'inscrit dans une tendance de plus en plus lourde
au Québec, l'éducation des masses par la publicité
(voir CE MESSAGE D'INTÉRÊT PUBLIC A ÉTÉ
RETENU ET PAYÉ PAR... VOUS, le QL, no
60). Grâce aux nombreuses campagnes de publicités
signées « Québec », nous avons appris
à parler à nos ados, à modérer notre consommation
d'alcool, à cesser de fumer, à insister pour que nos amis
ne conduisent plus ivres, à utiliser le condom lors de nos relations
amoureuses, à jouer notre paye intelligemment au casino, à
éviter de juger les jeunes délinquants, à s'attacher
sur le chantier de construction, à consulter avant de se suicider...
ne reste plus qu'à apprendre à se cultiver.
Ce n'est pas un hasard si avec un budget médias de plus de 35
millions $ par année, le gouvernement du Québec est
le plus important annonceur de la province. Que ce soit à la télé,
au cinéma, à la radio ou dans les journaux, on peut toujours
compter sur la présence rassurante de l'État devant l'inconnu.
Tel un grand frère, une grande soeur, il partage nos vies pour nous
conseiller sur toutes sortes de questions. L'État ne vend pas des
divans, il vend des comportements. Il n'est pas « en
affaire » pour s'enrichir, il l'est pour nous améliorer.
Culture en direct n'était en fait qu'une infopub sociétale
d'une heure et demie qui visait à nous convaincre de consommer de
la culture québécoise et à nous conscientiser quant
à son importance. À quand les prochaines « unions
» télévisuelles? Et pour quelles nobles causes?
Le 50ième anniversaire de la Fédération des femmes
du Québec? Les funérailles d'État de Gérald
Larose? La victoire de la 1ère femme première ministre au
Québec? C'est peut-être pas de la bonne télé,
mais ça a l'avantage d'être rassembleur! Et comme le Québec
est un petit marché, que les coûts de production sont très
élevés, ça serait une solution économiquement
justifiée. À tous les soirs, on nous concocterait de bonnes
petites émissions éducatives et divertissantes. Une seule
et même chaîne! Plus besoin de se creuser la tête pour
choisir quoi regarder, l'État le ferait pour nous.
Comme le clame le slogan de la chaîne publique de télé
PBS aux États-Unis: If we don't do it, who will? Ces gens
qui nous gouvernent et qui s'efforcent de régler nos vies au quart
de tour ne veulent en fait qu'une chose: notre bien. Si quelques fois ils
nous donnent l'impression d'être trop attentionnés et d'en
faire trop, il ne faut surtout pas se laisser aller à imaginer les
pires conspirations... Ils n'ont probablement pas de vie. Ni d'amis. Il
est donc normal que tel un consommateur aux prises avec un vendeur zélé
qui tente de lui vendre le bidule qui va changer sa vie – et qui
en vante un peu trop les mérites –, nous soyons tentés de
chercher la supercherie.
Dans ce cas-ci, le bidule ce sont les Journées de la culture. Et
le vendeur exalté c'est Marcel Sabourin, le porte-parole officiel
de l'événement. Écoutez-le clôturer l'émission:
« Ce soir, on a essayé de vous en montrer une
petite partie, une toute petite partie, de ce trésor-là.
Mais, il faut pas oublier que toute cette énergie-là, tout
ce talent-là que vous avez vu, ça ne veut qu'une seule chose.
C'est de vous allumer, de vous convaincre que la culture c'est par
vous, c'est avec vous, puis c'est pour vous. Alors soyez au rendez-vous
des Journées de la culture les deux derniers jours de septembre
et le premier jour d'octobre. Parce que la culture, le trésor,
c'est vous-même! »
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