Montréal, 16 septembre 2000  /  No 67
 
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
  
CULTURE EN DIRECT
L'INÉVITABLE INFOPUB
 
par Gilles Guénette
  
  
          C'était la quatrième fois que ça arrivait depuis les débuts de la télévision au Québec. Les quatre grandes chaînes québécoises – ainsi que TV5, la télévision internationale francophone – se sont unies pour diffuser une seule et même émission partout à travers la province (et dans la francophonie). La première fois, c'était pour marquer les 50 ans du syndicat des artistes (l'UDA), la seconde, pour amasser des fonds pour la lutte contre le sida et la troisième, pour venir en aide aux victimes des inondations de 1996 au Saguenay. Mais quelle « urgence » peut bien à nouveau justifier une telle mobilisation de nos forces vives de la télé? La conférence des premiers ministres provinciaux? Le recul du français à Montréal? Le suicide chez les jeunes? Non, non et non. Le rayonnement de la Culture voyons.
 
Le miracle de la culture 

          « Dimanche, la télé québécoise ressemblait à une cousine de l'ancienne Pravda, le journal officiel du Parti communiste. On n'y vantait peut-être pas les vertus du communisme, mais on forçait tellement la note sur le miracle de la culture qui guérit tout, même les brûlures d'estomac, que ça revenait presque au même. » (Nathalie Petrowski, La Presse, 12 septembre 2000). 
  
          Si vous étiez posté devant votre télé, le 10 septembre dernier, vous savez de quoi cause madame Petrowski. L'émission Culture en direct était omniprésente sur les ondes de 19h30 à 21h00, vous laissant comme seules autres alternatives les chaînes anglaises, la lecture d'anciens numéros du QL ou une partie de jambes en l'air. Toute la communauté télévisuelle québécoise, elle, vivait à l'heure de l'infopub culturelle. Le but de l'exercice: annoncer le retour des Journées de la culture, un événement qui en est à sa 4e édition et qui ne prend toujours pas auprès de la population. 
  
          De facture très Télé-Québec, l'émission empruntait la formule du téléthon – sans l'incontournable levée de fonds – et se déroulait devant public. Un drôle de public soit dit en passant. Beaucoup de femmes tenant des enfants sur leurs genoux, beaucoup d'adolescentes (les gars étaient rassemblés au Café Graffiti dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve et n'ont fait que deux petites incursions via satellite), quelques politiciennes (qu'on s'empressait de nous montrer à tout bout de champs), quelques porte-parole officiels et représentants syndicaux et, soirée oblige, des artistes. 
  
          Les artistes-animateurs avaient pour l'occasion revêtu leurs costumes de publicitaires. Pas de politique, pas de polémique, l'exercice vise à attirer et non revendiquer. L'un après l'autre, ils sont apparus le temps de vendre leur salade puis sont repartis. Malgré toutes les bonnes intentions et quelques grands moments (une prestation trop courte de Diane Dufresne, une présentation remarquée de Marc Labrèche), le show n'a pas levé. Cet interminable enchaînement de numéros nous a laissé avec une vague impression de vente sous pression. 
  
          « La culture, on le dit pas assez souvent, c'est plus de 11 milliards de dollars d'impact économique. C'est plus de 175 000 emplois au Québec. C'est important. Mais c'est pas pour ça qu'on l'aime la culture. La contribution des artistes est immense parce qu'on a besoin de la culture comme de l'air qu'on respire. Grâce à l'apport de nos créateurs, de nos créatrices, grâce à leur esprit critique, à leur pouvoir d'imagination, on s'ouvre au monde. On s'ouvre à la beauté des différences. » 
  
          La ministre de la Culture, Agnès Maltais, même si elle ne voulait pas en parler – parce que ce n'est pas ça l'important –, n'a pas pu s'empêcher de souligner l'apport économique de la culture. Les fameuses retombées qui justifient les nombreux « investissements » de l'État dans le secteur. Bien entendu, sans les constantes « stimulations » du gouvernement, sans ses nombreux « encouragements » et son incontournable soutien, tout ce qui grouille d'industrie de la création serait inerte. Inexistant. Ce qui lui fait dire que « nous avons besoin de la culture comme de l'air que l'on respire ». Imaginez un monde sans Isabelle Boulay! Vite! Donnez-moi, donnez-moi de l'oxygène... 
  

 
     « L'État ne vend pas des divans, il vend des comportements. Il n'est pas "en affaire" pour s'enrichir, il l'est pour nous améliorer. » 
 
 
          La culture nationalisée, on le dit pas assez souvent, c'est aussi des dépenses « collectivisées ». L'émission par exemple a coûté environ 700 000 $ dont 50% provenaient des télédiffuseurs (sous forme d'argent et de services) et le reste, des poches des contribuables – 25% d'une commandite des Journées de la culture (Hydro-Québec? Loto-Québec?), 15% d'un crédit d'impôt provincial et 10% d'un crédit d'impôt fédéral. On ne sait pas si les ministres, syndicalistes et artistes présents étaient rémunérés pour être là, mais bon... 
  
Pour devenir meilleurs 
  
          Culture en direct s'inscrit dans une tendance de plus en plus lourde au Québec, l'éducation des masses par la publicité (voir CE MESSAGE D'INTÉRÊT PUBLIC A ÉTÉ RETENU ET PAYÉ PAR... VOUS, le QL, no 60). Grâce aux nombreuses campagnes de publicités signées « Québec », nous avons appris à parler à nos ados, à modérer notre consommation d'alcool, à cesser de fumer, à insister pour que nos amis ne conduisent plus ivres, à utiliser le condom lors de nos relations amoureuses, à jouer notre paye intelligemment au casino, à éviter de juger les jeunes délinquants, à s'attacher sur le chantier de construction, à consulter avant de se suicider... ne reste plus qu'à apprendre à se cultiver. 

          Ce n'est pas un hasard si avec un budget médias de plus de 35 millions $ par année, le gouvernement du Québec est le plus important annonceur de la province. Que ce soit à la télé, au cinéma, à la radio ou dans les journaux, on peut toujours compter sur la présence rassurante de l'État devant l'inconnu. Tel un grand frère, une grande soeur, il partage nos vies pour nous conseiller sur toutes sortes de questions. L'État ne vend pas des divans, il vend des comportements. Il n'est pas « en affaire » pour s'enrichir, il l'est pour nous améliorer. 
  
          Culture en direct n'était en fait qu'une infopub sociétale d'une heure et demie qui visait à nous convaincre de consommer de la culture québécoise et à nous conscientiser quant à son importance. À quand les prochaines « unions » télévisuelles? Et pour quelles nobles causes? Le 50ième anniversaire de la Fédération des femmes du Québec? Les funérailles d'État de Gérald Larose? La victoire de la 1ère femme première ministre au Québec? C'est peut-être pas de la bonne télé, mais ça a l'avantage d'être rassembleur! Et comme le Québec est un petit marché, que les coûts de production sont très élevés, ça serait une solution économiquement justifiée. À tous les soirs, on nous concocterait de bonnes petites émissions éducatives et divertissantes. Une seule et même chaîne! Plus besoin de se creuser la tête pour choisir quoi regarder, l'État le ferait pour nous. 
  
          Comme le clame le slogan de la chaîne publique de télé PBS aux États-Unis: If we don't do it, who will? Ces gens qui nous gouvernent et qui s'efforcent de régler nos vies au quart de tour ne veulent en fait qu'une chose: notre bien. Si quelques fois ils nous donnent l'impression d'être trop attentionnés et d'en faire trop, il ne faut surtout pas se laisser aller à imaginer les pires conspirations... Ils n'ont probablement pas de vie. Ni d'amis. Il est donc normal que tel un consommateur aux prises avec un vendeur zélé qui tente de lui vendre le bidule qui va changer sa vie – et qui en vante un peu trop les mérites –, nous soyons tentés de chercher la supercherie. 
  
          Dans ce cas-ci, le bidule ce sont les Journées de la culture. Et le vendeur exalté c'est Marcel Sabourin, le porte-parole officiel de l'événement. Écoutez-le clôturer l'émission: « Ce soir, on a essayé de vous en montrer une petite partie, une toute petite partie, de ce trésor-là. Mais, il faut pas oublier que toute cette énergie-là, tout ce talent-là que vous avez vu, ça ne veut qu'une seule chose. C'est de vous allumer, de vous convaincre que la culture c'est par vous, c'est avec vous, puis c'est pour vous. Alors soyez au rendez-vous des Journées de la culture les deux derniers jours de septembre et le premier jour d'octobre. Parce que la culture, le trésor, c'est vous-même! » 
 
 
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