Montréal, 20 janvier 2001  /  No 75
 
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation, il a travaillé à la Banque du Canada puis pour le gouvernement du Québec. On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
  
LE REVENU MINIMUM GARANTI (OU DU CITOYEN): UNE BOÎTE DE PANDORE
 
par Yvon Dionne
  
  
          L'idée d'instaurer un revenu minimum garanti, ou un impôt négatif comme l'avait suggéré Milton Friedman, peut paraître attrayante a priori afin de réduire la bureaucratie gouvernementale et de simplifier les interventions étatiques, bref de mettre un frein à cette manie très typique de l'État-providence de prendre les revenus des uns pour le distribuer à d'autres tout en se « payant » au passage (Jean Chrétien en a fait le point central de sa dernière campagne et nous savons ce que ça donne dans son comté).
 
Bonheur distribué 
 
          Même si leur proposition reste encore vague et manque de précision, les groupes qui défendent ce revenu minimum ont commencé à lui mettre un peu de substance et cette substance ressemble de plus en plus à un château de cartes pire que ce qu'elle prétend remplacer. J'en ai déjà discuté dans un autre article (voir LE REVENU DE CITOYENNETÉ, BONNE OU MAUVAISE IDÉE?, le QL, no 60). Si je reviens sur le sujet, c'est que l'Action démocratique du Québec a déposé le 15 décembre 2000 un projet de loi sommaire (le projet de loi 393) « concernant la mise en oeuvre du revenu minimum du citoyen » avec en sous-titre Un élément incontournable d'une véritable politique anti-pauvreté. 
  
          Afin d'éviter une nouvelle enflure des dépenses de notre prétendu « outil de développement » (l'État du modèle québécois), il faudrait démystifier cette idée fourre-tout qui prétend distribuer le bonheur à tous comme si son coût était gratuit et que la manne peut tomber du ciel. Le projet de loi commence par ces mots sublimes: « Attendu que l'État doit assurer une répartition équitable de la richesse collective de ses citoyens; Que chaque personne résidant au Québec devrait recevoir un revenu lui assurant ses besoins tels le gîte, les vêtements, la santé et l'éducation. » 
  
          Le 19 décembre, l'ADQ rendait par ailleurs public un document de son service de recherche sur La pauvreté au Québec: un portrait lucide pour une action audacieuse. Quelques citations particulièrement lucides: « Pour l'Action démocratique du Québec, il faut partir des bons constats afin de poser les bons gestes. »; « Les recettes du passé ont lamentablement échouées [sic]. Une telle lucidité commande l'innovation. L'État québécois doit agir. Il doit faire plus et mieux. »; « Le revenu minimum est un outil efficace et préventif de lutte à la pauvreté, voire plus, de lutte à l'appauvrissement. » Rien de démontré dans toutes ces affirmations. Comme le revenu minimum lui-même, ces affirmations sont totalement... gratuites. Le document s'inspire d'un think tank étatiste qui a pour nom le Conseil national du bien-être social. 
 
          Le groupe de Vivian Labrie (le Collectif pour une loi sur l'élimination de la pauvreté) va bien sûr plus loin. Voici un extrait de leur proposition (c'est un des considérant), que vous trouverez au complet sur leur site: « ...la pauvreté est causée par des systèmes injustes, axés sur les profits de quelques-uns, dont les effets se sont aggravés vers la fin du vingtième siècle en se mondialisant, occasionnant ainsi des manquements graves à la solidarité, des précarités qui s'accumulent jusqu'à la misère et des inégalités répétées qui excluent une partie de la population d'un juste partage de la richesse et de la qualité de vie ». 
  
          Voilà donc l'exploitation de l'homme par l'homme, version québécoise. Ces gens-là essaient de nous faire accroire que tout va plus mal aujourd'hui, que les méfaits du Welfare State sont causés par le capitalisme et qu'il faudrait refaire l'expérience désastreuse du socialisme. Jean-François Revel leur a pourtant bien répondu dans son livre La grande parade: Essai sur la survie de l'utopie socialiste (Éditions Plon, 2000). Ils ont tous le mot solidarité pendu au bout des lèvres mais c'est une solidarité imposée par l'État qu'ils nous proposent, aux dépens de la liberté – les chefs syndicaux devraient d'abord se questionner sur la liberté d'association, l'impact de leur monopole sur les services publics et dans la construction, le vandalisme, etc.; des pauvres, ils en produisent! 
  
Objections au RMG 
  
          Alors voici quelques objections au revenu minimum garanti: 
  
          1) Commençons par un peu de philo. Naîtrions-nous avec un « droit au bonheur »? Plus précisément, est-ce que nous naissons avec le droit de vivre aux dépens des autres? Si la réponse est oui, il s'ensuit que ce « droit » doit être comblé par la société via l'État, car la charité privée sera toujours jugée arbitraire et insuffisante... Il y avait un bon article de la journaliste Lise Lachance dans le quotidien Le Soleil du 23 décembre dernier sur un essai de Pascal Bruckner, L'euphorie perpétuelle. Essai sur le devoir du bonheur (Éditions Grasset, 2000). Elle écrit: « Comment le droit au bonheur a-t-il pu se transformer en dogme? Comment, du droit, sommes-nous passés à l'obligation, à l'impératif, au catéchisme collectif? » Voilà qui est bien dit. Le droit dès la naissance au bonheur n'est qu'un des héritages de la philosophie rousseauiste. Le bonheur n'est pas un droit mais un objectif que nous devons tous nous efforcer d'atteindre par nos propres efforts. 
  
          Même en admettant que le bonheur n'est pas un droit, la pauvreté serait-elle causée par une « injustice » du système économico-social? Ici encore si la réponse était affirmative cela justifierait une intervention étatique dans le but d'éliminer la source de l'injustice qui pourrait être, par exemple, une absence de concurrence (c'est l'enrichissement d'un producteur aux dépens des consommateurs). Le socialisme marxiste dit que la cause est l'appropriation privée des moyens de production. Je vous laisse imaginer le reste. Ce que l'on entend plus fréquemment de nos jours (mais qui s'inspire néanmoins du marxisme), c'est que l'inégalité des revenus elle-même ferait la preuve que les riches ne peuvent s'enrichir qu'aux dépens des pauvres. Ah! Cette jalousie qui maltraite la raison! C'est Abraham Lincoln qui disait: « Vous ne pouvez pas aider le pauvre en ruinant le riche ». 
  
  
     « Le droit dès la naissance au bonheur n'est qu'un des héritages de la philosophie rousseauiste. Le bonheur n'est pas un droit mais un objectif que nous devons tous nous efforcer d'atteindre par nos propres efforts. » 
 
  
          2) La redistribution des revenus, au moyen d'un revenu minimum ou autrement, n'élimine pas la pauvreté. Certes elle la soulage mais elle ne l'élimine pas! Je dirais même que théoriquement il est non seulement possible mais probable que toutes les mesures sociales actuelles (fiscalité, programmes), en raison de leur inefficacité et de leur fardeau sur l'économie, peuvent contribuer indirectement à accroître le nombre de pauvres au lieu de le réduire, malgré la redistribution des revenus. La lutte contre la pauvreté, qui est devenue le leitmotiv de nos magiciens étatistes qui combattent les baisses d'impôts, ne se fait pas au moyen des cataplasmes que sont toutes les méthodes inventées ou à venir de redistribution par l'État des revenus mais plutôt en créant les conditions économiques pour que tous puissent se développer en faisant preuve d'initiative. Donner à tous un revenu minimum (personne n'a encore chiffré tous les scénarios possibles de cette proposition) ne ferait que transformer la pauvreté réelle ou imaginaire en dépendance réelle et en un parasitisme potentiel. 
  
          Entre 1966 et 1996, les dépenses gouvernementales en pourcentage du produit intérieur brut ont grimpé de 30% à 46,5%. Presque la totalité de cette augmentation est due aux transferts aux particuliers et aux frais d'intérêt sur la dette (l'équivalent de quelqu'un qui aurait financé son épicerie en hypothéquant sa maison). Puisque l'objectif des transferts est de réduire la pauvreté, on devrait donc s'attendre à une diminution des courbes d'inégalité des revenus mais ce n'est pas le cas.  
  
          « Data from 1980 (earliest data available) to 1995 records an 8.9% percent decline in real income before transfers for the lowest quintile income group. Over the same period, transfers increased by 29.4% percent producing a net increase of 10.9% in total real income of the lowest quintile. Falling earned income of the lowest income quintile being offset by rising government transfers reflects increased dependency and significant policy failure » (source: Institut Fraser, Public Policy Sources 13: The Case for Cost-effective Government; voir aussi, à la même adresse, Policy Proposal: A 30 percent proposal for Canada). Nul doute qu'au cours de cette période la hausse des taux d'imposition et le recours accru à la réglementation ont eu un impact négatif sur la croissance du PIB réel, sur les investissements, donc sur l'emploi. 
  
          3) Les revenus requis pour satisfaire des besoins sans cesse à redéfinir ont un seuil très subjectif. Les coûts varient non seulement d'une région à l'autre, mais les besoins d'un individu à un autre varient aussi en fonction de sa propre gestion personnelle et de ses préférences. Il n'y a pas de commune mesure de revenu minimum garanti, même à l'intérieur de sous-groupes que l'on peut imaginer selon le statut marital, le nombre et l'âge des enfants, etc. Parce que les besoins sont impossibles à définir exactement, qu'ils reflètent les préférences des individus et qu'ils feront inévitablement l'objet d'une surenchère, cette proposition de revenu minimum n'est qu'une boîte de Pandore où les coûts, malgré des économies par l'abolition d'autres programmes, pourront facilement dépasser cette somme. Un autre problème vient de la mesure même de ce qu'est la pauvreté: les seuils de faible revenu de Statistique Canada ne peuvent pas être considérés comme des seuils de pauvreté car ils dépendent de l'inégalité des revenus. 
  
          4) Il est faux de prétendre que l'octroi d'un revenu minimum comporterait plus d'incitation au travail qu'un programme tel l'assistance-emploi du Québec (c'est le nouveau nom de l'assistance sociale). Le revenu minimum est inconditionnel, au contraire de l'assistance-emploi. La désincitation au travail vient à la fois du niveau d'assistance versé et du revenu marginal net d'impôt et des pertes de bénéfices d'un revenu de travail additionnel. Par conséquent, il est difficile d'imaginer comment l'octroi d'un revenu minimum inconditionnel pourrait être supérieur sur ce plan à un programme de transfert axé sur le retour au marché du travail. Pour que les interventions gouvernementales sous forme de transferts n'aient aucune désincitation au travail, il faudrait à la fois éliminer ces interventions... et l'impôt qui vient avec! 
  
          Des expériences (sur une base locale de certains États) ont été faites aux États-Unis au début des années 70. Leurs conclusions ont toutes été négatives... au sujet de l'impôt négatif. Non seulement y avait-il un impact négatif sur l'incitation au travail, il y avait même une diminution des possibilités d'emploi pour ceux qui étaient en chômage. Jusqu'à 55% des coûts du nouveau programme servaient à remplacer des revenus de travail. 
  
          5) Un scénario de revenu minimum (à la limite, il y a autant de scénarios qu'il y a d'individus) élimine l'assurance emploi et la Régie des rentes, entre autres. Or ces deux régimes sont financés par des cotisations d'employeurs et d'employés et sont en totalité ou en partie capitalisés. En toute équité, ceci veut dire que les titulaires de ces prestations devraient être remboursés pour ce qu'ils ont payé, à défaut de quoi ils paieraient à la fois via les impôts et leurs cotisations passées pour le nouveau programme de revenu minimum. 
  
          C'est un fait qu'il y a trop de programmes tant budgétaires (de dépenses) que fiscaux (une litanie d'exemptions et de déductions), fédéraux et provinciaux, de redistribution du revenu. Toutes ces mesures exigent un taux d'imposition plus élevé qu'autrement et coûtent cher à administrer. C'est le fouillis et les contribuables ne savent plus où va leur argent. Seulement un faible pourcentage de tous les transferts budgétaires ou fiscaux aux particuliers va réellement à ceux qui en ont besoin. Qui plus est, il n'y aurait aucune corrélation entre le niveau (en termes réels) des dépenses per capita en services sociaux et la proportion des gens sous le seuil de faible revenu de Statistique Canada (voir à ce sujet L'État-Providence et les pauvres sur le site de l'Institut économique de Montréal). 
  
          Voilà un grand nettoyage qui serait facile à réaliser et qui ne comporterait aucun risque d'inflation des dépenses et des taxes. 
 
 
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