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Montréal, 20 janvier 2001 / No 75 |
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par
Gilles Guénette
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Bien beau sur papier, mais comme la réalité dépasse
souvent la fiction...
Hitchcock et l'art s'apparente davantage à l'installation qu'à l'exposition; on apprécie s'y promener même si on n'y voit rien de bien bouleversant. Affiches publicitaires, magazines spécialisés, photographies de plateau (ou de promo), scénarios-maquettes, les objets exposés ici relèvent plus souvent de la convention de collectionneurs – ou du marché aux puces – que du musée. Et la croûte étant à la peinture ce que le navet est au cinéma, l'exposition recèle son lot de tableaux qui, s'ils ne sont pas mineurs, en donnent l'impression – d'horribles Rouault, de vilains Willard et de repoussants Sickert, pour ne nommer que ceux-là. Debout au centre d'une salle consacrée aux vieux magazines et photographies du cinéaste en compagnie de célébrités, une question me hante: peut-on qualifier ces différents artefacts d'objets d'art? Le seul fait qu'ils soient exposés sous verre – et fassent l'objet de profonds débats intello-culturels – confère-t-il à ces vieux exemplaires du TV Guide ou du magazine Life une quelconque aura artistique? À mesure que je traverses les différentes salles de l'exposition, au son de mélodies des plus inquiétantes, des images de carcasses de lapins, de draps souillés d'urine et de poissons déchiquetés me reviennent en tête... Au musée des horreurs Vous marchez dans une ruelle, vous apercevez un ensemble de draps blancs étendu sur une corde à linge: de l'art? Thomas McEvilley, professeur d'histoire de l'art à l'Université Rice du Texas, et co-éditeur du magazine Artforum, soutient que oui. Il se souvient d'une visite au Media Center de Houston, L'an dernier, l'oeuvre de l'artiste britannique Tracey Emin intitulée My Bed était en lice pour le très convoité Turner Prize. Cette Avant My Bed, la jeune suicidaire s'était fait remarquer avec une production vidéo intitulée Why I Never Became a Dancer dans laquelle elle fait visiter son village natal en racontant, à l'aide d'anecdotes salées, son passé d'adolescente dévergondée. Autre de ses productions artistiques, Everyone I Slept With... est en fait une tente deux places sur laquelle l'artiste a appliqué les listes des noms de toutes les personnes avec qui elle a partagé un lit – de son frère en passant par ses amies de filles et les hommes de sa vie... Avide de publicité, la jeune excentrique avait invité deux amis à se rendre sur son Bed afin d'y tenir un combat d'oreillers. Lors de leur arrestation, l'un d'eux a déclaré: Au début de cette même année dernière, on faisait la ligne au Trapholt Art Museum de Kolding au Danemark pour y voir une installation
Après le décès de son amant, des suites du sida, l'Américain Felix Gonzalez-Torres a réalisé Untitled (1991), une pièce composée de centaines de photographies identiques de la mer empilées les unes sur les autres puis installées sur le plancher. Invité à commenter la pièce, Gonzalez-Torres a déclaré, Ce n'est toutefois pas avec cette pile de photos que Gonzalez-Torres passera à l'histoire. L'artiste d'origine cubaine est reconnu pour ses Untitled (Para un hombre en uniforme), Untitled (Portrait of Marcel Brient), ou Untitled (Portrait of Dad), des oeuvres qui consistent en autant de tas de bonbons empilés sur le plancher et dont le poids égale celui de personnes lui étant chères. La dernière pièce, par exemple, est une oeuvre conceptuelle composée de Bonbons, poissons, condoms! Souvenez-vous des carcasses de lapins de Diana Thorneycroft, des animaux baignant dans le formaldéhyde de Damien Hirst; de l'icone de la Vierge Marie en crottes d'éléphants de Chris Ofili; du crucifix noyé dans un mélange d'urine et de sang de vache du photographe Andres Serrano, des porcelaines ultra kitch de Jeff Koons, de l'urinoir de Marcel Duchamp, des scènes sado-maso de Robert Mapplethorpe, et cetera, et cetera. Est-ce que ces pièces sont des objets d'art parce qu'elles sont exposées dans des musées? Est-ce que leurs Tous réduits à lire l'art Russell Smith signait récemment une chronique dans le Globe and Mail sur le milieu branché de l'art contemporain torontois. Il y traitait d'une tendance de plus en plus lourde dans les galeries et musées: l'incontournable lecture du catalogue d'exposition et/ou des petites affiches accompagnant les Ce que déplore l'auteur canadien, c'est que l'art ne se regarde plus, il se lit. Les oeuvres n'ont plus de signification sans les affiches et les essais qui les accompagnent. C'est qu'on peut faire La plupart des objets exposés dans Hitchcock et l'art ne sont pas aussi abstraits ou difficiles à déchiffrer que ceux mentionnés ci-haut. Même si certains tableaux gagnent en profondeur – ou en pertinence – une fois leur description lu, il reste que le gros de l'exposition est constitué de photographies, d'affiches promotionnelles et de scénarios-maquettes. Et que le rôle de la photographie de plateau et/ou de promotion est de créer de l'intérêt pour une nouvelle production. Que celui de l'affiche de cinéma est de vendre un film à des cinéphiles. Que le scénario-maquette n'est qu'un outil de travail – une étape – dans le long processus de production cinématographique. Et que finalement, ces artefacts sont tout sauf des objets d'art – ils sont des objets de consommation, des outils de travail, des accessoires publicitaires. Dans ce sens, Hitchcock et l'art en dit plus long sur l'époque dans laquelle vivent ses deux concepteurs – Guy Cogeval, directeur du MBA, et Dominique Païni, directeur de la Cinémathèque française, à Paris –, que sur les hypothétiques motivations qui auraient (peut-être) incité le maître à prendre les différentes décisions artistiques qu'il a prises. Ce n'est en fin de compte qu'une interprétation de l'oeuvre d'Hitchcock – la leur – qui est présentée ici et non celle du principal intéressé. Et comme n'importe quelle interprétation, il s'agit d'un regard très subjectif sur un objet donné – en l'occurrence, quelques films de suspense. Ce que Cogeval et Païni ont vu dans le cinéma d'Hitchcock, vous ne le verrez pas nécessairement...
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