Montréal, 3 février 2001  /  No 76
 
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
 
FALARDEAU, LES PATRIOTES
ET LA CENSURE
 
par Gilles Guénette
  
  
          Si pour plusieurs artistes de gauche, être réellement libre signifie être libre de travailler en dehors des lois du marché, ne faudrait-il pas, à tout le moins, que soient tenus de travailler en dehors des lois du secteur public ceux qui font dans l'art politique? Ne serait-ce que par respect pour les contribuables aux allégeances politiques divergentes qui immanquablement défraient la note. La controverse entourant le financement du dernier film de Pierre Falardeau par Téléfilm Canada donne une bonne occasion de s'attarder à toute la question de la censure politique. Si la liberté n'est pas une marque de yogourt, ne fait pas de la politique qui le veut...
 
L'oppresseur 
  
          15 février 1839 raconte les dernières 24 heures des patriotes De Lorimier et Hindelang condamnés à la pendaison, comment ils les passent à discuter, à boire & manger, à écrire ou à prier... en compagnie de leurs camarades de cellule. Dans le huis clos qu'impose la prison, les personnages de Falardeau sont dépeints comme des victimes plutôt articulées, rendues là où elles sont en raison de leurs profondes convictions. Évidemment, les patriotes sont les bons et les Anglais, les méchants. 
  
          Nathalie Petrowski avouait, dans une de ses récentes chroniques à La Presse, que même si elle n'avait pas toujours cru au projet de Falardeau, elle n'arrivait pas à comprendre pourquoi les bureaucrates de Téléfilm Canada n'avaient pas su « voir » la qualité du projet en question. Pour la journaliste, il ne peut y avoir qu'une seule raison pour expliquer les refus de financer répétés de l'organisme: « Si j'ai un jour douté que la censure politique soit à la source des refus de Téléfilm, je n'en doute plus aujourd'hui. »(1) 
  
          Chez Téléfilm, le problème en a toujours été un de forme: le scénario de Falardeau était faible et avait besoin d'être retravaillé: « Every time [Falardeau's demand] was turned down, it was mainly a question of the structure or the script, and reasons related to filmmaking, affirme François Macerola, directeur exécutif de l'organisme. With Falardeau, he brought the dossier to another level with the political aspect and he did his little show and that's fine. With someone like Falardeau, we know what we're in for. »(2) 
  
          Mais en plus de cette faiblesse d'écriture, il était aussi question de problèmes de perception et de conjoncture: le héros de Falardeau était jugé trop héroïque (!?) pour certains et l'organisme avait déjà financé une production traitant de la même période historique, soit le film Quand je serai parti... vous vivrez encore du cinéaste Michel Brault – qui aura été un véritable flop au box office...  
  
          Macerola, qui n'en est pas à ses premières armes avec Falardeau, ne se surprend pas des allégations de censure politique lancées par le cinéaste et son entourage: « [F]or us, it's a no-win situation. If we say no, there will be claims that it was politically influenced, and if we say yes, it's never enough. It's a bit hard to take [Falardeau] seriously when he's always bitching and complaining. » Tous les films du cinéaste sont d'ailleurs sortis dans la controverse... 
  
          À ce jour, on ne sait toujours pas si des pressions politiques ont été à l'oeuvre dans le dossier du 15 février 1839. Téléfilm, sans jamais s'expliquer, aura finalement fait volte-face et débloqué des fonds – une contribution de 250 000$ sur un budget total de 3 317 607$, « Autant dire, rien! » dixit le principal intéressé. « Ils se sont débarrassés de nous. Mais là, le public pourra enfin juger. Et dire si les gens de Téléfilm avaient raison, s'ils dormaient au gaz, [ou] s'ils ont reçu des ordres venant de plus haut. Il ne faut pas se conter d'histoires, il reste juste un moignon à leur fameux arm's lenght! »(3) 
  
L'opprimé 
  
          Y'a-t-il eu censure politique? Falardeau croit que oui – et un sondage maison nous révélerait sans doute que la majorité des artistes québécois pensent comme lui. Quoi qu'il en soit, la censure serait une pratique courante selon André Herman, directeur du département de cinéma de la très à gauche Université Concordia: « Very often, bureaucrats, when they consider a project, they read the script like an agenda – what should be there, what shouldn't be there. If someone just hints at something that might be controversial, it's not going to go. » 
  
 
     « Si Falardeau veut parler contre les Anglais, contre les Canadiens anglais, contre les fédéralistes ou contre les "crottés de boss", qu'il ait au moins la décence de le faire sans utiliser leur fric. » 
 
 
          Pour les tenants de la liberté d'expression de gauche (comme de droite), les organismes qui subventionnent, qu'ils soient fédéraux, provinciaux ou municipaux, ne devraient pas pouvoir discriminer. Mais lorsqu'il s'agit de propos qui, comme dans ce cas-ci, frisent la propagande haineuse, cette idée est-elle aussi facilement défendable? « Certainement! », s'empresseront de répliquer ces mêmes personnes... Sauf que, remplacez la tirade contre « les maudits Anglais » de Falardeau par un film où l'on insulterait à tour de bras « les maudits Québécois » et vous avez le catalogue entier de l'Union des artistes qui descend dans la rue pour réclamer la peau du salaud qui a approuvé ça – qu'il soit fonctionnaire ou pas. 
  
          Comme l'a déjà écrit Pierre Lemieux dans les pages du QL (voir LIBERTÉ D'EXPRESSION ABSOLUE, no 39), « Une défense absolutiste de la liberté d'expression – comme l'est la défense libertarienne – n'implique pas que son exercice doit être déchaîné. Car l'exercice de la liberté d'expression est naturellement limité par les droits de propriété: on est libre de dire ce qu'on veut, mais pas dans le salon de n'importe qui, et pas en utilisant les ressources de ceux qui ne sont pas d'accord. » 
  
          Si Falardeau veut parler contre les Anglais, contre les Canadiens anglais, contre les fédéralistes ou contre les « crottés de boss », qu'il ait au moins la décence de le faire sans utiliser leur fric (le cinéaste vous dira que c'est son argent – « It's my money, tabarnak. They steal the money from our pockets and then give it back to us. »(4) – mais bon...). En utilisant les fonds publics pour réaliser sa propagande séparatiste, Falardeau prend immanquablement une partie de la population en otage. Toutes les personnes qui ne partagent pas ses idées politiques sont obligées, bien malgré elles, de contribuer à leur apologie. 
  
L'utopie 
  
          Plutôt que de se battre pour que les fonctionnaires de la culture n'aient plus leur mot à dire dans l'attribution de subventions, qu'ils ne puissent plus faire de censure et ne soient que de vulgaires exécutants (le rêve!), Falardeau devrait se battre pour qu'Ottawa ou Québec laissent davantage d'argent dans ses poches – et dans celles d'individus ou d'entreprises susceptibles de financer la culture – pour qu'il puisse enfin tourner en toute liberté et sans avoir à toujours quêter.  
  
          Les problèmes d'éthique n'apparaissent que lorsque sont mêlées politique et contributions publiques. La seule façon de faire taire tous ses détracteurs et de ne pas se mettre en position de censure, c'est de se retirer du système d'« investissement » public.  
  
          Sur le marché, Falardeau serait libre de faire ce qu'il veut et de dire ce qu'il a envie de dire en n'ayant à rendre des comptes qu'à ses créanciers. Devant des entrepreneurs qui partagent sa vision des choses, ou qui croient en sa « valeur marchande », il n'aurait plus à constamment se justifier ou à se réajuster. Ceux-ci accepteraient de le financer avec leur fric parce qu'ils l'appuient dans sa démarche artistique, parce qu'ils aiment son approche coup-de-poing, parce qu'ils partagent ses orientations politiques...  
  
          Bien sûr, la censure existe dans le secteur privé. Pour tout entrepreneur prêt à financer Falardeau, il y en aurait sûrement des dizaines qui ne voudraient même pas que leur nom soit associé au sien – peut-on les blâmer? Sauf que par sa nature, la censure privée est plus facile à contourner qu'une censure publique. Dans le secteur privé, l'artiste fait affaire avec différents entrepreneurs ayant des opinions politiques diverses, des préoccupations sociales multiples, des goûts hétéroclites... Ses alternatives de financement sont nombreuses. Dans le secteur public, l'artiste fait affaire avec une seule « entité » monolithique ayant une seule ligne directrice... une sorte de gros « guichet unique », pour reprendre une expression typiquement interventionniste. Ses alternatives sont nulles. 
  
          Mais, pour les artistes d'ici, s'emmouracher du « marché », du « capitalisme », de la « concurrence » serait comme capituler devant l'ennemi. Mieux vaut continuer de rêver au jour où ils pourront faire ce qu'ils veulent, avec notre fric et en dehors des réalités du secteur privé, sans avoir de comptes à rendre à personne. Mieux vaut rêver du jour où des organismes comme Téléfilm, ou la SODEC, ne pourront plus faire de politique sur le dos de ceux qu'ils financent, l'artiste se gardant « le droit », lui, de les traîner dans la boue tout en acceptant leur argent. Oh! Les beaux jours... 
  
          En attendant, et sur une note un peu plus légère, dans les pages du Globe and Mail, à la question: « Que dirait Elvis Gratton de votre 15 février 1839? » Falardeau répond: « Oh, I don't think he'd even go into the cinema. He'd say, 'It's Falardeau, it's goddamned separatist propaganda.' »(5) 
  
  
1. Nathalie Petrowski, « Les bourreaux seront les pendus », La Presse, 23 janvier 2001, p. C3.  >>
2. Murray Whyte, « Quebec filmmaker accuses Telefilm of playing politics », National Post, 25 janvier 2001, p. B2.  >>
3. Marc-André Lussier, « Le monument de bronze de Pierre Falardeau », La Presse, 20 janvier 2001, p. C1.  >>
4. Brendan Kelly, « Rebel with a cause », The Gazette, 20 janvier 2001, p. D1.  >>
5. Matthew Hays, « A rebel's take on 1839 », The Globe and Mail, 26 janvier 2001.  >>
 
 
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Courrier des lecteurs 17-02-01: Falardeau et l'argent des autres
 
 
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