L'oppresseur
15 février 1839 raconte les dernières 24 heures des patriotes
De Lorimier et Hindelang condamnés à la pendaison, comment
ils les passent à discuter, à boire & manger, à
écrire ou à prier... en compagnie de leurs camarades de cellule.
Dans le huis clos qu'impose la prison, les personnages de Falardeau sont
dépeints comme des victimes plutôt articulées, rendues
là où elles sont en raison de leurs profondes convictions.
Évidemment, les patriotes sont les bons et les Anglais, les méchants.
Nathalie Petrowski avouait, dans une de ses récentes chroniques
à La Presse, que même si elle n'avait pas toujours
cru au projet de Falardeau, elle n'arrivait pas à comprendre pourquoi
les bureaucrates de Téléfilm Canada n'avaient pas su «
voir » la qualité du projet en question. Pour la journaliste,
il ne peut y avoir qu'une seule raison pour expliquer les refus de financer
répétés de l'organisme: « Si j'ai
un jour douté que la censure politique soit à la source des
refus de Téléfilm, je n'en doute plus aujourd'hui.
»(1)
Chez Téléfilm, le problème en a toujours été
un de forme: le scénario de Falardeau était faible et avait
besoin d'être retravaillé: « Every
time [Falardeau's demand] was turned down, it was mainly
a question of the structure or the script, and reasons related to filmmaking,
affirme François Macerola, directeur exécutif de l'organisme.
With Falardeau, he brought the dossier to another level with the political
aspect and he did his little show and that's fine. With someone like Falardeau,
we know what we're in for. »(2)
Mais en plus de cette faiblesse d'écriture, il était aussi
question de problèmes de perception et de conjoncture: le héros
de Falardeau était jugé trop héroïque (!?) pour
certains et l'organisme avait déjà financé une production
traitant de la même période historique, soit le film Quand
je serai parti... vous vivrez encore du cinéaste Michel Brault
– qui aura été un véritable flop au box office...
Macerola, qui n'en est pas à ses premières armes avec Falardeau,
ne se surprend pas des allégations de censure politique lancées
par le cinéaste et son entourage: « [F]or
us, it's a no-win situation. If we say no, there will be claims that it
was politically influenced, and if we say yes, it's never enough. It's
a bit hard to take [Falardeau] seriously when he's always
bitching and complaining. » Tous les
films du cinéaste sont d'ailleurs sortis dans la controverse...
À ce jour, on ne sait toujours pas si des pressions politiques ont
été à l'oeuvre dans le dossier du 15 février
1839. Téléfilm, sans jamais s'expliquer, aura finalement
fait volte-face et débloqué des fonds – une contribution
de 250 000$ sur un budget total de 3 317 607$,
« Autant dire, rien! » dixit
le principal intéressé. « Ils se sont
débarrassés de nous. Mais là, le public pourra enfin
juger. Et dire si les gens de Téléfilm avaient raison, s'ils
dormaient au gaz, [ou] s'ils ont reçu des ordres venant de plus
haut. Il ne faut pas se conter d'histoires, il reste juste un moignon à
leur fameux arm's lenght! »(3)
L'opprimé
Y'a-t-il eu censure politique? Falardeau croit que oui – et un sondage
maison nous révélerait sans doute que la majorité
des artistes québécois pensent comme lui. Quoi qu'il en soit,
la censure serait une pratique courante selon André Herman, directeur
du département de cinéma de la très à gauche
Université Concordia: « Very often,
bureaucrats, when they consider a project, they read the script like an
agenda – what should be there, what shouldn't be there. If someone just
hints at something that might be controversial, it's not going to go.
»
« Si Falardeau veut parler contre les Anglais, contre les Canadiens
anglais, contre les fédéralistes ou contre les "crottés
de boss", qu'il ait au moins la décence de le faire sans utiliser
leur fric. »
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Pour les tenants de la liberté d'expression de gauche (comme de
droite), les organismes qui subventionnent, qu'ils soient fédéraux,
provinciaux ou municipaux, ne devraient pas pouvoir discriminer. Mais lorsqu'il
s'agit de propos qui, comme dans ce cas-ci, frisent la propagande haineuse,
cette idée est-elle aussi facilement défendable? «
Certainement! », s'empresseront de répliquer ces mêmes
personnes... Sauf que, remplacez la tirade contre « les
maudits Anglais » de Falardeau par un film où
l'on insulterait à tour de bras « les maudits
Québécois » et vous avez le catalogue
entier de l'Union des artistes qui descend dans la rue pour réclamer
la peau du salaud qui a approuvé ça – qu'il soit fonctionnaire
ou pas.
Comme l'a déjà écrit Pierre Lemieux dans les pages
du QL (voir LIBERTÉ D'EXPRESSION ABSOLUE,
no 39), « Une
défense absolutiste de la liberté d'expression – comme l'est
la défense libertarienne – n'implique pas que son exercice doit
être déchaîné. Car l'exercice de la liberté
d'expression est naturellement limité par les droits de propriété:
on est libre de dire ce qu'on veut, mais pas dans le salon de n'importe
qui, et pas en utilisant les ressources de ceux qui ne sont pas d'accord.
»
Si Falardeau veut parler contre les Anglais, contre les Canadiens anglais,
contre les fédéralistes ou contre les « crottés
de boss », qu'il ait au moins la décence de le
faire sans utiliser leur fric (le cinéaste vous dira que c'est son
argent – « It's my money, tabarnak.
They steal the money from our pockets and then give it back to us.
»(4)
– mais bon...). En utilisant les fonds publics pour réaliser sa
propagande séparatiste, Falardeau prend immanquablement une partie
de la population en otage. Toutes les personnes qui ne partagent pas ses
idées politiques sont obligées, bien malgré elles,
de contribuer à leur apologie.
L'utopie
Plutôt que de se battre pour que les fonctionnaires de la culture
n'aient plus leur mot à dire dans l'attribution de subventions,
qu'ils ne puissent plus faire de censure et ne soient que de vulgaires
exécutants (le rêve!), Falardeau devrait se battre pour qu'Ottawa
ou Québec laissent davantage d'argent dans ses poches – et dans
celles d'individus ou d'entreprises susceptibles de financer la culture
– pour qu'il puisse enfin tourner en toute liberté et sans avoir
à toujours quêter.
Les problèmes d'éthique n'apparaissent que lorsque sont mêlées
politique et contributions publiques. La seule façon de faire taire
tous ses détracteurs et de ne pas se mettre en position de censure,
c'est de se retirer du système d'« investissement »
public.
Sur le marché, Falardeau serait libre de faire ce qu'il veut et
de dire ce qu'il a envie de dire en n'ayant à rendre des comptes
qu'à ses créanciers. Devant des entrepreneurs qui partagent
sa vision des choses, ou qui croient en sa « valeur
marchande », il n'aurait plus à constamment se
justifier ou à se réajuster. Ceux-ci accepteraient de le
financer avec leur fric parce qu'ils l'appuient dans sa démarche
artistique, parce qu'ils aiment son approche coup-de-poing, parce qu'ils
partagent ses orientations politiques...
Bien sûr, la censure existe dans le secteur privé. Pour tout
entrepreneur prêt à financer Falardeau, il y en aurait sûrement
des dizaines qui ne voudraient même pas que leur nom soit associé
au sien – peut-on les blâmer? Sauf que par sa nature, la censure
privée est plus facile à contourner qu'une censure publique.
Dans le secteur privé, l'artiste fait affaire avec différents
entrepreneurs ayant des opinions politiques diverses, des préoccupations
sociales multiples, des goûts hétéroclites... Ses alternatives
de financement sont nombreuses. Dans le secteur public, l'artiste fait
affaire avec une seule « entité » monolithique
ayant une seule ligne directrice... une sorte de gros « guichet
unique », pour reprendre une expression typiquement
interventionniste. Ses alternatives sont nulles.
Mais, pour les artistes d'ici, s'emmouracher du « marché
», du « capitalisme », de la «
concurrence » serait comme capituler devant l'ennemi. Mieux
vaut continuer de rêver au jour où ils pourront faire ce qu'ils
veulent, avec notre fric et en dehors des réalités du secteur
privé, sans avoir de comptes à rendre à personne.
Mieux vaut rêver du jour où des organismes comme Téléfilm,
ou la SODEC, ne pourront plus faire de politique sur le dos de ceux qu'ils
financent, l'artiste se gardant « le droit »,
lui, de les traîner dans la boue tout en acceptant leur argent. Oh!
Les beaux jours...
En attendant, et sur une note un peu plus légère, dans les
pages du Globe and Mail, à la question: « Que
dirait Elvis Gratton de votre 15 février 1839?
» Falardeau répond: « Oh,
I don't think he'd even go into the cinema. He'd say, 'It's Falardeau,
it's goddamned separatist propaganda.' »(5)
1.
Nathalie Petrowski, « Les bourreaux seront les pendus
», La Presse, 23 janvier 2001, p. C3. >> |
2.
Murray Whyte, « Quebec filmmaker accuses Telefilm of
playing politics », National Post, 25 janvier
2001, p. B2. >> |
3.
Marc-André Lussier, « Le monument de bronze de
Pierre Falardeau », La Presse, 20 janvier 2001,
p. C1. >> |
4.
Brendan Kelly, « Rebel with a cause »,
The Gazette, 20 janvier 2001, p. D1. >> |
5.
Matthew Hays, « A rebel's take on 1839 »,
The Globe and Mail, 26 janvier 2001. >> |
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