Dans un article publié en 1997 dans la revue Gestion, trois
chercheurs de l'École des Hautes Études Commerciales de Montréal
écrivaient ainsi que:
Force est de constater que depuis la révolution industrielle, nous
avons négligé [la qualité des relations que les personnes
établissent avec l'environnement naturel]. Nous nous sommes bercés
de l'illusion que les ressources naturelles étaient inépuisables
et nous avons cru que notre environnement proche et la planète en
général pouvaient absorber et regénérer éternellement
nos déchets domestiques et industriels, voire supporter une augmentation
infinie de production et de consommation. Nous nous apercevons aujourd'hui,
à force de pollution et de crises, que ces croyances sont à
la fois fausses et dangereuses.(1)
Les auteurs soulignent toutefois que plusieurs études indiquent
fort clairement que de nombreuses innovations environnementales sont bénéfiques,
non seulement pour la nature, mais également pour la rentabilité
de nos entreprises, la santé de nos économies et notre santé
en tant qu'êtres vivants. Mais parce qu'elles n'ont pas été
innovatrices par le passé, bon nombre d'entreprises sont aujourd'hui
forcées d'innover précipitamment, en réaction aux
contraintes exercées par la concurrence ou la réglementation.
Les auteurs soutiennent cependant que des innovations ponctuelles sont
insuffisantes et que nous devons adopter la perspective des «
écosystèmes industriel » où
la nature n'est plus considérée comme « seulement
un moyen de servir l'économie mais comme la source même de
vie. » Le modèle par excellence des «
écosystèmes industriels » est la
petite ville danoise de Kalundborg, située à une centaine
de kilomètres à l'ouest de Copenhague. Depuis le début
des années 1970, les entreprises de la région ont en effet
développé une symbiose remarquable pour recycler leurs déchets.
« Plusieurs études indiquent fort clairement que de nombreuses
innovations environnementales sont bénéfiques, non seulement
pour la nature, mais également pour la rentabilité de nos
entreprises, la santé de nos économies et notre santé
en tant qu'êtres vivants. »
|
|
Ce système regroupe une douzaine d'entreprises, dont notamment une
centrale électrique, une usine de cloisons, une usine d'enzymes,
une cimenterie, une usine chimique, une raffinerie, une pisciculture, des
exploitations agricoles et la ville de Kalundborg. Par exemple, la centrale
électrique (alimentée au charbon) vend une partie de sa vapeur
à l'usine d'enzymes pharmaceutiques et à la raffinerie. Elle
vend également ses cendres à la cimenterie et ses surplus
thermiques à la municipalité pour le chauffage urbain.
La raffinerie fournit en retour à la centrale ses rejets d'eau traitée
à nouveau pour le refroidissement ainsi que du gaz désulfuré.
Le soufre récupérée est vendu à l'usine d'acide
sulfurique qui consomme également de l'huile lourde, un autre sous-produit
de la centrale. De plus, la centrale thermique vend ses gaz à forte
teneur en soufre à l'usine d'acide sulfurique et fournit, sous forme
de boues de sulfate de calcium, un substitut au gypse utilisé par
l'usine de cloisons.
Cette usine reçoit également de la cimenterie du ciment non
utilisable pour la construction, ce qui permet de réduire d'autant
plus l'achat de gypse minier. La centrale chauffe également une
pisciculture produisant plus de 250 tonnes de truites et de turbots annuellement,
qui à son tour fournit ses sous-produits aux fermes locales qui
les utilisent comme fertilisant en addition des déchets de fermentation
reçus de l'usine d'enzymes.
Bon nombre d'observateurs ne tarissent pas d'éloge à l'endroit
de Kalundborg. La plupart d'entre eux croient cependant que de tels exemples
ne sont pas typiques dans une économie de marché. Les chercheurs
des HEC écrivent ainsi que « cette notion semble
répondre partiellement à l'actuelle reconnaissance du fait
que, si nous désirons réellement venir à bout de la
crise environnementale, nous nous devons de remplacer la vision du "contrat
social". Par un nouveau "contrat naturel" émanant de considérations
plus écocentriques » (p. 64), mais que pour concrétiser
d'autres Kalundborg, nous devons formuler un « esprit
volontariste et communautaire des acteurs (industrie, communauté
et gouvernement) fondé sur les spécificités et les
richesses locales désireux de s'enraciner dans la réalité
sociale et naturelle » (idem).
Comme je l'expliquerai toutefois plus en détail dans ma
prochaine chronique, rien de tout cela n'est nécessaire, car
il est dans la nature des économies de marché de créer
spontanément des exemples similaires à Kalunborg.
1.
Mehran Ebrahimi, Thierry C. Pauchant et Laurent Simon, « Enraciner
l'économie dans l'écologie: Des grappes industrielles aux
systèmes industriels », Gestion 22 (2):
p. 60-65, 1997. >> |
|