Montréal, 3 mars 2001  /  No 78
 
 
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Pierre Desrochers est post-doctoral fellow à la Whiting School of Engineering de l'Université Johns Hopkins à Baltimore. 
 
LE MARCHÉ LIBRE
  
LES ÉCOSYSTÈMES INDUSTRIELS ET
LA NATURE DE L'ÉCONOMIE DE MARCHÉ
(première partie)
 
par Pierre Desrochers
  
 
          Comme je l'ai souligné dans certaines de mes chroniques (voir LES BOLCHÉVIKS DE L'ENVIRONNEMENT, le QL, no 36 et LES PIRATES DE LA FORÊT PUBLIQUE, le QL, no 54), bon nombre d'experts croient que le développement économique des trois derniers siècles n'est pas viable à long terme. 
 
          Dans un article publié en 1997 dans la revue Gestion, trois chercheurs de l'École des Hautes Études Commerciales de Montréal écrivaient ainsi que: 
          Force est de constater que depuis la révolution industrielle, nous avons négligé [la qualité des relations que les personnes établissent avec l'environnement naturel]. Nous nous sommes bercés de l'illusion que les ressources naturelles étaient inépuisables et nous avons cru que notre environnement proche et la planète en général pouvaient absorber et regénérer éternellement nos déchets domestiques et industriels, voire supporter une augmentation infinie de production et de consommation. Nous nous apercevons aujourd'hui, à force de pollution et de crises, que ces croyances sont à la fois fausses et dangereuses.(1)
          Les auteurs soulignent toutefois que plusieurs études indiquent fort clairement que de nombreuses innovations environnementales sont bénéfiques, non seulement pour la nature, mais également pour la rentabilité de nos entreprises, la santé de nos économies et notre santé en tant qu'êtres vivants. Mais parce qu'elles n'ont pas été innovatrices par le passé, bon nombre d'entreprises sont aujourd'hui forcées d'innover précipitamment, en réaction aux contraintes exercées par la concurrence ou la réglementation. 
  
          Les auteurs soutiennent cependant que des innovations ponctuelles sont insuffisantes et que nous devons adopter la perspective des « écosystèmes industriel » où la nature n'est plus considérée comme « seulement un moyen de servir l'économie mais comme la source même de vie. » Le modèle par excellence des « écosystèmes industriels » est la petite ville danoise de Kalundborg, située à une centaine de kilomètres à l'ouest de Copenhague. Depuis le début des années 1970, les entreprises de la région ont en effet développé une symbiose remarquable pour recycler leurs déchets. 
 
  
     « Plusieurs études indiquent fort clairement que de nombreuses innovations environnementales sont bénéfiques, non seulement pour la nature, mais également pour la rentabilité de nos entreprises, la santé de nos économies et notre santé en tant qu'êtres vivants. »  
 
  
          Ce système regroupe une douzaine d'entreprises, dont notamment une centrale électrique, une usine de cloisons, une usine d'enzymes, une cimenterie, une usine chimique, une raffinerie, une pisciculture, des exploitations agricoles et la ville de Kalundborg. Par exemple, la centrale électrique (alimentée au charbon) vend une partie de sa vapeur à l'usine d'enzymes pharmaceutiques et à la raffinerie. Elle vend également ses cendres à la cimenterie et ses surplus thermiques à la municipalité pour le chauffage urbain. 
  
          La raffinerie fournit en retour à la centrale ses rejets d'eau traitée à nouveau pour le refroidissement ainsi que du gaz désulfuré. Le soufre récupérée est vendu à l'usine d'acide sulfurique qui consomme également de l'huile lourde, un autre sous-produit de la centrale. De plus, la centrale thermique vend ses gaz à forte teneur en soufre à l'usine d'acide sulfurique et fournit, sous forme de boues de sulfate de calcium, un substitut au gypse utilisé par l'usine de cloisons. 
  
          Cette usine reçoit également de la cimenterie du ciment non utilisable pour la construction, ce qui permet de réduire d'autant plus l'achat de gypse minier. La centrale chauffe également une pisciculture produisant plus de 250 tonnes de truites et de turbots annuellement, qui à son tour fournit ses sous-produits aux fermes locales qui les utilisent comme fertilisant en addition des déchets de fermentation reçus de l'usine d'enzymes. 
  
          Bon nombre d'observateurs ne tarissent pas d'éloge à l'endroit de Kalundborg. La plupart d'entre eux croient cependant que de tels exemples ne sont pas typiques dans une économie de marché. Les chercheurs des HEC écrivent ainsi que « cette notion semble répondre partiellement à l'actuelle reconnaissance du fait que, si nous désirons réellement venir à bout de la crise environnementale, nous nous devons de remplacer la vision du "contrat social". Par un nouveau "contrat naturel" émanant de considérations plus écocentriques » (p. 64), mais que pour concrétiser d'autres Kalundborg, nous devons formuler un « esprit volontariste et communautaire des acteurs (industrie, communauté et gouvernement) fondé sur les spécificités et les richesses locales désireux de s'enraciner dans la réalité sociale et naturelle » (idem). 
  
          Comme je l'expliquerai toutefois plus en détail dans ma prochaine chronique, rien de tout cela n'est nécessaire, car il est dans la nature des économies de marché de créer spontanément des exemples similaires à Kalunborg. 
  
  
1. Mehran Ebrahimi, Thierry C. Pauchant et Laurent Simon, « Enraciner l'économie dans l'écologie: Des grappes industrielles aux systèmes industriels », Gestion 22 (2): p. 60-65, 1997.  >>
 
 
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