Ce
monde n'est pas pour nous...
Le suicide est la toute première cause de mortalité chez
les hommes de 20 à 40 ans au Québec et, selon les données
de l'Institut de la statistique, la seule cause de mortalité qui
soit en nette progression depuis les dix dernières années.
En 1999, sur les 1551 personnes qui se sont enlevé la vie, 1233
étaient des hommes. Les plus récentes statistiques révèlent
qu'un homme de 20 à 40 ans se tue à toutes les 17 heures
et demi dans la Belle Province. C'est plus que partout ailleurs au Canada.
Ces statistiques ne tiennent pas compte des hommes qui ne réussissent
pas leur coup, de ceux qui meurent dans des circonstances qui à
première vue semblent être des accidents mais qui au fond
n'en sont pas et de ceux qui se défoncent jour après jour
et dont la vie n'est en fait qu'un long suicide tranquille. On connaît
tous quelqu'un qui entrent dans l'une ou l'autre de ces catégories,
on connaît tous quelqu'un qui s'est enlevé la vie...
Dans un communiqué intitulé La souffrance n'a pas de genre...
et diffusé l'an dernier par l'Association québécoise
de suicidologie, on imputait ce haut taux de suicides à deux facteurs:
1) la socialisation masculine qui facilite, d'une part, l'émergence
de certains facteurs de risque et, d'autre part, inhibe certains facteurs
de protection et 2) un réseau social beaucoup moins développé
chez l'homme que chez la femme, ce qui rend plus difficile la détection
et la prévention.
Mention anodine au bout d'un paragraphe: « Enfin, les
années post-révolution tranquille semblent offrir de meilleures
possibilités d'avenir aux femmes, alors qu'elles laissent les hommes
dans un certain flou identitaire. » Se pourrait-il que
notre mythique Révolution tranquille soit partiellement responsable
de ce « malaise » qui chaque année chope
la vie de milliers de Québécois? Une étude approfondie
du sujet nous éclairerait sans doute, mais pour l'instant, le fait
que le groupe d'hommes qui s'enlèvent le plus la vie soit celui
des 20/40 ans – les enfants de cette révolution et leurs propres
enfants – en dit suffisamment long...
Say
You Want a Revolution
Pourquoi plus ici qu'ailleurs? Le principal changement majeur à
s'être produit depuis la Révolution tranquille dans la vie
des Québécois, et qui expliquerait peut-être pourquoi
le Québec possède l'un des plus haut taux de suicide masculin
de tous les pays industrialisés, est l'élargissement de l'État.
Si pour plusieurs la Révolution tranquille signale l'entrée
du Québec dans la modernité, dans les faits, elle signale
l'entrée en scène de l'État tel qu'on le connaît
aujourd'hui: omniprésent.
Comme l'écrivait Jean-Luc Migué l'an dernier dans les pages
du QL: « Concrètement, modèle québécois
et révolution tranquille ont voulu dire gonflement de la taille
de l'État par l'explosion des dépenses et l'alourdissement
consécutif de la fiscalité: la part de l'État de l'activité
économique est passée de 27-28% en 1960 à plus de
50% au début des années 90. » (LA
RÉVOLUTION TRANQUILLE, UN TOURNANT POUR LE PIRE,
le QL, no 56)
« L'homme traditionnel dont le rôle était de protéger
et de subvenir aux besoins de sa famille a été détrôné
par le bureaucrate. En tout cas, plus ici qu'ailleurs. »
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Une des principales conséquences de ce gonflement de l'État
dans la Belle Province aura été la transformation par le
haut de la société, c'est-à-dire le remplacement des
règles qui régissaient la vie des Québécois
depuis des décennies par de nouvelles règles imaginées
par une classe montante de bureaucrates. Des changements qui bien sûr
ont eu d'importantes répercussions sur les rapports qu'entretenaient
entre eux les citoyens, mais aussi sur tout ce qui touchait le domaine
du privé.
Certains diront, « Oui, mais nous vivons dans un monde
violent et impersonnel où tout va maintenant plus vite qu'avant
et c'est là la véritable cause du mal de vivre des
Québécois ». Comment expliquer alors que
les hommes d'ici se suicident plus qu'ailleurs? Les Québécois
font-ils face à un monde plus violent ou impersonnel que d'autres
ailleurs? Leur réalité est-elle pire que celle des Ontariens,
des Américains ou des Australiens? Et les femmes, comment expliquer
qu'elles ne se suicident pas en aussi grand nombre?
Peut-être s'accommodent-elles mieux d'un État-providence qui
prend soin d'elles que leur tendre moitié. Comme Martin Masse le
mentionnait dans un Courrier des lecteurs (le QL, no
70), « Ne trouvez-vous pas ironique de voir
toutes ces féministes prétendument « libérées
» des structures patriarcales et du pouvoir masculin clamer
leur attachement au paternalisme d'État et exiger une dépendance
encore plus grande envers le pouvoir public? » La Révolution
tranquille n'aurait finalement pas changé grand-chose dans la vie
des femmes: « Un homme, un programme, l'important c'est
que je puisse élever mes enfants! »
Mais pendant que madame jouit de son nouveau statut, monsieur se questionne:
« Si elle peut élever sans moi fiston, que sont
devenues mes fonctions? Si elle n'a même plus besoin de moi pour
la protéger, ai-je encore une quelconque utilité? »
Il semblerait que non. L'homme traditionnel dont le rôle était
de protéger et de subvenir aux besoins de sa famille a été
détrôné par le bureaucrate. En tout cas, plus ici qu'ailleurs.
Si les années post-révolution tranquille « semblent
offrir de meilleures possibilités d'avenir aux femmes »
et que les hommes se retrouvent « dans un certain flou
identitaire », c'est peut-être à cause
de cette transformation par le haut de la société entreprise
avec la Révolution tranquille. Ça expliquerait certaines
choses. Ça confirmerait en tout cas ce que dit Migué: l'organisation
centralisée de la société ne peut pas fonctionner:
Les décideurs publics [sont] incapables d'appréhender et
de traiter l'infinie variété d'informations que la coordination
sociale implique. [...] l'ordre qui règne dans une société
repose sur la division et la combinaison des connaissances diffusées
à travers la multitude des individus. [...] L'illusion fatale domine
pourtant la pensée chez nous, selon laquelle la poursuite aveugle
de leurs intérêts par les individus mène à
l'arbitraire et au désordre, à moins que les experts de l'État,
guidés par les élus, n'introduisent la rationalité
dans ce chaos. (Étatisme
et déclin du Québec: Bilan de la Révolution tranquille)
L'homme
surprotégé
Il n'existe pas de solution magique. Cette « problématique
» est évidemment très complexe. Mais pour s'y
attaquer, l'État pourrait commencer par se retirer graduellement
de la gestion au quotidien de la vie du citoyen pour le laisser se débrouiller
davantage avec les conséquences de ses actes. Il pourrait cesser
de l'encourager à adopter des comportements irresponsables et arrêter
de le prendre pour un être « à améliorer
» qu'il faut continuellement sensibiliser.
Plus facile à dire qu'à faire! La pléiade de groupes
d'aide/de pression et d'intervenants sociaux que l'État a aidé
à constituer au fil des ans refusent systématiquement de
remettre en question quelque « acquis » que ce
soit. Pourquoi s'attaquer au coeur du problème et risquer de rendre
obsolètes des dizaines de programmes d'aide aux « bénéficiaires
» quand on peut chercher de nouvelles façon de mieux
(?) les encadrer – tout en conservant nos emplois bien rémunérés?
Nul ne peut douter des bonnes intentions des gens qui oeuvrent dans le
domaine de la prévention du suicide, sauf qu'après plusieurs
années d'intervention, force est de constater qu'eux et leur «
patron » font davantage partie du problème que de la
solution.
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