Le problème, comme je le soulignais dans ma dernière chronique,
c'est que la plupart des maux identifiés par les fonctionnaires
québécois résultent pour l'essentiel des interventions
des planificateurs urbains de l'après-guerre et qu'en raison de
la politique essentiellement inexistante de l'administration Drapeau en
matière d'aménagement urbain, Montréal est de loin
l'une des villes les plus vivables d'Amérique. Je vais aujourd'hui
traiter davantage de certains mythes véhiculés par les tenants
de la « smart growth
» qui ont fortement influencé la « réflection
» de nos politiciens et fonctionnaires, mais qui ne résistent
pas à l'analyse.
1.
L'étalement urbain s'explique par le poids politique des banlieues
Dans une chronique publiée le 25 juillet dernier, le chroniqueur
Henry Aubin de la Gazette écrivait que les tentatives précédentes
du gouvernement québécois de freiner l'étalement urbain
ont échoué en raison du poids politique des banlieues. Il
est vrai que Laval et les couronnes nord et sud de la région montréalaise
jouissent aujourd'hui d'un poids politique accru, mais il ne faudrait pas
confondre la cause et l'effet. L'étalement urbain est aussi ancien
que les villes prospères qui, de tout temps, ont vu leur périmètre
urbanisé s'étendre pour loger une population croissante et
plus riche.
Le plateau Mont-Royal et Saint-Henri ont ainsi déjà été
des banlieues de l'agglomération montréalaise avant que Villeray
et l'est de la métropole n'aient été développés
par des promoteurs qui y ont construit des logements généralement
plus grands et confortables. L'essor des bungalows à Laval et sur
la rive-sud a par la suite suivi une logique similaire. Dans une économie
de marché, les promoteurs immobiliers ayant du succès répondent
aux attentes de leur clientèle plutôt que de leur imposer
leur vision du développement. Que l'on approuve ou non du choix
des consommateurs, on ne peut nier que l'immense majorité d'entre
eux préfèrent vivre dans une demeure unifamiliale entourée
d'un peu de verdure.
2.
L'étalement urbain menace notre approvisionnement agricole
Comme je l'ai souligné plus en détail dans une chronique
précédente (voir LE ZONAGE AGRICOLE,
20 ANS APRÈS, le QL, no
33), l'étalement urbain actuel ne menace pas notre approvisionnement
agricole en raison de la croissance remarquable de la productivité
dans ce secteur au cours des dernières décennies. On produit
beaucoup plus aujourd'hui sur le même lopin de terre qu'il y a quelques
décennies à peine. De plus, les campagnes de l'Amérique
du nord continuent de se vider.
J'ai eu l'occasion il y a quelques années de rouler de Montréal
au Montana, ce qui m'a donné le loisir d'écouter sur les
ondes des radios locales des débats passionnés sur l'exode
des jeunes et des moins jeunes dans le nord de l'État de New York,
le sud du Minnesota et l'ouest du Nebraska. Plusieurs terres agricoles
ayant été abandonnées sont depuis redevenues des forêts,
à un point tel que le couvert forestier d'Amérique du nord
ne cesse de croître et est maintenu comparable à celui que
l'on observait en 1920, malgré une population près de trois
fois plus nombreuse.
3.
La densification urbaine permet de combattre l'effet de serre
Un préjugé tenace veut que la densification du tissu urbain
permette, par la réduction du nombre d'automobiles, de combattre
les gaz à effet de serre. La réalité est cependant
plus complexe. Tout d'abord, la pollution émise par les véhicules
automobiles ne dépend pas de leur nombre, mais de leur technologie.
Malgré une augmentation considérable du nombre d'automobiles
au cours des dernières décennies, il est maintenant reconnu
que la pollution d'origine automobile est aujourd'hui bien moindre qu'elle
ne l'était il y a une cinquantaine d'années (bien que je
ne possède pas de données sur le sujet, je ne serais pas
surpris d'apprendre que les SUV nord-américains sont bien moins
polluants que les petites automobiles françaises carburant au diesel).
« La plupart des maux identifiés par les fonctionnaires québécois
résultent pour l'essentiel des interventions des planificateurs
urbains de l'après-guerre et en raison de la politique essentiellement
inexistante de l'administration Drapeau en matière d'aménagement
urbain, Montréal est de loin l'une des villes les plus vivables
d'Amérique. » |
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De plus, le niveau de pollution ne dépend pas du volume des autoroutes,
mais de la nature des déplacements. Une autoroute achalandée,
mais où les véhicules circulent à une vitesse élevée
et constante, cause beaucoup moins de pollution qu'une artère urbaine
où les véhicules roulent moins vite et s'arrêtent fréquemment,
car l'essentiel de la pollution automobile est générée
dans les phases de « stop and go
» plutôt que lorsqu'une vitesse de croisière
élevée est maintenue de façon constante. Paradoxalement,
la construction d'autoroutes supplémentaires rendant la circulation
automobile plus fluide réduit la pollution automobile, même
si elle peut augmenter le volume du trafic routier (ce qui est d'ailleurs
rarement le cas, car la croissance du nombre de véhicules s'explique
souvent par une diminution de la circulation sur les routes secondaires
au profit des autoroutes).
4.
Le train de banlieue est une alternative efficace au transport autoroutier
Le succès des trains de banlieue dans la région montréalaise
a peu d'équivalent en Amérique du nord. J'avoue ne pas savoir
s'ils sont rentables pour l'Agence métropolitaine de transport,
mais l'expérience nord-américaine nous apprend cependant
qu'ils ne l'ont pas été ailleurs et qu'UNE nouvelle voie
autoroutière transporte en moyenne quatre ou cinq fois plus d'individus
quotidiennement que les trains les plus achalandés. De plus, une
portion importante de l'achalandage sur les nouveaux trains de banlieue
ne résulte pas de la réduction du nombre d'automobilistes,
mais du « transfert » d'individus qui utilisaient
auparavant l'autobus.
Montréal est peut-être cependant l'exception à la règle
en raison de la vigueur (relative) de son centre-ville, de la configuration
géographique de l'Archipel Hochelaga et de l'absence d'autoroutes
de ceinture comparables à celui des grandes villes américaines.
Quoiqu'il en soit, les bénéfices de la privatisation du réseau
autoroutier (tarification adaptée à l'heure du jour, qualité
accrue de l'état de la route, etc.) ne devraient pas être
écartés sous prétexte de nuire au développement
du train de banlieue.
Conclusion
Quel modèle pour la région montréalaise? Comme l'ont
souligné plusieurs critiques crédibles de la «
smart growth », les
nouvelles prescriptions urbanistiques à la mode s'attaquent le plus
souvent à de mauvais (pour ne pas dire de faux) problèmes
et ne livreront pas la marchandise. L'introduction de mécanismes
marchands, tels que la privatisation des autoroutes, solutionnerait la
plupart de nos problèmes actuels sans brimer la liberté de
choix des citoyens.
J'ajouterais pour ma part que l'idéal des fonctionnaires et des
politiciens québécois existe déjà et qu'ils
auraient intérêt à en faire l'expérience: Tokyo.
Pour avoir vécu quelques temps dans la banlieue de la mégapole
japonaise et avoir (sur)vécu à son train de banlieue et ses
bouchons de circulation de fin de semaine, je ne vois pas en quoi la densité
urbaine excessive et ses coûts élevés en termes de
temps, de logement et d'entassement devraient servir de modèle à
des Nord-Américains qui peuvent aspirer à mieux.
La vie en ville est agréable et fonctionnelle à plusieurs
points de vue et je m'imagine difficilement vivre hors de l'île ou
trop loin d'une station de métro. Il n'y a toutefois aucune raison
valable d'imposer ce mode de vie à des gens qui préfèrent
élever leur famille en banlieue ou simplement jouir d'un peu de
verdure dans leur cour arrière. Le rêve américain n'a
rien d'un cauchemar.
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