Montréal, 1er septembre 2001  /  No 87  
  
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Pierre Desrochers est post-doctoral fellow à la Whiting School of Engineering de l'Université Johns Hopkins à Baltimore. 
 
LE MARCHÉ LIBRE 
  
LE DÉVELOPPEMENT « ANARCHIQUE » DE L'AGGLOMÉRATION MONTRÉALAISE: CAUCHEMAR URBAIN OU MALADIE IMAGINAIRE? (seconde partie)
 
par Pierre Desrochers
  
 
          Le Conseil des ministres du gouvernement du Québec rendait récemment public les grandes lignes du nouveau cadre d'aménagement pour la région montréalaise (voir chronique précédente). Comme on pouvait s'y attendre, les planificateurs provinciaux ne sont pas fait tendres pour l'anarchie des forces du marché et nous annoncent qu'ils prendront la manière forte pour imposer leur vision « cohérente » d'un développement intelligent, « axé sur l'existant » et la densification du tissu urbain.
 
          Le problème, comme je le soulignais dans ma dernière chronique, c'est que la plupart des maux identifiés par les fonctionnaires québécois résultent pour l'essentiel des interventions des planificateurs urbains de l'après-guerre et qu'en raison de la politique essentiellement inexistante de l'administration Drapeau en matière d'aménagement urbain, Montréal est de loin l'une des villes les plus vivables d'Amérique. Je vais aujourd'hui traiter davantage de certains mythes véhiculés par les tenants de la « smart growth » qui ont fortement influencé la « réflection » de nos politiciens et fonctionnaires, mais qui ne résistent pas à l'analyse. 

1. L'étalement urbain s'explique par le poids politique des banlieues 
  
          Dans une chronique publiée le 25 juillet dernier, le chroniqueur Henry Aubin de la Gazette écrivait que les tentatives précédentes du gouvernement québécois de freiner l'étalement urbain ont échoué en raison du poids politique des banlieues. Il est vrai que Laval et les couronnes nord et sud de la région montréalaise jouissent aujourd'hui d'un poids politique accru, mais il ne faudrait pas confondre la cause et l'effet. L'étalement urbain est aussi ancien que les villes prospères qui, de tout temps, ont vu leur périmètre urbanisé s'étendre pour loger une population croissante et plus riche.  
  
          Le plateau Mont-Royal et Saint-Henri ont ainsi déjà été des banlieues de l'agglomération montréalaise avant que Villeray et l'est de la métropole n'aient été développés par des promoteurs qui y ont construit des logements généralement plus grands et confortables. L'essor des bungalows à Laval et sur la rive-sud a par la suite suivi une logique similaire. Dans une économie de marché, les promoteurs immobiliers ayant du succès répondent aux attentes de leur clientèle plutôt que de leur imposer leur vision du développement. Que l'on approuve ou non du choix des consommateurs, on ne peut nier que l'immense majorité d'entre eux préfèrent vivre dans une demeure unifamiliale entourée d'un peu de verdure. 

2. L'étalement urbain menace notre approvisionnement agricole 
  
          Comme je l'ai souligné plus en détail dans une chronique précédente (voir LE ZONAGE AGRICOLE, 20 ANS APRÈS, le QL, no 33), l'étalement urbain actuel ne menace pas notre approvisionnement agricole en raison de la croissance remarquable de la productivité dans ce secteur au cours des dernières décennies. On produit beaucoup plus aujourd'hui sur le même lopin de terre qu'il y a quelques décennies à peine. De plus, les campagnes de l'Amérique du nord continuent de se vider.  
  
          J'ai eu l'occasion il y a quelques années de rouler de Montréal au Montana, ce qui m'a donné le loisir d'écouter sur les ondes des radios locales des débats passionnés sur l'exode des jeunes et des moins jeunes dans le nord de l'État de New York, le sud du Minnesota et l'ouest du Nebraska. Plusieurs terres agricoles ayant été abandonnées sont depuis redevenues des forêts, à un point tel que le couvert forestier d'Amérique du nord ne cesse de croître et est maintenu comparable à celui que l'on observait en 1920, malgré une population près de trois fois plus nombreuse. 
  
3. La densification urbaine permet de combattre l'effet de serre 
  
          Un préjugé tenace veut que la densification du tissu urbain permette, par la réduction du nombre d'automobiles, de combattre les gaz à effet de serre. La réalité est cependant plus complexe. Tout d'abord, la pollution émise par les véhicules automobiles ne dépend pas de leur nombre, mais de leur technologie. Malgré une augmentation considérable du nombre d'automobiles au cours des dernières décennies, il est maintenant reconnu que la pollution d'origine automobile est aujourd'hui bien moindre qu'elle ne l'était il y a une cinquantaine d'années (bien que je ne possède pas de données sur le sujet, je ne serais pas surpris d'apprendre que les SUV nord-américains sont bien moins polluants que les petites automobiles françaises carburant au diesel). 
  

     « La plupart des maux identifiés par les fonctionnaires québécois résultent pour l'essentiel des interventions des planificateurs urbains de l'après-guerre et en raison de la politique essentiellement inexistante de l'administration Drapeau en matière d'aménagement urbain, Montréal est de loin l'une des villes les plus vivables d'Amérique. »
 
          De plus, le niveau de pollution ne dépend pas du volume des autoroutes, mais de la nature des déplacements. Une autoroute achalandée, mais où les véhicules circulent à une vitesse élevée et constante, cause beaucoup moins de pollution qu'une artère urbaine où les véhicules roulent moins vite et s'arrêtent fréquemment, car l'essentiel de la pollution automobile est générée dans les phases de « stop and go » plutôt que lorsqu'une vitesse de croisière élevée est maintenue de façon constante. Paradoxalement, la construction d'autoroutes supplémentaires rendant la circulation automobile plus fluide réduit la pollution automobile, même si elle peut augmenter le volume du trafic routier (ce qui est d'ailleurs rarement le cas, car la croissance du nombre de véhicules s'explique souvent par une diminution de la circulation sur les routes secondaires au profit des autoroutes). 

4. Le train de banlieue est une alternative efficace au transport autoroutier 
  
          Le succès des trains de banlieue dans la région montréalaise a peu d'équivalent en Amérique du nord. J'avoue ne pas savoir s'ils sont rentables pour l'Agence métropolitaine de transport, mais l'expérience nord-américaine nous apprend cependant qu'ils ne l'ont pas été ailleurs et qu'UNE nouvelle voie autoroutière transporte en moyenne quatre ou cinq fois plus d'individus quotidiennement que les trains les plus achalandés. De plus, une portion importante de l'achalandage sur les  nouveaux trains de banlieue ne résulte pas de la réduction du nombre d'automobilistes, mais du « transfert » d'individus qui utilisaient auparavant l'autobus.  
  
          Montréal est peut-être cependant l'exception à la règle en raison de la vigueur (relative) de son centre-ville, de la configuration géographique de l'Archipel Hochelaga et de l'absence d'autoroutes de ceinture comparables à celui des grandes villes américaines. Quoiqu'il en soit, les bénéfices de la privatisation du réseau autoroutier (tarification adaptée à l'heure du jour, qualité accrue de l'état de la route, etc.) ne devraient pas être écartés sous prétexte de nuire au développement du train de banlieue.  
  
Conclusion 
  
          Quel modèle pour la région montréalaise? Comme l'ont souligné plusieurs critiques crédibles de la « smart growth », les nouvelles prescriptions urbanistiques à la mode s'attaquent le plus souvent à de mauvais (pour ne pas dire de faux) problèmes et ne livreront pas la marchandise. L'introduction de mécanismes marchands, tels que la privatisation des autoroutes, solutionnerait la plupart de nos problèmes actuels sans brimer la liberté de choix des citoyens.  
  
          J'ajouterais pour ma part que l'idéal des fonctionnaires et des politiciens québécois existe déjà et qu'ils auraient intérêt à en faire l'expérience: Tokyo. Pour avoir vécu quelques temps dans la banlieue de la mégapole japonaise et avoir (sur)vécu à son train de banlieue et ses bouchons de circulation de fin de semaine, je ne vois pas en quoi la densité urbaine excessive et ses coûts élevés en termes de temps, de logement et d'entassement devraient servir de modèle à des Nord-Américains qui peuvent aspirer à mieux.  
  
          La vie en ville est agréable et fonctionnelle à plusieurs points de vue et je m'imagine difficilement vivre hors de l'île ou trop loin d'une station de métro. Il n'y a toutefois aucune raison valable d'imposer ce mode de vie à des gens qui préfèrent élever leur famille en banlieue ou simplement jouir d'un peu de verdure dans leur cour arrière. Le rêve américain n'a rien d'un cauchemar. 
  
  
Quelques lectures supplémentaires:
L'un des meilleurs critiques de la « smart growth » est le professeur Peter Gordon de la University of Southern California. Voir notamment son essai Critiquing Sprawl's Critics en collaboration avec Harry Richardson.
A Guide to Smart Growth de Jane Shaw et Ronald Utt. Voir également Sprawl and Smart Growth du même auteur.
Smarter Growth: Market-Based Strategies for Land-Use Planning in the 21st Century de Randall Holcombe et Samuel Staley. Voir également The Sprawling of America: In Defense of the Dynamic City de Samuel Staley.
 
 
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