Montréal, 2 février 2002  /  No 97  
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
 
LA SANTÉ PUBLIQUE EN SALLE D'ATTENTE
 
par Yvon Dionne
  
  
          Les sujets de l'heure, on ne peut s'en soustraire, sont la santé et le terrorisme. Ils ont beaucoup en commun. Les deux servent d'alibi aux étatistes pour multiplier les contrôles. Dans un cas comme dans l'autre l'État disposait des moyens pour éviter le pire. Les étatistes opposent sécurité et liberté et accordent bien sûr à l'État le monopole de la sécurité en limitant les individus à un rôle de délateurs. Une psychose de guerre est bien entretenue(1). 
 
          C'est Pierre Lemieux qui a déjà écrit: « Le courant du Public Health partage plusieurs des idées du fascisme: le bien-être du peuple défini d'en haut, le pouvoir des corporations professionnelles, la primauté du collectif et la haine de l'individu, le refus de l'argumentation rationnelle, et la glorification de l'intervention étatique(2). » Or on ne peut éliminer les effets sans s'attaquer aux causes(3), que ce soit en politique internationale ou dans le domaine de la santé. Le rationnement des soins de santé par les files d'attente n'est qu'un épiphénomène d'un régime étatique, centralisé et bureaucratique.
 
          Les 24 et 25 janvier, les premiers ministres des provinces se sont rassemblés à Vancouver pour discuter une fois de plus de santé et, bien sûr, pour demander au gouvernement fédéral plus d'argent afin de leur permettre de rencontrer les objectifs de la loi fédérale sur la santé. Celle-ci impose un monopole étatique sur la gestion et le financement de la santé afin, dit-on, d'assurer l'accessibilité universelle. Non seulement ce régime est-il farci de failles, mais il en est réduit à tout rationner – un résultat inévitable compte tenu du fait que la production étatique des services de santé est déterminée par un budget décidé par les planificateurs, selon les contraintes budgétaires du gouvernement et les préférences des bureaucrates de la santé. 
 
          La rencontre de Vancouver a accouché d'un ultimatum au gouvernement fédéral pour qu'il décide, d'ici le 30 avril, de confier à un tiers l'interprétation de la loi fédérale. Voilà une démarche bien timide vu l'ampleur du problème. Jean Chrétien accuse déjà une fin de non-recevoir. Les provinces auront alors le choix (nous, nous n'en avons pas) de recourir encore plus au rationnement en blâmant le fédéral (c'est l'option de Bernard Landry, premier ministre du Québec) ou d'ouvrir la porte à une certaine concurrence (c'est l'option de Ralph Klein, premier ministre de l'Alberta). 
 
L'option Klein: un rationnement plus flexible 
 
          Simple coïncidence sans doute, le volumineux rapport du comité albertain présidé par l'ex-ministre fédéral Don Mazankowski a été rendu public quelques jours avant le party des politiciens sur la santé publique, ce qui a permis à Ralph Klein de prendre la vedette. Ce rapport pose un diagnostic clair, mais ses auteurs semblent avoir manqué de souffle dans l'énoncé des moyens. Le diagnostic est celui-ci: « If we restrict ourselves to a system where all the funding comes from provincial and federal taxes we have little choice but to ration services. [...] There are serious flaws in the way the system is organized. It operates as an unregulated monopoly where the province acts as insurer, provider and evaluator of health services. There's little choice or competition. The focus is more on hospitals and health providers and less on people who need health services.(4) » 
 
          En fait, malgré les bonnes intentions dont il fait preuve, le rapport Mazankowski propose un... rationnement, en laissant un rôle résiduel au secteur privé; il est recommandé en effet d'établir une liste des services devant être assurés par le régime public, les autres services étant payés directement par les utilisateurs ou par le biais d'une assurance complémentaire. Le rapport recommande aussi le recours à la sous-traitance, non seulement pour les services de cafétéria, de sécurité, de buanderie, ou les services ambulanciers (comme on fait au Québec), mais aussi pour les services médicaux. 
 
          Donc, pour l'essentiel, ce qu'on peut appeler l'option Klein maintient ni plus ni moins le contrôle de la statocratie sur les services de santé. D'ailleurs, le rapport a été louangé par l'ex-ministre fédéral de la Santé Allan Rock et une de ses principales recommandations est la fameuse carte à puce si chère à notre ministre québécois de la Santé et des Services sociaux (le MSSS ou, si vous préférez, le MS des SS). Il serait impossible, dit-on dans ces milieux qui se sont donnés pour fonction de décider à notre place, de faire savoir au consommateur de services de santé ce qu'il en coûte sans une carte à puce, ou une carte spécifique de débit (en sous-entendu: les gardiens de votre santé veulent savoir si vous « abusez »). La réalité est évidemment plus complexe; en fait, les établissements de santé ignorent eux-mêmes le coût détaillé de leurs services. C'est comme si un détaillant vous disait: nous ne pouvons vous faire savoir le prix des produits que vous achetez si vous ne détenez pas une carte émise par nous... 
 
     « Pour les apologistes de l'intervention étatique et tous ceux qui en profitent, quand le régime a des ratés c'est essentiellement dû à des problèmes d'argent ou de planification; pour mieux gérer, les planificateurs suggèrent l'adoption de nouveaux contrôles ou de nouvelles structures, sans égards aux coûts. »
 
          Le Dr Edwin Coffey et Michel Kelly-Gagnon (de l'Institut économique de Montréal) ont produit une critique du rapport Mazankowski dans le quotidien The Gazette le 12 janvier, critique qui va, si je ne m'abuse, dans le même sens(5). 
 
L'option Landry: l'étatite aiguë 
 
          Pour les apologistes de l'intervention étatique et tous ceux qui en profitent, quand le régime a des ratés c'est essentiellement dû à des problèmes d'argent ou de planification; pour mieux gérer, les planificateurs suggèrent l'adoption de nouveaux contrôles ou de nouvelles structures, sans égards aux coûts. Quand, après avoir tout essayé (mais ici la mémoire fait souvent défaut), rien ne fonctionne, alors les politiciens et les fonctionnaires du réseau veulent plus d'argent.  
 
          À tort ou à raison, tous les groupes qui monopolisent le régime de santé publique se plaignent d'ailleurs constamment du manque de ressources, sans que l'on puisse savoir si nous en avons réellement pour notre argent (nous n'avons qu'une petite idée des décisions coûteuses et discutables qui sont prises), d'autant plus que les tenants du régime public s'opposent à toute option qui mettrait fin à son monopole. 
 
          Rien de surprenant, lors du party tenu à Vancouver, si le premier ministre Landry et son ministre de la Santé Rémy Trudel (remplacé par François Legault le 30 janvier) se sont fermement opposés aux orientations du rapport Mazankowski, lequel souhaite un système (l'intention y est) offrant aux consommateurs plus d'options. 
 
          Dans le domaine de la santé (entre autres), le gouvernement du Québec joue ainsi au yo-yo depuis 40 ans: ajouter des fonds, contrôles additionnels, ajouter des fonds, et ainsi de suite. Le gouvernement a ralenti la croissance de ses dépenses dans les années 1990 mais le budget du MSSS est quand même passé de 8 G$ à 16,8 G$ de 1990 à 2001, soit une hausse de 111%, alors que le budget global de toutes les « missions » que se donnent les politiciens québécois s'est accru de 56%. 
 
Soyons patients 
 
          Vous souvenez-vous de la commission présidée par Michel Clair dont le rapport a été rendu public en janvier 2001 (j'ai écrit un petit texte sur le sujet dans le QL du 3 février suivant)? Une des premières recommandations de la commission Clair était de créer « un réseau de première ligne composé de groupes de médecine familiale (GMF) ». En langage clair, il s'agit d'un réseau de cliniques médicales élargies, sous l'autorité des régies régionales; mais le projet gouvernemental, comme tous les projets d'ailleurs qui entendent régler un problème par des changements de structures, se bute à de nombreux obstacles. 
 
          Quoi qu'il en soit, voici un exemple parmi d'autres démontrant que ces gens-là ne comprennent pas, et peut-être ne comprendront jamais puisqu'ils ont des intérêts corporatistes à défendre, que les problèmes du régime public de santé ne sont pas principalement occasionnés par des « abus » des consommateurs de services (abus qu'ils veulent limiter par des contrôles bureaucratiques et non pas en faisant appel à des mécanismes de prix): 
 
          Le sous-ministre du MSSS a dévoilé en janvier certains détails du projet des GMF. Il disait, assis derrière son bureau (l'entrevue était télévisée), que les individus souhaitant les services d'un médecin membre d'un GMF devraient signer un « contrat » les liant à ce médecin et qu'ils n'auraient droit de changer de médecin qu'une seule fois et en faveur d'un autre médecin membre du même GMF. Le contrat comprendrait aussi une autorisation de dévoiler le dossier médical à tous les fonctionnaires autorisés du régime public. 
 
          Voilà ce que le MSSS entend faire du peu qui reste de votre liberté de choix, et voilà le peu de respect qu'il accorde à un dossier médical même si la plupart des gens ne l'ont jamais vérifié, puisqu'ils font confiance à leur médecin (mais ils ne devraient pas, car la santé publique a le bras long). Le MSSS entend même déresponsabiliser davantage ses fonctionnaires-médecins en leur offrant le no-fault. 
 
          À vrai dire, ce n'est pas d'un remaniement ministériel nous donnant une nouvelle brochette de cuisiniers de l'étatisme dont nous avions besoin le 30 janvier (à la veille d'élections générales!). Mais en attendant le vrai remaniement en notre faveur, comme on dit couramment en santé publique, les patients doivent être patients. Keep your powder dry. De nouvelles études s'en viennent! 
  
  
1. Dans 1984 de George Orwell, un état de guerre perpétuel est essentiel pour que Big Brother fasse l'unité contre un ennemi réel ou imaginaire et ainsi éviter que la population ne s'unisse contre lui.  >>
2. Pierre Lemieux, « Les fascistes de la santé », le QL, 4 juillet 1998.  >>
3. Le terrorisme d'État, contre les Palestiniens et les Tchétchènes par exemple, n'est pas plus justifié que celui qui s'inspire d'une guerre sainte.  >>
4. Le rapport Mazankowski et ses annexes sont disponibles en ligne à l'adresse suivante: www.premiersadvisory.com/reform.html>>
5. Dr Edwin Coffey et Michel Kelly-Gagnon, « Comment / A Healthy Starting Point: Alberta Proposals on Medicare are courageous but don't go far enough », The Gazette, 12 janvier 2002. L'article est disponible sur le site de l'IEDM de même que d'autres études sur le même sujet, entre autres celle de Coffey et Chaoulli intitulée: Le Choix privé universel: Une vision de la santé offrant la qualité, l'accès et le choix à tous les Canadiens (format PDF).  >>
  
  
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