Montréal, 2 mars 2002  /  No 99  
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
 
Spreading Misandry: The Teaching of Contempt for Men in Popular Culture Paul Nathanson et Katherine K. Young, McGill-Queen's University Press, 2001, 390 pp.
 
LIBRE EXPRESSION
  
LE MÉPRIS DES HOMMES
(première partie – la publicité)
 
par Gilles Guénette
 
 
          En 1999, à la suite de plaintes, la défunte chaîne de magasins Eaton's avait dû retirer l'une de ses publicités des ondes parce qu'elle était jugée trop sexiste. On y voyait un couple de jeunes gens (une femme d'allure professionnelle et un homme de style décontracté – jeans et t-shirt blanc) se caresser dans une cuisine sombre. L'action s'étirait jusqu'à ce que la femme, sourire aux lèvres, décide de quitter la pièce laissant derrière elle un homme contrarié. Le téléspectateur comprenait l'ampleur du désarroi de l'homme lorsque la caméra reculait pour permettre une vue d'ensemble de la cuisine: il était enchaîné par le pied à la cuisinière. 
  
          Eaton's, une entreprise plus que respectable, avait reçu sept plaintes avant de retirer cette pub. Les plaignants (5 hommes et 2 femmes) dénonçaient le traitement réservé à l'homme, le fait qu'il soit réduit au statut de simple objet sexuel. Imaginez maintenant que ce fut le type qui quitta la pièce, laissant derrière lui sa tendre moitié enchaînée... Inutile de dire qu'Eaton's aurait été immergée de plaintes et que les groupes de femmes auraient réclamé 1) le boycott de la compagnie et 2) la tête du salaud à l'origine de cette « agression ». Mais une telle pub n'aurait jamais pu voir le jour de toute façon. Tout le monde sait, dans le milieu de la publicité, qu'il faut redoubler de prudence lorsqu'on met en scène un personnage féminin dans une pub, qu'il y a des zones à éviter. 
  
          Ces zones n'existent pas lorsqu'il s'agit de personnages masculins. Tout est alors permis. It's open season, comme disent les Anglais. À preuve, les publicités désobligeantes à l'égard des hommes sont légion aux petit et grand écrans. Mais si presque personne ne s'en offusquait à la fin des années 1990, ce n'est plus le cas aujourd'hui. De plus en plus d'hommes et de femmes disent tout haut en avoir assez. Assez de voir les hommes dépeints comme des moins que rien, des objets sexuels, des cornichons, des attardés mentaux, et cetera. Ils trouvent que la farce a assez duré et veulent que ça cesse. Retour de balancier?
 
Misanquoi? 
  
          Depuis la fin du siècle dernier, notre société s'est tranquillement transformée pour devenir une société « gynocentrique » (centrée sur les problèmes et les besoins des femmes) et « misandrique » (mettant en évidence la méchanceté et les imperfections des hommes). Plusieurs années de féminisme idéologique auront eu pour effet de rendre la misogynie moralement et même légalement inacceptable dans la sphère publique, tout en encourageant une misandrie qui, elle, est maintenant justifiée, banalisée et même excusée par la majorité. C'est en gros ce que développent Paul Nathanson et Katherine K. Young dans leur essai Spreading Misandry: The Teaching of Contempt for Men in Popular Culture. 
  
          Spreading Misandry? Mais de quoi parle-t-on au juste? En français, le titre de l'essai se traduirait par quelque chose comme: Propager la misandrie: L'enseignement du mépris des hommes dans la culture populaire. Alors que j'écris ces mots, le correcteur automatique de mon WordPerfect souligne le mot « misandrie » d'un trait rouge. Soit qu'il est mal écrit, soit qu'il n'existe pas. Ses suggestions de remplacement se limitent à « misandre » et « misandres ». Pourtant, si j'écris misogynie, il n'y a pas de problème. Bon. 
  
          Je regarde dans mon petit Robert. Mis à part « misanthropie », il n'y a rien qui ressemble de près ou de loin à misandrie – misandre n'y est même pas. Ce doit être parce que je possède une vieille édition. Pourtant, le mot « misogynie » y figure: « n. f. (1827; de misogyne). Haine ou mépris des femmes. » Même « misogyne » y est: « adj. et n. (1559, rare av. 1757; gr. misogûnes, de gunê "femme"). Qui hait ou méprise les femmes. » Misandrie voudrait donc signifier: « Qui hait ou méprise les hommes ». Il ne doit pas y avoir de gens qui haïssent ou méprisent les hommes...  
  
          C'est ce que pense Geneviève St-Germain, la co-animatrice de l'émission Elle et lui, à la radio de CKAC 730 qui, lors d'une émission consacrée à l'image de l'homme en publicité, a déclaré (clamé serait plutôt le terme) que ça n'existait pas la misandrie. Un point c'est tout! « La misandrie n'existe pas. C'est une connerie fondamentale! », s'est-elle écrié avec la passion de quelqu'un qui se retient depuis trop longtemps... M'enfin, je vais quand même faire une recherche sur le net. 
  
          À l'aide de l'outil de recherche Google, je recherche « misandrie » et son pendant anglais « misandry »; « misandre » et « misandrist »; « misogynie » et « misogyny »; et finalement « misogyne » et « misogynist ». Les résultats sont éloquents. En date du 20-02-02, on retrouvait 177 références web pour le mot « misandrie » et 1 280 pour « misandry », alors qu'il y en avait 4 900 pour « misogynie » et 32 200 pour « misogyny ». Même chose pour les adjectifs, on en retrouvait 170 références pour le mot « misandre » et 467 pour « misandrist », alors qu'il y en avait 4 030 pour « misogyne » et 24 600 pour « misogynist ». 
  
          Si l'on se fie aux résultats de cette petite recherche non scientifique, la haine et le mépris des femmes seraient beaucoup plus présents dans nos vies (anglo-saxonnes surtout) que ne le sont la haine et le mépris des hommes – il y a 30 fois plus de mentions d'un côté que de l'autre. Et ça, c'est sans compter qu'avant la parution de l'essai de Nathanson et Young, il devait y avoir encore moins de références à la misandrie! Pourtant, pas besoin de chercher de midi à quatorze heures pour trouver des exemples de mépris des hommes dans la culture populaire – le bouquin en question en est plein. 
  
          Alors qu'il est aujourd'hui presque impossible, voire socialement inacceptable, d'exploiter certains stéréotypes féminins, il est de bon goût et même encouragé d'exploiter les pires stéréotypes masculins. De la télévision au cinéma, en bifurquant par les livres de « croissance personnelle » et le lucratif marché de la carte de souhait, la misandrie s'immisce dans nos vies sans qu'on ne s'en rende nécessairement compte. Prenez la publicité télé par exemple, l'un des plus fidèles reflets de notre société. 
  
Tous des cornichons 
  
          À la boutique BMB, un jeune vendeur (très beau) remet une facture à sa jeune cliente (très belle). Puis, il lui tourne le dos, le temps de prendre un morceau de linge – moment que saisit la femme pour lui regarder les fesses. Elle sourit lorsqu'il se retourne vers elle. Le jeune homme se dresse sur la pointe des pieds pour déposer le morceau de linge dans un des quatre grands sacs juchés sur le comptoir qui les sépare, elle en profite pour le reluquer sous la ceinture. Elle lui sourit. Le jeune vendeur sourit à son tour. La transaction terminée, la cliente s'apprête à prendre ses sacs, mais se ravise. Elle regarde le jeune homme, puis ses sacs. Du regard, elle lui fait savoir que son aide serait grandement appréciée. 
  
          Le jeune homme prend les sacs et suit la jeune femme jusque dans la rue où est stationnée sa voiture. Arrivés derrière le véhicule, la cliente ouvre la grande portière du coffre-arrière; le jeune homme s'y penche pour y déposer les sacs. Elle profite de ce moment d'inattention pour regarder autour d'elle, puis, d'un coup de genou dans le derrière, pousse le jeune homme à l'intérieur du coffre, avant de refermer la portière sur lui. Les mots: « exigez de l'espace » apparaissent à l'écran. Ils sont aussitôt remplacés par « exigez recevez » suivis du logo de Ford. Une voix d'homme hors champ dit: « La Focus ZX5 5 portes, le nouveau membre de la famille Focus. Plus d'espace pour plus de plaisir. » 
  
     « Un jeune homme entre dans une boutique, il achète du linge, déshabille la jeune vendeuse du regard, l'enferme dans le coffre-arrière de sa voiture pour l'amener Dieu sait où... C'est épouvantable: il va l'abuser sexuellement. »
 
          Imaginez que les rôles sont inversés. Un jeune homme entre dans une boutique, il achète du linge, déshabille la jeune vendeuse du regard, l'enferme dans le coffre-arrière de sa voiture pour l'amener Dieu sait où... Qu'une femme ait un tel comportement, on trouve ça drôle: c'est une femme libérée, elle sait ce qu'elle veut. Qu'un homme ait ce même comportement, on trouve ça épouvantable: il va l'amener dans un endroit sordide pour l'abuser sexuellement. Comment expliquer ce réflexe? On ne peut pourtant pas généraliser: les hommes ne sont pas tous des agresseurs et les femmes, de potentielles victimes. Pourquoi verrait-on, dans ce cas-ci, l'homme comme un agresseur ou un dangereux prédateur, alors qu'on y voit la femme comme une simple personne qui sait ce qu'elle veut et qui fait ce qu'il faut pour l'obtenir? Les deux ont pourtant un même but en tête: une baise! (Fait à noter, cette pub a été retirée des ondes au Canada anglais. Le Québec étant plus « ouvert », elle est toujours diffusée ici...) 
  
          Dans un bureau, une jeune femme dit: « On vous a choisi parce que nous croyons que vous n'avez pas peur de vous investir. » – elle est encadrée de deux jeunes hommes, l'un prend des notes, l'autre observe la personne qu'on imagine assise devant eux. « Tout à fait! » répond celle-ci – un jeune homme qui postule pour un emploi. « Euh... parlant d'investir, poursuit-il, le 35 000 $ que vous offrez, c'est en salaire ou en REER? » « En salaire! », s'empresse de répondre la femme (d'un air il me semble que c'était clair). Les trois se redressent sur leur chaise, inconfortables. « Ok... poursuit notre candidat. Parce que c'est ben beau les fleurs là, pis toute, mais l'idée de faire la job c'est de pouvoir arrêter au plus vite, hein? (les deux acolytes de la femme le dévisagent sans trop savoir où il veut en venir.) Moi, à 55 ans max, je veux pus vous voir personne! Ça fait que... quand est-ce que je commence qu'on en finisse? » 
  
          Le silence qui règne dans la pièce amplifie le malaise qui s'y installe. Le jeune candidat se frappe dans les mains (désinvolte) avant de donner un coup sur la table (déterminé). Les deux hommes, eux, se tournent lentement vers leur patronne (perplexes). Sur une musique dynamique, une voix de femme hors champ dit: « Votre retraite vous préoccupe? Rencontrez votre conseiller de la Banque de Montréal, et profitez! » On entre dans une succursale de l'institution financière, en mode accéléré, à temps pour voir une conseillère mettre fin à une rencontre avec une jeune cliente tenant un bébé. Celle-ci se tourne vers la caméra, en mode ralenti, en souriant. Le mot « profitez » apparaît en gros à l'écran – le « o » du mot étant remplacé par la tête de la jeune femme – accompagné du logo de la Banque de Montréal. 
  
          Encore une fois, imaginez que les rôles sont inversés. Une femme fait la cruche devant un employeur potentiel – celui-ci est encadré de deux secrétaires. On assiste à l'entrevue, dans laquelle elle se couvre de ridicule devant le trio avant de voir, en clôture, l'image d'un homme confiant et dynamique qui, lui, sait comment s'assurer un avenir douillet. Improbable, les femmes sont rarement diminuées en pub. Ce que la Banque de Montréal tente de dire ici, à une clientèle de femmes, c'est: « N'attendez pas de votre conjoint qu'il vous assure un avenir à vous et à votre enfant – il ne sait visiblement pas comment s'y prendre. Venez plutôt rencontrer l'une de nos conseillères sur place, elle saura choisir avec vous ce qui s'avérera la meilleure option pour votre avenir et celui de votre enfant. » (On pourrait ajouter « votre copain s'arrangera bien tout seul », mais bon...) Les rôles féminins qu'on nous sert à la télé (comme au cinéma) sont plus souvent qu'à leur tour des rôles de femmes intelligentes et/ou avenantes, alors que ceux qu'on réserve pour les hommes sont trop souvent des rôles d'irresponsables. 
  
De drôles de bêtes 
  
          Un pattern souvent utilisé en publicité pour ridiculiser les hommes est celui du débile léger observé de loin par sa blonde – qui elle est toujours « normale ». Par exemple, la pub des céréales Honey Nut Cheerios: un jeune homme s'apprête à manger un bol de ses céréales favorites. Il regarde son bol et, le trouvant sans doute trop petit, éventre la boîte de Cheerios sur son flanc pour ensuite y verser le contenu d'une pinte de lait. Une femme, qui entre par hasard dans la cuisine, le regarde d'un air surpris. L'homme se tourne vers elle comme un gamin qu'on viendrait de surprendre le nez dans une revue cochonne – ou quelque chose du genre compromettant. 
  
          Autre exemple, la pub des cocos de Pâques Cadbury: un jeune homme mange un coco de Pâques dans le salon sous le regard envieux d'un laideron de chien. L'onctueux crémage qui se trouve à l'intérieur de la friandise (« en magasins jusqu'à Pâques seulement! »), et dont on vante l'abondance dans la pub, se retrouve bien vite sur les doigts de l'homme, sur son visage, ses vêtements, le tapis, jusque sur le museau du laid chien... – l'utilisation d'une caméra grand angle rend la scène encore plus collante et répugnante. Une femme, qui lit un journal sur le divan, regarde l'homme du coin de l'oeil d'un air troublé. 
  
          Les femmes ne parlent jamais dans ce genre de publicités, elles observent en retrait (elles jugent) sans dire un mot – c'est qu'elles sont généralement bouche bée devant la conduite de leur homme et semblent se demander « mais qu'est-ce que je fais avec cet idiot? »... Ces personnages féminins sont invariablement forts et tout ce qu'il y a de plus équilibrés. Ils font toujours quelque chose de constructif – ce qui vient renforcer encore davantage le côté nul de l'homme. 
  
          Quand ils ne jouent pas les éternels adolescents, les hommes s'adonnent à l'un de leurs nombreux vices. Comme dans cette pub pour Nintendo: traversant une riche demeure, la voix hors champ d'un père à son fils: « Son. Life isn't all about money. No. » On passe devant une collection de photographies (heureuses) de famille « Family, health, happiness, those are the important things. » À l'étage, au bout d'un long couloir, un jeune garçon se tient face à une porte ouverte. « I guess what I'm really trying to say is... » Devant lui, le père en question. Il arbore robe, perruque et collier de perles et dit: « How much will it cost to keep this from your mother? » Retour sur le visage stupéfait du jeune garçon.  
  
          La réponse vient sous la forme d'une suggestion de l'annonceur à l'adolescent: « $49.99! That's all you need for these super cool Nintendo-64 games. All best sellers and all Players' Choice. Hey, at these prices, maybe you can get two! » Sur ces mots, le même jeune garçon entrouvre une autre porte, celle de la salle de bain, pour y découvrir un vieil homme en dessous féminins, portant lui aussi collier à grosses perles noires et boucles d'oreilles assorties, bas de soie noire et talons aiguilles. « Grand Pa!? » Debout devant une glace, le vieil homme se retourne tranquillement vers son petit fils en appliquant du rouge à lèvres... Profitez des faiblesses de vos parents pour vous payer des jeux Nintendo! Quand les hommes ne sont pas de purs crétins, ce sont des déviants sexuels. 
  
          Les publicitaires ne sont pas seuls à dénigrer aussi ouvertement les hommes. Les artisans du cinéma s'y donnent aussi à coeur joie. Paul Nathanson et Katherine K. Young présentent plusieurs exemples de productions misandres dans leur essai Spreading Misandry, mais il s'agit majoritairement d'exemples américains. Or, nous savons que les Américains n'ont pas le monopole du mauvais goût... Dans la seconde partie de cet article, il sera largement question du nouveau film du cinéaste québécois Jean Beaudin, Le Collectionneur, qui correspond bien au profil du produit misandre et des origines de cette misandrie. Quelques observations plus générales viendront clorent le tout. 
  
  
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