Une
idéologie du bien au service des hommes de l'État
Dans son livre (Les guerriers humanitaires, François-Xavier
de Guibert, Paris, 2001. Voir également sa conférence
à l'Institut Euro 92 en janvier 2002), Massenet démonte «
l'idéologie du bien » qui sert de rationalisation
à l'interventionnisme diplomatique et militaire des États-Unis
et des pays occidentaux en général. Cette idéologie
a fait son apparition en Occident. Elle est l'oeuvre de ces gens qui s'investissent
dans un idéal humanitaire et elle est relayée par des «
groupes d'hommes sans mandat » qui s'immiscent
« en dehors de toutes procédures démocratiques
dans les affaires intérieures et extérieures de l'Europe
et de la France. Ils disposent de l'amplificateur des médias, prétendent
au monopole du coeur et forment un cartel de la vertu. Ce sont les guerriers
humanitaires. » (Massenet, p .12) C'est ainsi qu'au
nom d'un prétendu « devoir d'ingérence
» les humanitaires, au lieu de s'appuyer sur le droit, l'abolissent.
« Ils ne se réfèrent à la morale
que pour établir sur des bases solides leur droit de tuer.
»
Et cela dans l'intérêt de qui? Certainement pas des citoyens
américains ordinaires, devenus des proies innocentes du terrorisme,
mais sans aucun doute dans l'intérêt de ceux dont les perspectives
de carrière et de prestige sont directement liées à
la puissance de ce parasite du corps social qu'est l'État. «
La guerre pour soi-même, rappelle judicieusement Michel Massenet,
est une figure classique de la politique depuis qu'Alcibiade incitait la
ligue dirigée par Sparte à attaquer Athènes: une volte-face
lui permit alors de se porter au secours de la Cité qui l'avait
exilé et d'y être acclamé en héros. Mais le
combat de Clinton [en ex-Yougoslavie] ne fut ni un marathon, ni Omaha Beach,
seulement un tir au pigeon. »
De fait, les représailles américaines en Afghanistan ont
également tué, sans beaucoup de risque, des innocents mêlés
à des coupables. Les bombardements, aveugles par nature, n'épargnent
pas la vie des innocents. Et même si, pour le coup, l'intervention
militaire semblait justifiée, on peut la considérer comme
un épisode d'une série d'événements dont la
cause principale réside dans une politique étrangère
de domination qui parasite la société américaine et
nuit aux Occidentaux.
Les
hommes de l'État sont des pompiers pyromanes
L'actualité récente prouve que la paix américaine
risque bien de ressembler à une série de guerres locales
contre « l'axe du Mal ». On apprend
ainsi que « dans le sud des Philippines, les premiers éléments
des forces spéciales américaines ont débarqué
[le 17 février] pour commencer la traque contre le groupe islamiste
Abu Sayyaf. [...] Côté "Axe du Mal", enfin, Washington lançait
un nouvel avertissement par la voix de Condoleezza Rice. "Le statu quo
actuel en Irak n'est pas acceptable", a prévenu la conseillère
pour la sécurité nationale, tout en précisant qu'une
attaque n'était pas imminente(1).
» La guerre, encore une fois, se profile
à l'horizon. Pourquoi?
« Par nature, les hommes de l'État sont des pompiers pyromanes.
Leur "interventionnite" les conduit a créer eux-mêmes les
causes de leurs interventions futures, pour leur plus grande prospérité,
évidemment. » |
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Par nature, les hommes de l'État sont des pompiers pyromanes. Leur
« interventionnite » les conduit a créer
eux-mêmes les causes de leurs interventions futures, pour leur plus
grande prospérité, évidemment. C'est vrai dans les
domaines économique et social où chaque mesure appelle des
contre-mesures correctives (on le voit bien en France avec les «
35h » ou au sujet des retraites), mais c'est également
vrai dans le domaine réservé des chefs d'État, la
politique étrangère.
Il arrive souvent que les États soutiennent et arment leurs futurs
ennemis. Et après il faudrait remercier les militaires et les chefs
de guerre de nous en avoir délivrés. Là aussi, il
s'agit d'une figure éternelle de la politique. C'est pourquoi il
est navrant de voir tant de gens approuver les interventions militaires
offensives sans se demander: à qui profite le crime?
Vers
un monde plus moral
Dans un chapitre admirable de son grand ouvrage, L'éthique de
la liberté, Murray Rothbard écrit que « dans
un monde parfaitement moral, il n'y aurait pas d'États ni, cela
va de soi, de politique étrangère(2)
». En effet, un monde « parfaitement moral
» est, pour Rothbard, un monde dans lequel les droits individuels
et la propriété naturelle de soi ne sont pas légalement
agressés. Dans un tel monde, l'État ne pourrait pas exister
car son existence ne peut pas être unanimement et librement acceptée
sans la menace de la force (le droit d'ignorer l'État n'est pas
reconnu par l'État).
Mais nous ne vivons pas, loin s'en faut, dans un monde « parfaitement
moral ». Le réalisme, tant recommandé
par les pragmatiques, nous impose d'agir dans un monde étatisé
en nous donnant des objectifs accessibles, « réalistes
». Là encore, la lecture de Rothbard s'avère
instructive et éclairante. « Mais étant
donné que les États existent, s'interroge Rothbard, la pensée
libertarienne peut-elle isoler des principes moraux qui serviraient de
norme pour la politique étrangère? » Ces
principes sont tous gouvernés par cette norme fondamentale: «
réduire au minimum le degré de violence exercée
contre les personnes par les hommes de l'État. »
Quelques principes de base découlent du principe de non-agression.
D'abord il est légitime, pour des individus, de se défendre
de manière violente contre les agresseurs ainsi que, pour des victimes
ou leurs mandataires, de poursuivre les agresseurs afin d'obtenir réparation.
Mais il serait criminel de tuer des innocents au passage, comme ce serait
le cas en tirant dans une foule ou en larguant une bombe dans une population.
Ce qui est interdit à un groupe d'individus l'est aussi a fortiori
aux hommes de l'État qui disposent de moyens de destruction de masse
beaucoup plus considérables, financés par les impôts,
c'est-à-dire par la menace de l'usage de la violence. «
Les guerres entre États, écrit Rothbard, ne peuvent
être menées qu'au moyen d'agressions contre les contribuables.
»
La
guerre est la santé de l'État
Aujourd'hui la guerre contre le terrorisme crée les conditions de
sa perpétuation. Elle s'auto-alimente d'une part en raison du fait
que des agressions injustes sont nécessairement commises (les bombardements
tuent aussi des innocents(3))
et d'autre part pour la raison que « si la supériorité
américaine [est] éblouissante, elle [n'empêche] pas
la guerre d'être la source d'une profonde amertume, celle qui vient
toujours sanctionner "l'ubris", l'offense aux dieux. »
(Michel Massenet, Les guerriers humanitaires, p.20)
La guerre est la santé de l'État. Et la lutte contre le terrorisme
nous fait entrer dans une ère nouvelle, orwellienne, où les
hommes de l'État ont intérêt à entretenir un
état de guerre permanent pour étendre leur pouvoir. Ce qu'ils
ne manquent pas de faire.
« Le mythe pernicieux, termine Rothbard, qui permet
aux hommes de l'État de s'engraisser par la guerre est que la guerre
serait une action de défense de leurs sujets menée par les
hommes de l'État. Il ne s'agit là que d'un bobard, c'est
le contraire qui est vrai. [...] La guerre militarise et étatise
la société, qui devient une horde à l'affût
de ses ennemis prétendus, les hommes de l'État extirpant
et réprimant toute dissension pour ne pas nuire à l'effort
officiel de guerre et trahissant cavalièrement la vérité
au nom d'un prétendu intérêt national. »
(Murray Rothbard, L'éthique de la liberté, p.261)
1.
Arnaud de La Grange, « Bush élargit sa guerre
contre le terrorisme », Le Figaro, 18 février
2002. >> |
2.
Murray Rothbard, L'éthique de la liberté, Les Belles
Lettres, Collection « laissez-faire », Paris,
1991. Voir aussi dans ce numéro: la chronique CLASSIQUES
LIBERTARIENS qui en reproduit le chapitre 25. >> |
3.
Cf. « LA GUERRE CONTRE LE TERRORISME QUE NOUS PERDONS », Éditorial
de Martin Masse, le QL, no 91.
>> |
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