Montréal, 2 mars 2002  /  No 99  
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
 
LES MOULINS À VENT DU PROF LAUZON
 
par Yvon Dionne
  
  
          Pour me changer les idées, comme on dit, je me suis mis à la lecture d'un recueil de textes(1) de Léo-Paul Lauzon, professeur de comptabilité à l'Université du Québec à Montréal et directeur d'une chaire d'études sociaux-économiques. Le camarade Lauzon est bien connu au Québec. C'est en quelque sorte notre José Bové de la haute finance (mais Léo-Paul n'a pas fait de prison), un digne représentant de la go-gauche québécoise, au même titre que Michel Chartrand, Françoise David, Vivian Labrie et les chefs des monopoles syndicaux. Même si Contes et comptes du Prof Lauzon. Le néolibéralisme dénoncé net, fret, sec!, écrit dans un style coloré et même amusant, est paru il y a un an, ce n'est jamais trop tard pour en parler puisque les sophismes, eux, ne changent pas.
 
          Il n'y a que deux façons de défendre les pauvres, les veuves, et les orphelins: une bonne et une mauvaise. La bonne, c'est de s'attaquer aux causes et de permettre à ces gens de vivre dans un environnement où ils pourront mieux vivre; la mauvaise, c'est de prendre l'argent de tout le monde pour payer une masse de fonctionnaires (425 000 au Québec, sans compter les fonctionnaires fédéraux et municipaux) et d'imposer à toute l'économie des contraintes qui faussent le marché et des coûts qui alimentent la pauvreté. M. Lauzon a choisi la seconde option. 
  
Haro sur les néolibéraux! 
  
          Si on se fie au dictionnaire (qui est toujours en retard sur l'usage courant) le néolibéralisme serait une « doctrine libérale, apparue dans les années 1970, qui accepte une intervention limitée de l'État ». Quand on passe à la définition que donne Larousse du mot libéralisme, le lecteur aura de la difficulté à comprendre la nuance entre « intervention limitée » et les politiques défendues par les économistes du libéralisme classique, tels Adam Smith, Ricardo, Bastiat, Say, Hayek, etc. Le terme néolibéral n'est réellement utilisé que par les opposants au libéralisme. Pour plus de précisions sur les termes, et en particulier sur la version nord-américaine du libéralisme – le libertarianisme (pas encore au dictionnaire) – qui évite la confusion avec les liberals nord-américains, voir la page de philo 101 de Martin Masse, directeur du QL, intitulée QU'EST-CE QUE LE LIBERTARIANISME? 
  
          Or, et c'est là le premier moulin à vent du camarade Lauzon, même le néolibéralisme tel que défini au dictionnaire n'existe pas. On ne peut pas dire en effet que nous vivons dans un régime d'intervention limitée de l'État. C'est tout le contraire. L'État intervient de plus en plus dans l'économie et dans la vie des individus. Tout ce que nous pouvons dire c'est que l'étatisme, pour éviter la faillite comme en Argentine, a ralenti la croissance de ses dépenses et qu'il a surtout réussi à éliminer (temporairement faut-il préciser) son déficit courant grâce à une croissance économique soutenue de 1992 à 2001. 
  
          Le fil conducteur de tous les tribuns de l'étatisme, c'est que le gouvernement ne devrait pas limiter la croissance de ses dépenses pour « empêcher le massacre de nos acquis sociaux! » À quoi donc s'oppose le camarade Lauzon? « Évasions fiscales, report d'impôt des compagnies, démantèlement de nos outils collectifs, privatisation des services publics: autant de phénomènes qui n'échappent pas à l'oeil exercé et critique du prof Lauzon(2). » Dans toutes les idéologies il n'y a jamais de fausseté absolue. Le truc en désinformation, c'est évidemment de faire croire que l'ennemi est coupable de tous les maux et d'en mettre. 
  
          Imaginons un peu la difficulté de la majorité des gens à pouvoir disséquer le vrai du faux quand ceux qui demandent toujours plus d'interventions de Big Brother, y compris le Prof Lauzon et les chefs syndicaux, lancent des messages biaisés et quand le plus gros budget de propagande politique qui existe, celui de l'État, vient des payeurs de taxes mais n'est pas contrôlé par eux. 
  
          La présentation du recueil nous annonce des solutions concrètes. Il y a des propositions mais des solutions, voyons voir. 
  
Les taxes 
  
          Malgré toutes les acrobaties comptables du gouvernement du Québec admettons que ce gouvernement a cessé (mais ceci ne laisse rien présager pour l'avenir) de financer les dépenses courantes par des emprunts(3). Pour le prof Lauzon le dérapage des finances publiques est un mythe et il s'en prend à l'évasion fiscale, aux avantages fiscaux, aux paradis fiscaux et aux reports d'impôts. Donc, au lieu de limiter ses dépenses le gouvernement devrait accroître ses revenus. Le camarade est d'ailleurs un des avocats d'une taxe sur la richesse, en particulier sur les gains non réalisés sur la valeur des titres boursiers (ce n'est plus une simple taxe sur les transactions), et la go-gauche en général s'oppose farouchement à toute baisse des impôts et à toute diminution du monopole de l'État dans des secteurs comme la santé et l'éducation. 
  
          Le Prof dit tout de même que nous sommes trop taxés, mais la raison serait que les riches et les compagnies le sont peu ou pas du tout et qu'il y a trop de tripotage fiscal. La réalité est plus complexe. Il ne faudrait pas s'imaginer (Lauzon dixit: « Les actifs sont carrément sortis du pays ») que lorsque des milliards de $ sont transférés, par le simple jeu de crédits bancaires, vers des îles où il n'y a pas d'impôt sur le revenu, que ces milliards sont investis là-bas et ne reviennent pas ici. 
  
          Comme on sait que plus il y a de taxes plus il y a de l'évasion fiscale, et que plus il y a d'évasion fiscale plus le gouvernement multiplie les contrôles, alors on doit conclure que la go-gauche veut un pays à son image où les autres n'auront d'autre choix que de voter avec leurs jambes, ceux du moins qui peuvent le faire. 
 
     « À certains moments, Léo-Paul parle comme un libertarien et je me dis que s'il changeait un peu son discours il pourrait être accepté comme collaborateur du Québécois Libre... »
 
          Ces remèdes sortis du chapeau d'un magicien comptable sont contredits par l'expérience et le raisonnement économiques. Quoi qu'il en soit, tant qu'à y être, nous sommes tous d'accord avec l'élimination des avantages fiscaux et des subventions, mais en plus nous demandons que soient aussi éliminées toutes les lois et réglementations qui restreignent la concurrence, dans les domaines (entre autres) du travail, de l'agriculture, etc.! Ces lois et règlements sont l'équivalent d'une taxe déguisée payée par tous les consommateurs au bénéfice des monopoles. 
  
          Toutes les économies ainsi réalisées devraient servir, même si le Prof n'est pas d'accord, non pas à réduire mais réellement à éliminer des taxes. Imaginons un instant (c'est faisable à très court terme) les effets positifs sur l'économie de l'élimination des taxes de vente (y compris la TPS, taxe fédérale sur les produits et services), de l'impôt sur le revenu des sociétés, ou de l'impôt sur les gains en capital? Si comme il le dit, quand on soustrait les subventions directes et indirectes des impôts effectivement payés par les compagnies, on obtient un solde négatif, alors pourquoi tout simplement ne pas éliminer complètement l'impôt sur les compagnies et les subventions? Ainsi, au lieu d'envier et de critiquer les paradis fiscaux le Québec deviendrait lui-même un paradis fiscal! 
  
          Mais le Prof est contre car « la diminution des impôts contribue à réduire le rôle et la taille de l'État ». 
  
          Sauf qu'à certains moments, Léo-Paul parle comme un libertarien et je me dis que s'il changeait un peu son discours il pourrait être accepté comme collaborateur du Québécois Libre... Comme par exemple quand il s'objecte à la chasse aux sorcières du gouvernement contre le travail au noir des gens à faible revenu alors que ce même gouvernement multiplie les avantages fiscaux. 
  
Les impôts reportés 
  
          Un des principaux moulins à vent de M. Lauzon (remarquez que je n'utilise pas les épithètes qu'il lance à ses adversaires), ce sont les impôts reportés au bilan des compagnies. Or, tout comptable sait que les impôts reportés sont une entrée comptable qui tient compte de la différence entre la valeur fiscale de l'amortissement qui est plus élevée que l'amortissement comptable basé sur la vie utile des actifs. Ces avantages fiscaux ne sont que le fruit de l'interventionnisme fiscal du gouvernement qui souhaite ainsi favoriser certains secteurs industriels. Une fois que l'amortissement fiscal est pleinement utilisé, la compagnie paie le plein taux d'imposition en soustrayant de ses réserves d'impôts reportés. Sauf que, le plus souvent, les compagnies réinvestissent dans des actifs admissibles à l'amortissement fiscal accéléré de sorte que les impôts reportés (c'est une dette au bilan) continuent de s'accumuler. 
  
          Au lieu de dénoncer l'interventionnisme fiscal du gouvernement, ce qui permettrait de baisser les taux d'imposition, le Prof Lauzon s'en prend aux impôts reportés (donc à l'effet, non pas à la cause) et propose plutôt d'introduire un impôt minimum. Belle logique! 
  
L'État dans l'alcool, les loteries, l'électricité, etc. 
  
          Pas question évidemment de toucher à ces symboles de l'étatisme que sont l'Hydro-Québec, la Société des alcools (SAQ), à toutes les autres sociétés d'État ainsi qu'à celles qui monopolisent le transport en commun et les assurances publiques. 
  
          Un exemple: Léo-Paul parle de la SAQ comme d'un « joyau collectif », d'une « poule aux oeufs d'or », d'une « véritable mine d'or » offrant au gouvernement des rendements époustouflants. Faint-il d'ignorer que le rendement de la SAQ est en réalité un ensemble de diverses taxes imposées sur le prix des produits? Et que les mêmes taxes sont prélevées sur les quelques marques vendues en épicerie? Voyons, un peu de rigueur, Professeur. Et si l'ex-pdg de la SAQ Gaétan Frigon (l'homme à la Jaguar) a réussi à faire sourire les employés de la SAQ à une clientèle captive, il n'a certes pas à s'en féliciter car une société privée aurait tôt fait de perdre sa clientèle en donnant un mauvais service. 
  
          Autre exemple de ballon socialiste, c'est quand le Prof Lauzon critique les grandes pétrolières pour les hausses de prix du carburant. Il demande au gouvernement « d'intervenir pour faire respecter les règles du jeu de la véritable concurrence » et il nous confie qu'il achète son carburant chez les distributeurs indépendants pour « empêcher la mainmise totale des majors étrangères et l'explosion des prix qui s'ensuivrait ». Or, comme chacun sait, le gouvernement est intervenu pour protéger les indépendants (la « véritable concurrence ») en imposant un prix plancher de sorte que lorsque les prix montent il n'y a plus personne qui se plaint, sauf les consommateurs! 
  
Karl Marx revisité 
  
          Même si Léo-Paul Lauzon avoue, en parlant de Marx, avoir « beaucoup de respect pour ses théories », il dit du même souffle « que je ne suis pas contre le libéralisme économique, en autant qu'il soit accompagné d'une justice sociale digne de ce nom ». J'ai de la difficulté à comprendre comment, dans un même paragraphe, on peut dire avoir beaucoup de respect pour des théories totalement contraires au libéralisme économique, tout en concédant ne pas être contre le libéralisme économique. 
  
          Ceci dit, comme on juge un arbre à ses fruits, il m'apparaît que Léo-Paul a toujours oublié une partie de sa démonstration: le libéralisme économique. 
  
          En effet en pratique, le résultat net des solutions de la go-gauche québécoise, c'est un État omniprésent et omniscient où ce qui reste de liberté est relégué au rang de privilège. La seule différence entre la situation actuelle, ou celle rêvée par Léo-Paul, et un État totalitaire (de gauche ou de droite), c'est une différence de degré. C'est du marxisme à petit feu, sans le mot certes, mais combien réel dans ses résultats. 
  
          Il va même jusqu'à proposer une croissance économique zéro (sans doute un corollaire de la pauvreté zéro): comme « la croissance économique ne profite qu'aux nantis », « il faut viser, dit-il, une croissance économique zéro, car le problème qui mine notre société aujourd'hui et qui cause la misère humaine n'est pas celui de la création de la richesse, mais celui de sa redistribution. » Voler aux uns pour donner aux autres n'est sûrement pas un remède à la pauvreté, laquelle est d'ailleurs toute relative(4). C'est un faux syllogisme que l'on pourrait reformuler ainsi: 
  • la croissance économique ne profite qu'aux nantis;
  • or, la redistribution de la richesse permettrait d'enrichir les pauvres;
  • donc, la croissance économique doit être de zéro.
          La première proposition est fausse. La seconde a donné les résultats que l'on connaît et c'est la classe moyenne qui se fait prendre d'une main ce qu'elle reçoit de l'autre; les taux d'impôts élevés ne font qu'accroître le chômage. Quant à la conclusion, elle ne découle tout simplement pas des deux propositions précédentes. 
  
          Ses pronostics pour le présent millénaire: « On passera de l'État-providence à l'État minimal, pour finalement aboutir à l'État néant. » Mille ans, c'est long. Il y aurait sûrement moyen de raccourcir ça. 
    
  
1. Léo-Paul Lauzon, Contes et comptes du Prof Lauzon – Le néolibéralisme dénoncé net, fret, sec!, Lanctôt Éditeur (un éditeur subventionné), 2e trimestre, 2001.  >>
2. Citation extraite de la préface préparée par un chef syndical.  >>
3. J'en discute brièvement dans LES CONSTANTES DU MODÈLE QUÉBÉCOIS, le QL, no 94. La baisse des paiements de péréquation cette année va sûrement obliger la ministre des Finances à refaire ses calculs.  >>
4. Voir à ce sujet deux textes: a) de l'Institut économique de Montréal: « La croissance profite aux pauvres » (document en format pdf); et b) « OÙ EN SOMMES-NOUS AVEC LE CALCUL DE LA PAUVRETÉ? », le QL, no 86>>
 
  
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