Vers
un gouvernement européen intégré
Mais cette structure hiérarchique n'est
pas encore établie. Le Fédéralisme et le Centralisme
luttent encore. La Convention
sur l'avenir de l'Union européenne, convoquée en décembre
2001 par le Conseil européen, a pour fonction de préparer
la prochaine conférence intergouvernementale sur l'avenir des institutions
en 2003. Cette Convention va probablement chercher à atteindre un
équilibre subtil entre l'idée fédérale et l'émergence
inévitable d'un pouvoir central. Mais on ne voit pas comment la
centralisation ne l'emporterait pas au moment où s'exprime une demande
de cohérence dans les décisions des Européens en matière
de défense, de diplomatie et de protectionnisme.
De fait, dans un texte constituant son apport
aux travaux de la Convention, la Commission européenne (qui est
l'exécutif de l'Union) exprime sa volonté d'avoir une «
capacité exclusive d'initiative politique et un rôle
directeur dans la gestion des crises ». Elle veut «
proscrire le recours au consensus et rendre possibles les décisions
majoritaires ». « Il s'agit de regrouper
en un seul lieu les attributs d'une Europe-puissance: la diplomatie, la
conduite de la politique économique, l'aide au développement
– dont la gestion a été largement transférée
des États membres à la Commission –, les négociations
commerciales internationales et environnementales (protocole de Kyoto),
lesquelles sont déjà menées par la Commission. L'idée
est de rassembler en une seule fonction l'autorité politique du
Conseil et les moyens matériels et financiers de la Commission(2).
»
Mais à part Romano Prodi, le président
de la Commission, installé dans sa fonction de Duce au service du
Pouvoir pur, les clivages politiques et les préférences nationales
semblent l'emporter au sein de la Commission. C'est que chaque commissaire
est plus ou moins le représentant de son pays. C'est pourquoi Valéry
Giscard d'Estaing, qui préside la Convention, estime que dans une
Europe à 25 les commissaires des grands pays seront noyés
dans une Commission élargie. L'analyse est commentée ainsi
par un haut fonctionnaire européen: « Il faut
déconnecter la composition de la Commission de toute forme de représentation
nationale. Vous n'avez pas un gouvernement de la République si vous
êtes obligé de prendre un ministre par département
», estime ce haut fonctionnaire, qui prône une « Commission
ramassée de huit ou dix membres »(3).
La perspective d'un pouvoir central, représentant
une entité abstraite, l'« intérêt
général » européen, se dessine
donc à traits renforcés. C'est la logique du pouvoir. Parallèlement,
il devient de plus en plus clair que le fédéralisme européen
est une notion qui n'aura pas d'autre signification que la lutte d'influence
des « nations » pour orienter en leur faveur les
décisions du gouvernement européen. Lorsque la Commission
aura fini d'affermir son pouvoir, comme il est nécessaire que cela
arrive dans l'optique constructiviste actuelle, le Parlement européen
ne sera alors plus que l'antichambre de la lutte entre eux des intérêts
nationaux. Le socialisme et le libéralisme tempéré
seront des options politiques qui se superposeront simplement aux clivages
nationaux.
Le
véritable espoir
Comment éviter cette catastrophique politisation
de la vie des Européens? La fatalité de l'emprise de la politique
n'est qu'apparente. Elle n'est que le produit d'une pensée unique
qui domine grâce aux intérêts conjugués des faiseurs
d'opinion et des politiciens. Il faut donc activement diffuser d'autres
formes d'intégration européenne fondées non pas sur
la contrainte politique, l'harmonisation des règlements et des lois,
mais sur la coopération humaine.
C'est la notion d'« ordre
spontané » (Hayek) qui doit devenir le concept
de référence. Rappelons qu'un ordre spontané est le
produit des actions humaines et non le résultat d'une tentative
illusoire de construire une société sur la base d'un plan,
comme un architecte. Ce qui est nécessaire à l'émergence
d'un ordre spontané, plus juste et plus efficient qu'une société
organisée, c'est tout simplement des règles de juste conduite:
principalement des droits absolus de propriété privée
et individuelle.
« Il faut activement diffuser d'autres formes d'intégration
européenne fondées non pas sur la contrainte politique, l'harmonisation
des règlements et des lois, mais sur la coopération humaine.
» |
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Deux penseurs peuvent nous aider à forger
une autre conception d'une Europe intégrée, Pascal Salin
et Hans-Hermann Hoppe. Pascal Salin écrit qu'au lieu de viser l'harmonisation,
la standardisation, les Européens feraient bien de comprendre la
nécessité de la différenciation. « Les
richesses des hommes – non seulement matérielles, mais aussi spirituelles
et culturelles – proviennent de leurs différences, écrit
Pascal Salin(4).
Ce sont elles qui rendent l'échange possible et profitable. Et l'immense
mérite de la civilisation européenne est qu'elle a incité
les hommes à se différencier toujours davantage les uns par
rapport aux autres. La liberté des marchés et la concurrence
en sont l'expression économique: les producteurs cherchent non pas
à faire comme les autres producteurs – c'est-à-dire à
"harmoniser" leurs productions – mais, bien au contraire, à faire
mieux qu'eux. La prospérité du monde moderne est venue de
cette recherche continuelle de la différenciation. »
Au lieu de chercher à construire une société
uniformisée par des fins communes imposées aux individus
par le moyen d'une harmonisation des lois et des politiques sociales et
économiques, Salin place son espoir dans l'extension de la concurrence,
notion qui doit s'appliquer à toutes les activités humaines
productives, y compris la production du droit. « À
l'harmonisation des fiscalités, des réglementations, des
lois, il convient, estime Salin, de substituer la concurrence et le libre
choix des producteurs et des consommateurs. Un marché unique n'est
pas un marché unifié, c'est un marché libéré.
Une autre conception de l'Europe, fondée sur la concurrence, le
respect des droits individuels et la diversité est le seul véritable
espoir pour les Européens. »
Le
sécessionnisme comme force de progrès
Hans-Hermann Hoppe, dans un texte très
important étant donné la montée en puissance de la
machinerie politique centralisée et bureaucratique européenne,
démontre la tendance à la centralisation du pouvoir et la
montée concomitante des politiques publiques de grande ampleur,
conjuguées avec la généralisation et l'accroissement
des taxes pour financer des politiques de redistribution à grande
échelle. Tout cela, les économistes le savent, conduit à
l'appauvrissement de la société et à une incroyable
régression des libertés individuelles. Les individus sont
obligés de poursuivre des fins collectives sous peine d'être
délestés d'une part de leur propriété.
L'important, explique Hoppe, n'est pas de bâtir
de grandes entités politiques, de grands empires, mais de favoriser
la coopération naturelle d'une multitude de petites entités.
« Imaginons, écrit-il, un domaine familial comme
la plus petite entité sécessionniste concevable. En se livrant
au libre-échange le plus total, même le plus petit territoire
peut être totalement intégré aux échanges du
monde et profiter de tous les avantages de la spécialisation des
compétences. Ses propriétaires pourraient devenir les gens
les plus riches du monde. L'existence d'un seul riche où que ce
soit en est d'ailleurs la preuve vivante. En revanche, si la même
famille décidait de renoncer à tout échange entre
territoires, il en résulterait une abjecte pauvreté, voire
la mort. En conséquence, plus un territoire et ses marchés
intérieurs sont petits, et plus il y a de chances qu'il adopte la
liberté des échanges(5).
»
Contre le centralisme, Hoppe plaide pour le sécessionnisme.
La fragmentation des États et du pouvoir doit conduire à
la différenciation et à la concurrence. « La
sécession accroît la diversité ethnique, linguistique,
religieuse et culturelle, alors qu'au cours des siècles de centralisation,
des centaines de cultures différentes ont été étouffées.
Elle mettra fin à l'intégration forcée amenée
par la centralisation, et au lieu de susciter les antagonismes sociaux
et le nivellement des cultures, elle favorisera la concurrence pacifique,
coopérative, de cultures différentes, sur des territoires
séparés. »
Cette autre vision de l'Europe, libertarienne,
est sans aucun doute le seul projet positif qui puisse enthousiasmer les
populations. Jusqu'à présent le mythe d'une Europe métaphysique,
abstraite, a conduit à mettre en place l'Union des Républiques
Soviétoïdes d'Europe. Le double langage a permis aux propagandistes
de parler du mythe et de construire en douce un super-État européen.
Mais il ne serait pas vain de mettre en concurrence ce projet de destruction
de la liberté et de la civilisation avec le projet libertarien.
« Une Europe consistant en
des centaines de pays, cantons et régions distincts, de millier
de villes libres indépendantes comme les bizarreries contemporaines
de Monaco, de San Marin, et d'Andorre, avec un développement extraordinaire
des possibilités de voter avec ses pieds contre une mauvaise politique
économique, ce serait une Europe de petits gouvernements libéraux
économiquement intégrés par la liberté des
échanges et une monnaie-marchandise internationale telle que l'or.
Ce serait une Europe de croissance économique sans précédent
et de prospérité inouïe. » (Hans-Hermann
Hoppe)
1. Arnaud Leparmentier
et Laurent Zecchini, « La Commission veut devenir un
vrai gouvernement de l'Europe », Le Monde, 19
Mai 2002. >> |
2. Idem.
>> |
3. Arnaud Leparmentier
et Laurent Zecchini, « Enquête sur une Commission
européenne de plus en plus critiquée »,
Le Monde, 4 juin 2002. >> |
4. Pascal Salin,
Pour
une Europe non harmonisée, Journal des Économistes
et des Études Humaines, vol.1 n°4, décembre 1990.
>> |
5. Hans-Hermann
Hoppe, « Contre
le centralisme, coopération économique oui, intégration
politique non », www.lemennicier.com. >> |
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