Montréal, 8 juin 2002  /  No 105
 
 
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Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur.
 
ÉDITORIAL
 
PEUT-ON FAIRE CONFIANCE À L'ADQ?
 
par Martin Masse
 
 
          Le Québec a soudainement été plongé dans une période d'effervescence politique, il y a deux mois, lorsque l'Action démocratique du Québec a fait élire un second député à l'Assemblée nationale lors d'une élection partielle dans le comté de Saguenay, jusque-là un château fort péquiste. Depuis 1994, l'ADQ n'avait été représentée que par son chef, Mario Dumont. La jeune formation semblait destinée à demeurer marginale, fautrice de troubles pour les deux grands partis mais incapable de faire une percée réelle.
 
          À moins d'avoir une base régionale où sont concentrés ses appuis, il est en effet presque impossible pour un petit parti d'effectuer une percée importante dans un système électoral uninominal à un tour comme le nôtre. Seuls des bouleversements politiques importants, telle l'émergence du mouvement séparatiste dans les années 1960 et 1970, permettent à un nouveau parti de briser l'équilibre des forces dans un tel système bipartiste.  
  
          Il y a 32 ans, le Parti québécois faisait lui-même une première percée qui allait lui permettre de prendre le pouvoir six ans plus tard et de remplacer l'Union nationale (qui avait elle-même remplacé le Parti conservateur une génération plus tôt) comme alternative au Parti libéral, le parti avec la plus longue histoire au Québec. Aujourd'hui, après deux mandats, trois chefs et une seconde défaite référendaire, le PQ semble être pris dans un cul-de-sac et ses dirigeants cherchent frénétiquement un moyen de relancer la ferveur séparatiste qui sous-tend sa raison d'être. Il semble que nous soyons dans l'une de ces phases où quoi qu'il propose et qu'il fasse, le gouvernement est déjà battu. Il a perdu la confiance d'une majorité des électeurs, qui n'écoutent plus, ne veulent pas entendre parler de référendum et souhaitent simplement un changement.  
  
          Ce qui rend la situation plus corsée, c'est que cette descente aux enfers du PQ ne profite pas vraiment aux libéraux mais se conjugue avec un intérêt soudain pour l'ADQ, et que tous les éléments sont en place pour que l'on assiste à l'un de ces bouleversements politiques périodiques. Dans les sondages des dernières semaines, le PQ se retrouve au 3e rang, avec 20 à 25% des voix, alors que l'ADQ et le PLQ se disputent le premier, avec 30 à 35% chacun. L'ADQ pourrait faire élire d'autres députés lors des quatre élections partielles qui auront lieu le 17 juin. Si cette tendance se maintient, un petit parti jusqu'ici assez marginal, avec un chef de 33 ans, pourrait donc devenir l'opposition officielle, ou même former le prochain gouvernement, après les élections provinciales qui auront lieu probablement l'an prochain.  
  
          Au-delà de ces considérations qui font les choux gras des politicologues, ceux qui souhaitent une réduction du rôle et de la taille de l'État québécois s'intéresseront tout particulièrement à ce phénomène. Le programme de l'ADQ propose en effet une série de réformes plutôt audacieuses dans le contexte politique québécois: mise en place d'un impôt à taux uniforme de 20% pour remplacer l'impôt progressif; remise en question de la Formule Rand et des privilèges des syndicats; réduction de 25% du nombre de fonctionnaires, couplée avec une décentralisation et débureaucratisation des programmes de l'État; introduction de bons d'éducation pour permettre une plus grande compétition entre les écoles et un meilleur choix pour les parents; plus grand rôle pour le secteur privé dans la prestation des soins de santé.  
  
          Toutes ces mesures vont certainement dans la bonne direction. Mais peut-on vraiment faire confiance à l'ADQ pour qu'elle amorce la désétatisation de la société québécoise?  
  
Contradiction potentielle 
  
          Tenter d'évaluer le programme d'un parti politique, alors qu'on souhaite l'abolition ou la réduction la plus draconienne possible de l'aire du politique, nous met potentiellement en contradiction avec nos convictions. J'étais, il y a quelques années, beaucoup plus naïf qu'aujourd'hui concernant la capacité de changer les choses de cette façon. Mais on apprend beaucoup de choses en faisant de la politique. On se rend compte que la plupart des politiciens et des militants sont confus, que les plus motivés le sont bien peu par principe mais surtout dans l'espoir d'obtenir un poste, de faire valoir leur ego ou d'obtenir un avantage quelconque. On constate que les principes sont toujours flexibles et que le réflexe premier du politicien est de plaire à ses supporters et aux électeurs, et non de rester cohérent. D'ailleurs, le politicien qui cherche à être trop cohérent se fait rapidement rappeler à l'ordre. Je me souviens par exemple de cette réunion où, comme candidat, je me suis mis à dos mes organisateurs en refusant de défendre une position dans un dossier chaud qui contredisait tout à fait non seulement le programme du parti mais mes propres convictions, une position qui avait toutefois l'avantage d'être populaire dans cette circonscription...  
  
          C'est ce qui m'amène à demeurer sceptique aujourd'hui devant cet engouement soudain pour l'ADQ. Oui, le programme de l'ADQ contient bien quelques propositions intéressantes, mais il reste un fourre-tout qui vise à plaire à tout le monde et à son voisin. Selon l'évaluation qu'ils font de l'humeur politique du jour, Mario Dumont et son équipe mettront l'accent sur leur volonté de réduire l'interventionnisme de l'État, ou inversement sur les multiples nouveaux programmes qu'ils proposent d'instaurer. Si on cherche à y voir une cohérence, on ne peut que se fourvoyer. C'est ce qui m'est d'ailleurs déjà arrivé.  
  
     « Que se passera-t-il lorsqu'un premier projet de désengagement de l'État adopté par un gouvernement Dumont provoquera une levée de boucliers chez les parlotteux médiatiques, les syndicats et tous les lobbys de parasites qui profitent de la manne étatique? »
 
          Il y a quatre ans, après un congrès d'orientation de l'ADQ, j'écrivais dans un édito du QL qu'il était « impossible de trouver une seule trace de penchant libertarien ou de conservatisme économique dans ce programme. On y reconnaît au contraire la démarche classique des étatistes: identifier toutes sortes de manques et de défectuosités, toutes sortes de déchirures dans le "tissu social", et proposer des programmes bureaucratiques pour les solutionner. » (voir L'INUTILITÉ DE L'ADQ, le QL, no 21).  
  
          Deux mois plus tard, pendant la campagne électorale de l'automne 1998, je constatais que Mario Dumont tenait cependant des propos beaucoup plus fermes que ses deux adversaires dans le sens d'une réduction du rôle de l'État, et qu'on pouvait donc, « sans se faire trop d'illusion sur ce qui arrivera par la suite – les virages sont fréquents en politique québécoise – appuyer une démarche qui va dans le bon sens. » (voir COMMENCER À CHANGER LES CHOSES AVEC L'ADQ, le QL, no 25) 
  
          Mais un an plus tard, à la suite d'un autre congrès, je concluais que les adéquistes s'étaient surpassés dans la dérive idéologique et les futilités politiques en proposant des dizaines de nouveaux programmes pour acheter les électeurs, notamment les jeunes. « Un parti qui s'abaisse à ce genre de tactiques et de discours n'a tout simplement rien de bon à offrir, quoi qu'on puisse trouver de pertinent dans le reste de son programme. C'est plus que de l'incohérence, c'est de la stupidité. » (voir LES TI-CULS DE L'ADQ, le QL, no 48). 
  
L'ADQ du tout ou rien 
  
          La réalité est bien sûr que l'ADQ, c'est tout cela. Si un gouvernement adéquiste décidait de concrétiser toutes, et uniquement, les parties de son programme qui visent une réduction du rôle de l'État, nous aurions une véritable petite révolution. Si au contraire il allait de l'avant avec ses propositions étatistes, nous aurions simplement un autre gouvernement social-démocrate et interventionniste. Et on peut prévoir que la réalité ressemblera plus au second scénario.  
  
          Nous sommes conditionnés à penser que tout est politique, que les problèmes sont causés par la politique et donc que les solutions viendront de la politique. Mais l'histoire nous montre qu'il est illusoire d'espérer que c'est par la politique que l'on pourra s'attaquer à la politique, que ce sont des politiciens qui, en s'appuyant sur des principes, réduiront délibérément la taille de l'État et par le fait même la base de leur pouvoir. Ce n'est encore jamais arrivé. L'ADQ n'est pas le premier parti en Occident à proposer ce genre de solutions, d'autres l'ont fait et semblaient avoir des intentions beaucoup plus fermes. Mais même les Ronald Reagan, Margaret Thatcher, Mike Harris ou Vaclav Klaus n'ont pas réussi à diminuer la taille de leur État malgré les quelques réformes ou réductions d'impôt qu'ils ont pu instaurer.  
  
          Qui plus est, l'ADQ ne peut pas vraiment compter sur un véritable mouvement intellectuel et social pour l'appuyer et la pousser dans ce sens. Son programme socio-économique reste méconnu du grand public. La plupart de ceux qui s'apprêtent à voter pour l'ADQ sont désabusés du PQ, ne font pas confiance aux libéraux, sont d'abord des nationalistes mous qui veulent du changement et qui trouvent Mario Dumont sympathique. Que se passera-t-il lorsqu'un premier projet de désengagement de l'État adopté par un gouvernement Dumont provoquera une levée de boucliers chez les parlotteux médiatiques, les syndicats et tous les lobbys de parasites qui profitent de la manne étatique? Les adéquistes auront-ils des principes assez bien ancrés pour s'aliéner tout ce beau monde – dont une bonne partie de leurs électeurs – en allant de l'avant avec des réductions de dépenses, des coupures de postes, des abolitions de programmes, des privatisations de sociétés d'État, des éliminations de programmes de subventions, etc.? Difficile à croire dans le contexte actuel... 
  
          Je ne cherche pas délibérément à décourager tous ceux qui, en ce moment, mettent leurs espoirs dans l'ADQ pour changer les choses au Québec. Plusieurs de mes amis qui se disent libertariens, ou qui ont un penchant pour les solutions qui font appel au libre marché, sont d'ailleurs présentement impliqués dans l'ADQ. Moi aussi j'espère que les choses vont s'améliorer, et comme la révolution libertarienne n'est pas pour demain, il faut compter sur des réformes partielles entre-temps. Mais on s'illusionne en pensant que c'est en militant dans un parti politique qu'on fera le plus avancer les idées libertariennes au Québec.  
  
          Comme je l'expliquais le mois dernier, la politique n'est pas la solution (le QL, no 104). C'est un investissement très risqué et à court terme. La démocratie repose sur le clientélisme et ce n'est pas un parti confus comme l'ADQ qui va pouvoir résister à cette réalité. Les partis sont des endroits où les idées et les principes sont étirés, adaptés, déformés, dénaturés et sacrifiés sur l'autel du pouvoir.  
  
          On raisonne à l'envers lorsqu'on s'imagine que plus l'ADQ sera populaire et forte, plus les idées libertariennes ou économiquement libérales auront un écho au Québec. Le contraire est vrai: plus il y aura de Québécois qui comprendront et appuieront ces idées, plus les politiciens, de tous partis, se sentiront obligés de s'y conformer pour accéder et rester au pouvoir. Les étatistes dominent les débats intellectuels depuis près d'un siècle, et c'est pourquoi presque tous les politiciens aujourd'hui proposent et mettent en oeuvre des solutions étatistes. Pour renverser cette tendance de fond, gagner des esprits et changer la culture intellectuelle en profondeur est plus important que gagner des votes lors de la prochaine élection. C'est pourquoi l'activisme en dehors des partis et le combat intellectuel sont au contraire des investissements beaucoup plus sûrs et à plus long terme. 
  
 
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