Toujours est-il que le PLQ a dévoilé le 12 septembre les
grandes lignes de son programme électoral(1),
qui prend la forme d'un « plan quinquennal ».
Le premier plan du Québec « réinventé
», d'un État « efficace »
et pourquoi pas stakhanoviste. Les politiciens sont passés
maîtres en illusionnisme. Par exemple, nous faire accroire que le
Parti québécois est celui de tous les Québécois,
que le parti libéral défend les libertés individuelles,
que lorsqu'ils prennent notre argent c'est pour notre bien, ou encore que
si ça va mal c'est parce que c'est mal planifié. Or le programme
du PLQ, malgré ses prétentions de lutter contre l'État
tentaculaire, n'est qu'un autre produit de l'illusionnisme étatiste.
Il suffirait selon leurs dires de changer de planificateurs, de modifier
les structures de l'appareil, d'éliminer quelques apparatchiks,
de pomper plus d'argent en santé et en éducation, pour que
tout aille mieux.
Le
« plan quinquennal », en bref
Dans un même paragraphe le chef du PLQ, M. Jean Charest, dit: «
L'organisation de notre État, ce qu'on appelle le "modèle
québécois", doit être actualisée »
et plus loin: « Le XXIe siècle sera celui
de l'épanouissement des personnes ». Outre qu'il
est faux de parler de « notre » État, puisqu'il
est le leur, comment M. Charest peut-il concilier l'épanouissement
des personnes à la présence d'un État qui s'ingère
continuellement dans nos vies? Voilà, semble-t-il, une question
insoluble pour le PLQ. Ceci me fait penser à la question posée
par Le Prisonnier au « Général »,
qui était un ordinateur capable de répondre à tout,
et que la question insoluble a bousillé: « Quoi? »(2)
Certes, il y a dans ce programme de bonnes intentions, en particulier celle
qui nous promet de réduire l'impôt sur le revenu des particuliers
pour que nous cessions d'être le 52e État (sur 60) le plus
taxé en Amérique du Nord. Pour le reste, c'est dit dans l'introduction
signée par le chef: « nous ne tournons pas le
dos à la Révolution tranquille ». D'ailleurs,
à vrai dire, ce programme ne contient à peu près rien
que le Parti québécois lui-même, un parti qui affiche
une crédulité aveuglément collectiviste, ne pourrait
pas réaliser si les finances publiques lui en donnaient les moyens
et surtout, si « l'ennemi » à Ottawa décidait
enfin d'éliminer le soi-disant déséquilibre fiscal(3).
Le PLQ dit que les moyens existent déjà, qu'il est possible
d'augmenter encore plus rapidement les dépenses en santé
et en éducation(4),
de diminuer les taxes et de maintenir un déficit nul. Comment? En
gelant les budgets de tous les autres ministères, budgets qui totalisent
environ 35% des dépenses courantes du gouvernement provincial. Au
bout de cinq ans, le PLQ ne le dit pas mais il y aura sans doute un...
dégel généralisé. Et il faudra de nouveau «
réinventer le Québec »!
Les
réalités de la production étatique
Pour l'année courante qui se termine le 31 mars 2003 le gouvernement
péquiste déclare un déficit budgétaire de 479
M$, montant qui correspond exactement (un hasard!) à un remboursement
dû au fédéral sur des transferts au titre de la péréquation.
Dans un communiqué émis le 18 septembre, la ministre des
Finances déclare que si cette dette n'est pas reportée à
2004 « on nous place devant des choix odieux »
(les choix seront-ils moins odieux en 2004?). Elle ajoute que ce montant
correspond à celui du ministère de la Culture ou à
celui de la Justice... Mentionnons que le gouvernement dépense tant
et si bien qu'il a épuisé en 2001 une réserve de 950
M$ constituée il y a deux ans. Malgré les maigres surplus
budgétaires des années 1998 à 2001, la dette du Big
Brother québécois a poursuivi son ascension et est passée
à plus de deux fois les revenus budgétaires alors qu'ils
s'équivalaient il y a vingt ans.
Voilà la toile de fond qui a été tissée, tant
par le PLQ quand il était au pouvoir que par le PQ. Le «
plan » du PLQ a reçu l'aval de quatre experts affirmant
qu'il est « crédible et réaliste
». Ce plan fait toutefois preuve de beaucoup d'angélisme
vis-à-vis l'État. Sa faille principale, la voici: comme la
production étatique n'a d'autre contrainte que notre capacité
de payer (évaluée bien sûr par l'État) et que
la demande n'a quant à elle aucune contrainte autre que le budget
alloué par l'État, il est inévitable qu'il y ait constamment
une pénurie de fonds pour satisfaire cette demande, sans compter
que les services produits par l'État servent eux-mêmes à
justifier d'autres besoins puisqu'il s'agit d'un marché politique.
Le PLQ veut rendre la production étatique efficace. C'est du déjà-vu
et c'est un processus en continuel recommencement. Pourquoi? Parce que
cette production n'est pas soumise aux mécanismes du marché
et obéit à des impératifs politiques, dont cette recherche
constante de faire payer autrui pour les bénéfices que les
groupes d'intérêts reçoivent de l'État.
Le premier écueil de la production étatique réside
dans la planification même de la production, les planificateurs ne
disposant pas de toute l'information relative aux préférences
des consommateurs, information qui leur serait fournie par un marché
concurrentiel où la demande et les investissements qui s'y rattachent
vont au mieux offrant. Les conséquences sont nombreuses, entre autres
une gestion bureaucratique où l'efficacité ne peut être
que décrétée et où les décisions ne
sont pas astreintes à des critères de rentabilité,
des pénuries chroniques de main-d'oeuvre dans certains secteurs
et de surplus dans d'autres, des investissements qui ne répondent
pas aux besoins (équipements désuets par exemple ou surinvestissements
ailleurs), une demande qui ne peut qu'abuser des services puisqu'ils sont
gratuits, et ipso facto une panoplie de contrôles afin de
limiter la croissance de la demande ou de s'assurer que les objectifs politiques
sont rencontrés. Ceci caractérise relativement bien le régime
étatisé de la santé et de l'éducation, mais
aussi le fonctionnement de tous les ministères et même des
sociétés d'État comme la Société des
alcools par exemple, où il a fallu que l'ex-pdg Gaétan Frigon
décrète que les employés sourient à
la clientèle...
Les exemples abondent pour illustrer ce qui précède. Mentionnons
seulement le dernier en lice, cette loi qui permet de signifier à
un médecin, par huissier, de se présenter à un autre
hôpital dans une autre ville à quelques heures d'avis.
«
Un système de santé public, efficace et performant
»
Le PLQ promet de hausser les dépenses pour la santé et les
services sociaux(5)
de 17,5 milliards de $ en 2002 à 23,7 milliards en 2008, soit une
hausse de 35%. De 1996 à 2002 nous observons aussi une hausse de
35%. Les milliards pleuvent. Ils semblent sortir du chapeau d'un magicien.
Nous pourrions aussi bien dire qu'une somme de 20 milliards serait adéquate
puisque le système va être... efficace. Donc, pour la santé
et toutes les missions de l'État, le passé est garant
de l'avenir(6).
Même si la croissance des coûts a accusé une pause au
milieu de la décennie précédente le manque de fonds
n'est pas la seule ni la principale explication des difficultés
de cette médecine à la soviétique.
Le PLQ fait sien le rapport de la Commission Clair(7)
et recommande une place accrue pour les cliniques privées mais,
précise-t-il, « toujours sous un financement
public. En somme, il s'agit de mettre le secteur privé au service
du secteur public. » Pour ceux qui en doutent «
les patients n'auront pas un sou à débourser
». Ceux qui escomptent une liberté... de choix seront
déçus puisque le gouvernement conserve le monopole du financement,
donc des décisions, et que le secteur privé devra se soumettre
à toutes les exigences des bureaucrates à Québec.
Le PLQ dénonce la hausse des cotisations au régime public
d'assurance médicaments et ce qu'il propose, c'est encore plus d'État:
« contenir les prix des médicaments et optimiser
leur utilisation ».
« Ce programme ne contient à peu près rien que le Parti
québécois lui-même, un parti qui affiche une crédulité
aveuglément collectiviste, ne pourrait pas réaliser si les
finances publiques lui en donnaient les moyens. » |
|
Dans une étude rendue publique il y a un mois, l'Institut Fraser
constate que le Canada, parmi les pays industrialisés offrant un
régime public et universel de santé, est celui qui à
la fois dépense le plus tout en se classant parmi les derniers quant
à la qualité des soins. « No
country in the industrialized world other than Canada outlaws a private
parallel health care system for their citizens(8).
»
Les services publics de santé seraient un vache sacrée
qu'on ne peut remettre en question sans se voir brandir des épouvantails.
La majorité de la population pense en sortir gagnante alors que
précisément, sans cette majorité le régime
ne pourrait pas faire ses frais et elle paie déjà trop pour
ce qu'elle reçoit, compte tenu des pénuries. On n'en finit
plus d'aller de commission en commission pour entendre le même refrain;
lorsque le fautif n'est pas le manque de/ou une mauvaise planification
c'est le manque d'argent, ou les deux à la fois. C'est exactement
ce qui nous répète le PLQ.
Or, il n'y a pas plus de justification au monopole de la production étatique
des soins de santé qu'il y en aurait par exemple pour la production
de chaussures (même si tous ont les moyens d'en acheter) ou pour
la construction et l'entretien des routes. Pour s'amuser un peu, nous pourrions
imaginer ce que serait un monopole étatique de production de chaussures
dont l'achat serait financé par un organisme similaire à
notre Régie d'assurance maladie (RAMQ): listes d'attente, choix
limité de modèles, pénurie ou surplus de certaines
pointures, contrôle de la consommation (ou coupons de rationnement
comme en temps de guerre)... L'ex-URSS n'offrait pas la gratuité
des chaussures et certains se souviennent peut-être que le choix
des statocrates ne correspondait pas du tout aux préférences
des consommateurs. La véritable solution était de sortir
l'État, entre autres, de la production de chaussures, non pas de
la rendre plus efficace!
Un
pot-pourri pour la galerie
Il y a de tout dans le programme du PLQ, pour l'éducation, les régions,
la famille, et même un projet de « cyber-gouvernement
» (pourquoi pas la surveillance en ligne?). En éducation
il promet entre autres des « services d'aide aux devoirs
» (fallait y penser) mais rien qui permettrait de rendre le
système concurrentiel en offrant le libre choix aux parents. Pour
la famille, il y a cette proposition de déduction fiscale «
à ceux qui font l'acquisition d'une maison intergénérationnelle
» (sic) et, bien sûr, les garderies à 5$ seront
maintenues et élargies. La famille deviendra de plus en plus dépendante
de l'État. Pour les régions, on promet des pouvoirs accrus
avec le financement qui va avec (devinez qui va payer) et même des
rabais fiscaux pour s'installer en région (la respiration artificielle
autrement dit).
Rien sur les institutions parlementaires car le régime actuel profite
aux deux principaux partis. « The show must
go on! »
« Ensemble, les gouvernements québécois
et municipaux coûtent 37% plus cher qu'en Ontario, 28% plus cher
que dans le reste du Canada. Les Québécois sont les plus
taxés du continent. » Va pour le constat sauf
que les moyens proposés sont insuffisants pour guérir le
bobo et que la plupart des résolutions sont vagues, non chiffrées,
ou évaluées au pif. Ainsi, le PLQ dit vouloir introduire
« un plan de réduction du taux de l'endettement
public »; il exprime ce taux en proportion du PIB; or
ce taux affiche une diminution depuis 1997... et le PLQ ne peut pas accélérer
la baisse du... taux puisque son plan quinquennal ne prévoit aucun
surplus budgétaire!
Il nous promet aussi une révision de toutes les subventions ou crédits
d'impôt et l'élimination de « ceux qui
sont inefficaces » mais il en remet. Le PLQ peut-il
nous expliquer comment il va déterminer qu'une subvention ou un
crédit d'impôt est efficace? Ce pourraît être
le sujet d'un prochain article...
Autre citation: « La réglementation québécoise
c'est: 450 lois, 2 500 règlements et 2 millions de permis, licences
et autorisations diverses émises par année. Les dirigeants
des PME consacrent 10 à 15% de leur temps à la paperasse
administrative. » Le remède: « mettre
en oeuvre un programme d'allégement de la réglementation
économique et fiscale. Toute nouvelle réglementation sera
obligatoirement revue au bout de cinq ans. » Un comité
créé par le parti au pouvoir et présidé par
le président de Cascades, M. Bernard Lemaire, s'est heurté
l'an dernier à l'opposition de la centrale syndicale FTQ pour avoir
proposé un moratoire de 2 ans sur tout nouveau règlement
et une diminution de 20% des 17 millions de formalités exigées
par les ministères... Le comité Lemaire n'est d'ailleurs
pas le premier du genre. Les bonnes intentions du PLQ n'iront pas tellement
loin car César ne peut contredire César.
Pour terminer, quelques mots sur la liberté... du travail. Le programme
du PLQ se limite à une intention vague de « faciliter
le recours à la sous-traitance ». S'agit-il d'une
allusion au projet gouvernemental d'empêcher la sous-traitance auprès
d'une entreprise qui n'est pas soumise à la convention collective
de l'industrie de la construction pour les travaux relatifs à la
machinerie industrielle? L'économiste Pierre Fortin estime que l'excédent
des coûts imposés aux promoteurs industriels peut atteindre
80% en région(9);
selon une étude de la firme Samson Bélair, 10 000
emplois seraient en jeu. L'industrie de la construction, monopolisée
par la FTQ, voudrait ainsi éliminer toute concurrence.
Rien dans ce programme sur la liberté d'association, c'est-à-dire
autant la liberté d'appartenir à une association que de refuser
d'y adhérer, dans la fonction publique comme ailleurs. La monopolisation
syndicale d'une industrie ou d'un service n'est pas plus justifiée
que l'absence de concurrence du côté des producteurs, que
ce soit en agriculture, dans le transport en commun, en santé, etc.
Quand le président du Conseil du trésor, Joseph Facal, prend
la défense de la Loi sur la fonction publique qui aurait mis fin
au patronage politique dans les nominations de fonctionnaires, il feint
d'ignorer que l'emploi à vie dans la fonction publique et la progression
salariale automatique selon l'ancienneté sont aussi du patronage
politique en faveur des agents de l'État et un passeport pour l'incompétence.
La liberté du travail implique aussi la déréglementation
des professions. Dans ce domaine le PLQ est muet et propose même
d'ajouter un nouvel ordre professionnel pour contrôler l'offre et
dont les enseignants devraient obligatoirement être membres pour
enseigner.
Le PLQ ne nous parle plus, comme en 1986, de « l'urgence
d'un redressement » ou, comme en 1993, de «
vivre selon nos moyens » (il n'a pas réussi
dans les deux cas), mais de « réinventer l'État
»... Sans doute vaudrait-il mieux qu'il commence par se réinventer
lui-même car on reste sur notre appétit.
1.
Le programme (« Un gouvernement au service des Québécois
– Ensemble, réinventons le Québec »),
ainsi qu'un autre document de « résolutions cadres
», sont disponibles en ligne sur le site du PLQ
et seront discutés lors de la réunion de leur conseil général
les 27 au 29 septembre. >> |
2.
La série télévisée de Patrick McGoohan The
Prisoner (Le Prisonnier) a été montrée
en reprise au réseau de la SRC ce mois-ci dans le cadre des célébrations
entourant son 50e anniversaire. >> |
3.
Le 18 septembre, Bernard Landry a déclaré qu'aucune autre
baisse d'impôt n'est possible sans que soit réglé le
« déséquilibre fiscal »
entre Québec et Ottawa. Voir mon texte à ce sujet dans le
QL du 13 avril 2002. >> |
4.
37% de la « marge de manoeuvre »
dégagée (excluant une réduction de la taxe sur le
capital) va ailleurs qu'à la santé et l'éducation,
entre autres à décupler les fonds alloués à
un programme qui paie les gens pour les inciter à travailler...
>> |
5.
Évidemment, ces montants ne comprennent pas les frais assumés
par le secteur privé, en particulier les médicaments couverts
par une assurance privée. Quant aux services sociaux, ils ne comprennent
pas le budget des garderies à 5$. >> |
6.
Sur la croissance des dépenses de l'État-providence, voir
« Le
démantèlement de l'État-providence au Québec:
mythe ou réalité? », étude publiée
récemment par l'Institut économique de Montréal.
>> |
7.
Voir « La Commission Clair: Comment les bureaucrates
se créent du travail », dans
le QL du 3 février 2001. >> |
8.
Voir « Canada
Spends the Most on Health Care Among OECD Countries but Ranks Low on Key
Health Indicators », Institut Fraser, 19 août
2002. >> |
9.
« Machinerie de production: la prudence s'impose
», par MM. Jean Sexton et Pierre Fortin, quotidien Le
Soleil du 12 septembre. >> |
|