Montréal, 28 septembre 2002  /  No 110  
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation (Université de Montréal), il a travaillé à la Banque du Canada (11 ans) puis pour « notre » État du Québec (beaucoup trop longtemps: 20 ans). On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
 
LE PARTI LIBÉRAL DU QUÉBEC VEUT 
RÉINVENTER L'ÉTAT
 
par Yvon Dionne
  
  
          Des élections provinciales doivent se tenir au Québec au plus tard en novembre 2003. Comme le dit une publicité de Loto-Québec, « c'est la loi! » Il n'est donc pas étonnant que les partis politiques multiplient les interventions afin de plaire à l'électorat, d'autant plus que leurs promesses ne leur coûtent rien alors que leurs prouesses nous coûtent cher. Le parti au pouvoir (le Parti québécois) détient un avantage incontestable, celui de s'approprier le bénéfice des dépenses gouvernementales pour mousser sa réélection. Il bénéficie aussi, comme le Parti libéral du Québec (PLQ), d'une forte contribution des payeurs de taxes sous forme d'un remboursement des dépenses électorales et de crédits d'impôt.
 
          Toujours est-il que le PLQ a dévoilé le 12 septembre les grandes lignes de son programme électoral(1), qui prend la forme d'un « plan quinquennal ». Le premier plan du Québec « réinventé », d'un État « efficace » et pourquoi pas stakhanoviste. Les politiciens sont passés maîtres en illusionnisme. Par exemple, nous faire accroire que le Parti québécois est celui de tous les Québécois, que le parti libéral défend les libertés individuelles, que lorsqu'ils prennent notre argent c'est pour notre bien, ou encore que si ça va mal c'est parce que c'est mal planifié. Or le programme du PLQ, malgré ses prétentions de lutter contre l'État tentaculaire, n'est qu'un autre produit de l'illusionnisme étatiste. Il suffirait selon leurs dires de changer de planificateurs, de modifier les structures de l'appareil, d'éliminer quelques apparatchiks, de pomper plus d'argent en santé et en éducation, pour que tout aille mieux. 
  
Le « plan quinquennal », en bref 
  
          Dans un même paragraphe le chef du PLQ, M. Jean Charest, dit: « L'organisation de notre État, ce qu'on appelle le "modèle québécois", doit être actualisée » et plus loin: « Le XXIe siècle sera celui de l'épanouissement des personnes ». Outre qu'il est faux de parler de « notre » État, puisqu'il est le leur, comment M. Charest peut-il concilier l'épanouissement des personnes à la présence d'un État qui s'ingère continuellement dans nos vies? Voilà, semble-t-il, une question insoluble pour le PLQ. Ceci me fait penser à la question posée par Le Prisonnier au « Général », qui était un ordinateur capable de répondre à tout, et que la question insoluble a bousillé: « Quoi? »(2)  
  
          Certes, il y a dans ce programme de bonnes intentions, en particulier celle qui nous promet de réduire l'impôt sur le revenu des particuliers pour que nous cessions d'être le 52e État (sur 60) le plus taxé en Amérique du Nord. Pour le reste, c'est dit dans l'introduction signée par le chef: « nous ne tournons pas le dos à la Révolution tranquille ». D'ailleurs, à vrai dire, ce programme ne contient à peu près rien que le Parti québécois lui-même, un parti qui affiche une crédulité aveuglément collectiviste, ne pourrait pas réaliser si les finances publiques lui en donnaient les moyens et surtout, si « l'ennemi » à Ottawa décidait enfin d'éliminer le soi-disant déséquilibre fiscal(3). Le PLQ dit que les moyens existent déjà, qu'il est possible d'augmenter encore plus rapidement les dépenses en santé et en éducation(4), de diminuer les taxes et de maintenir un déficit nul. Comment? En gelant les budgets de tous les autres ministères, budgets qui totalisent environ 35% des dépenses courantes du gouvernement provincial. Au bout de cinq ans, le PLQ ne le dit pas mais il y aura sans doute un... dégel généralisé. Et il faudra de nouveau « réinventer le Québec »! 
  
Les réalités de la production étatique 
  
          Pour l'année courante qui se termine le 31 mars 2003 le gouvernement péquiste déclare un déficit budgétaire de 479 M$, montant qui correspond exactement (un hasard!) à un remboursement dû au fédéral sur des transferts au titre de la péréquation. Dans un communiqué émis le 18 septembre, la ministre des Finances déclare que si cette dette n'est pas reportée à 2004 « on nous place devant des choix odieux » (les choix seront-ils moins odieux en 2004?). Elle ajoute que ce montant correspond à celui du ministère de la Culture ou à celui de la Justice... Mentionnons que le gouvernement dépense tant et si bien qu'il a épuisé en 2001 une réserve de 950 M$ constituée il y a deux ans. Malgré les maigres surplus budgétaires des années 1998 à 2001, la dette du Big Brother québécois a poursuivi son ascension et est passée à plus de deux fois les revenus budgétaires alors qu'ils s'équivalaient il y a vingt ans. 
  
          Voilà la toile de fond qui a été tissée, tant par le PLQ quand il était au pouvoir que par le PQ. Le « plan » du PLQ a reçu l'aval de quatre experts affirmant qu'il est « crédible et réaliste ». Ce plan fait toutefois preuve de beaucoup d'angélisme vis-à-vis l'État. Sa faille principale, la voici: comme la production étatique n'a d'autre contrainte que notre capacité de payer (évaluée bien sûr par l'État) et que la demande n'a quant à elle aucune contrainte autre que le budget alloué par l'État, il est inévitable qu'il y ait constamment une pénurie de fonds pour satisfaire cette demande, sans compter que les services produits par l'État servent eux-mêmes à justifier d'autres besoins puisqu'il s'agit d'un marché politique.  
  
          Le PLQ veut rendre la production étatique efficace. C'est du déjà-vu et c'est un processus en continuel recommencement. Pourquoi? Parce que cette production n'est pas soumise aux mécanismes du marché et obéit à des impératifs politiques, dont cette recherche constante de faire payer autrui pour les bénéfices que les groupes d'intérêts reçoivent de l'État. 
  
          Le premier écueil de la production étatique réside dans la planification même de la production, les planificateurs ne disposant pas de toute l'information relative aux préférences des consommateurs, information qui leur serait fournie par un marché concurrentiel où la demande et les investissements qui s'y rattachent vont au mieux offrant. Les conséquences sont nombreuses, entre autres une gestion bureaucratique où l'efficacité ne peut être que décrétée et où les décisions ne sont pas astreintes à des critères de rentabilité, des pénuries chroniques de main-d'oeuvre dans certains secteurs et de surplus dans d'autres, des investissements qui ne répondent pas aux besoins (équipements désuets par exemple ou surinvestissements ailleurs), une demande qui ne peut qu'abuser des services puisqu'ils sont gratuits, et ipso facto une panoplie de contrôles afin de limiter la croissance de la demande ou de s'assurer que les objectifs politiques sont rencontrés. Ceci caractérise relativement bien le régime étatisé de la santé et de l'éducation, mais aussi le fonctionnement de tous les ministères et même des sociétés d'État comme la Société des alcools par exemple, où il a fallu que l'ex-pdg Gaétan Frigon décrète que les employés sourient à la clientèle... 
  
          Les exemples abondent pour illustrer ce qui précède. Mentionnons seulement le dernier en lice, cette loi qui permet de signifier à un médecin, par huissier, de se présenter à un autre hôpital dans une autre ville à quelques heures d'avis. 
  
« Un système de santé public, efficace et performant » 
  
          Le PLQ promet de hausser les dépenses pour la santé et les services sociaux(5) de 17,5 milliards de $ en 2002 à 23,7 milliards en 2008, soit une hausse de 35%. De 1996 à 2002 nous observons aussi une hausse de 35%. Les milliards pleuvent. Ils semblent sortir du chapeau d'un magicien. Nous pourrions aussi bien dire qu'une somme de 20 milliards serait adéquate puisque le système va être... efficace. Donc, pour la santé et toutes les missions de l'État, le passé est garant de l'avenir(6). Même si la croissance des coûts a accusé une pause au milieu de la décennie précédente le manque de fonds n'est pas la seule ni la principale explication des difficultés de cette médecine à la soviétique. 
  
          Le PLQ fait sien le rapport de la Commission Clair(7) et recommande une place accrue pour les cliniques privées mais, précise-t-il, « toujours sous un financement public. En somme, il s'agit de mettre le secteur privé au service du secteur public. » Pour ceux qui en doutent « les patients n'auront pas un sou à débourser ». Ceux qui escomptent une liberté... de choix seront déçus puisque le gouvernement conserve le monopole du financement, donc des décisions, et que le secteur privé devra se soumettre à toutes les exigences des bureaucrates à Québec. Le PLQ dénonce la hausse des cotisations au régime public d'assurance médicaments et ce qu'il propose, c'est encore plus d'État: « contenir les prix des médicaments et optimiser leur utilisation ». 
  
     « Ce programme ne contient à peu près rien que le Parti québécois lui-même, un parti qui affiche une crédulité aveuglément collectiviste, ne pourrait pas réaliser si les finances publiques lui en donnaient les moyens. »
 
          Dans une étude rendue publique il y a un mois, l'Institut Fraser constate que le Canada, parmi les pays industrialisés offrant un régime public et universel de santé, est celui qui à la fois dépense le plus tout en se classant parmi les derniers quant à la qualité des soins. « No country in the industrialized world other than Canada outlaws a private parallel health care system for their citizens(8). » 
  
          Les services publics de santé seraient un vache sacrée qu'on ne peut remettre en question sans se voir brandir des épouvantails. La majorité de la population pense en sortir gagnante alors que précisément, sans cette majorité le régime ne pourrait pas faire ses frais et elle paie déjà trop pour ce qu'elle reçoit, compte tenu des pénuries. On n'en finit plus d'aller de commission en commission pour entendre le même refrain; lorsque le fautif n'est pas le manque de/ou une mauvaise planification c'est le manque d'argent, ou les deux à la fois. C'est exactement ce qui nous répète le PLQ. 
  
          Or, il n'y a pas plus de justification au monopole de la production étatique des soins de santé qu'il y en aurait par exemple pour la production de chaussures (même si tous ont les moyens d'en acheter) ou pour la construction et l'entretien des routes. Pour s'amuser un peu, nous pourrions imaginer ce que serait un monopole étatique de production de chaussures dont l'achat serait financé par un organisme similaire à notre Régie d'assurance maladie (RAMQ): listes d'attente, choix limité de modèles, pénurie ou surplus de certaines pointures, contrôle de la consommation (ou coupons de rationnement comme en temps de guerre)... L'ex-URSS n'offrait pas la gratuité des chaussures et certains se souviennent peut-être que le choix des statocrates ne correspondait pas du tout aux préférences des consommateurs. La véritable solution était de sortir l'État, entre autres, de la production de chaussures, non pas de la rendre plus efficace! 
  
Un pot-pourri pour la galerie 
  
          Il y a de tout dans le programme du PLQ, pour l'éducation, les régions, la famille, et même un projet de « cyber-gouvernement » (pourquoi pas la surveillance en ligne?). En éducation il promet entre autres des « services d'aide aux devoirs » (fallait y penser) mais rien qui permettrait de rendre le système concurrentiel en offrant le libre choix aux parents. Pour la famille, il y a cette proposition de déduction fiscale « à ceux qui font l'acquisition d'une maison intergénérationnelle » (sic) et, bien sûr, les garderies à 5$ seront maintenues et élargies. La famille deviendra de plus en plus dépendante de l'État. Pour les régions, on promet des pouvoirs accrus avec le financement qui va avec (devinez qui va payer) et même des rabais fiscaux pour s'installer en région (la respiration artificielle autrement dit). 
  
          Rien sur les institutions parlementaires car le régime actuel profite aux deux principaux partis. « The show must go on! » 
  
          « Ensemble, les gouvernements québécois et municipaux coûtent 37% plus cher qu'en Ontario, 28% plus cher que dans le reste du Canada. Les Québécois sont les plus taxés du continent. » Va pour le constat sauf que les moyens proposés sont insuffisants pour guérir le bobo et que la plupart des résolutions sont vagues, non chiffrées, ou évaluées au pif. Ainsi, le PLQ dit vouloir introduire « un plan de réduction du taux de l'endettement public »; il exprime ce taux en proportion du PIB; or ce taux affiche une diminution depuis 1997... et le PLQ ne peut pas accélérer la baisse du... taux puisque son plan quinquennal ne prévoit aucun surplus budgétaire! 
  
          Il nous promet aussi une révision de toutes les subventions ou crédits d'impôt et l'élimination de « ceux qui sont inefficaces » mais il en remet. Le PLQ peut-il nous expliquer comment il va déterminer qu'une subvention ou un crédit d'impôt est efficace? Ce pourraît être le sujet d'un prochain article... 
  
          Autre citation: « La réglementation québécoise c'est: 450 lois, 2 500 règlements et 2 millions de permis, licences et autorisations diverses émises par année. Les dirigeants des PME consacrent 10 à 15% de leur temps à la paperasse administrative. » Le remède: « mettre en oeuvre un programme d'allégement de la réglementation économique et fiscale. Toute nouvelle réglementation sera obligatoirement revue au bout de cinq ans. » Un comité créé par le parti au pouvoir et présidé par le président de Cascades, M. Bernard Lemaire, s'est heurté l'an dernier à l'opposition de la centrale syndicale FTQ pour avoir proposé un moratoire de 2 ans sur tout nouveau règlement et une diminution de 20% des 17 millions de formalités exigées par les ministères... Le comité Lemaire n'est d'ailleurs pas le premier du genre. Les bonnes intentions du PLQ n'iront pas tellement loin car César ne peut contredire César. 
  
          Pour terminer, quelques mots sur la liberté... du travail. Le programme du PLQ se limite à une intention vague de « faciliter le recours à la sous-traitance ». S'agit-il d'une allusion au projet gouvernemental d'empêcher la sous-traitance auprès d'une entreprise qui n'est pas soumise à la convention collective de l'industrie de la construction pour les travaux relatifs à la machinerie industrielle? L'économiste Pierre Fortin estime que l'excédent des coûts imposés aux promoteurs industriels peut atteindre 80% en région(9); selon une étude de la firme Samson Bélair, 10 000 emplois seraient en jeu. L'industrie de la construction, monopolisée par la FTQ, voudrait ainsi éliminer toute concurrence. 
  
          Rien dans ce programme sur la liberté d'association, c'est-à-dire autant la liberté d'appartenir à une association que de refuser d'y adhérer, dans la fonction publique comme ailleurs. La monopolisation syndicale d'une industrie ou d'un service n'est pas plus justifiée que l'absence de concurrence du côté des producteurs, que ce soit en agriculture, dans le transport en commun, en santé, etc. Quand le président du Conseil du trésor, Joseph Facal, prend la défense de la Loi sur la fonction publique qui aurait mis fin au patronage politique dans les nominations de fonctionnaires, il feint d'ignorer que l'emploi à vie dans la fonction publique et la progression salariale automatique selon l'ancienneté sont aussi du patronage politique en faveur des agents de l'État et un passeport pour l'incompétence. 
  
          La liberté du travail implique aussi la déréglementation des professions. Dans ce domaine le PLQ est muet et propose même d'ajouter un nouvel ordre professionnel pour contrôler l'offre et dont les enseignants devraient obligatoirement être membres pour enseigner. 
  
          Le PLQ ne nous parle plus, comme en 1986, de « l'urgence d'un redressement » ou, comme en 1993, de « vivre selon nos moyens » (il n'a pas réussi dans les deux cas), mais de « réinventer l'État »... Sans doute vaudrait-il mieux qu'il commence par se réinventer lui-même car on reste sur notre appétit. 
  
  
1. Le programme (« Un gouvernement au service des Québécois – Ensemble, réinventons le Québec »), ainsi qu'un autre document de « résolutions cadres », sont disponibles en ligne sur le site du PLQ et seront discutés lors de la réunion de leur conseil général les 27 au 29 septembre.  >>
2. La série télévisée de Patrick McGoohan The Prisoner (Le Prisonnier) a été montrée en reprise au réseau de la SRC ce mois-ci dans le cadre des célébrations entourant son 50e anniversaire.  >>
3. Le 18 septembre, Bernard Landry a déclaré qu'aucune autre baisse d'impôt n'est possible sans que soit réglé le « déséquilibre fiscal » entre Québec et Ottawa. Voir mon texte à ce sujet dans le QL du 13 avril 2002>>
4. 37% de la « marge de manoeuvre » dégagée (excluant une réduction de la taxe sur le capital) va ailleurs qu'à la santé et l'éducation, entre autres à décupler les fonds alloués à un programme qui paie les gens pour les inciter à travailler...  >>
5. Évidemment, ces montants ne comprennent pas les frais assumés par le secteur privé, en particulier les médicaments couverts par une assurance privée. Quant aux services sociaux, ils ne comprennent pas le budget des garderies à 5$.  >>
6. Sur la croissance des dépenses de l'État-providence, voir « Le démantèlement de l'État-providence au Québec: mythe ou réalité? », étude publiée récemment par l'Institut économique de Montréal.  >>
7. Voir « La Commission Clair: Comment les bureaucrates se créent du travail », dans le QL du 3 février 2001.  >>
8. Voir « Canada Spends the Most on Health Care Among OECD Countries but Ranks Low on Key Health Indicators », Institut Fraser, 19 août 2002>>
9. « Machinerie de production: la prudence s'impose », par MM. Jean Sexton et Pierre Fortin, quotidien Le Soleil du 12 septembre.  >>
 
 
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