Chic
Porno
Goldin est considérée comme « l'une des
plus influentes photographes de la scène artistique actuelle
», peut-on lire sur
le site du MAC. L'exposition réunit de ses photographies réalisées
entre 1972 et aujourd'hui et deux installations (« slides
shows ») composées de diapositives
et de bandes sonores.
« Nan Goldin capte de manière spontanée et intuitive
la subtilité et l'intensité de l'expression humaine à
travers le monde de la drogue, de la prostitution, du sida, etc.
» Hmm... la norme dans le milieu artistique, quoi! «
Malgré des images dures et extrêmes, sa préoccupation
demeure toujours la beauté, le désir, l'amour et une recherche
inlassable sur l'inévitable passage du temps. »
Très poétique, mais aussi très vague.
Bon, j'entre dans la salle. Sur les murs sont accrochées des dizaines
de photographies. Des photographies que j'aurais pu prendre moi-même,
avoir eu le temps de fréquenter les boîtes de nuit douteuses,
les appartements miteux, les chambres d'hôtel bas de gamme, mais
bon... Je fais le tour regardant d'un air distrait les « oeuvres
». Les plus belles, à part Guido on the dock,
sont souvent celles sur lesquelles il n'y a personne. |
|
C'est très « réalité » comme
approche. Ça frise le documentaire. Des photos de femmes et d'hommes,
gais ou hétérosexuels, travelos et/ou transsexuels, paumés,
junkies, alcooliques, dans leur habitat naturel – si le bus, le lit ou
la boîte de nuit peuvent être considérés comme
des habitats naturels. Des photographies couleurs (souvent hors-focus)
prises sur le vif pour la plupart. On est loin de la composition picturale
soignée.
Une salle est réservée à Heartbeat, l'un des
slides shows de l'expo. Une musique planante emplie la sombre pièce.
Good Lord! C'est de la porno! En tout cas, ça n'a rien à
voir avec la promo de l'entrée. Sur une sorte d'incantation pseudo-religieuse
chantée par l'Islandaise à la voix très distincte
Björk, Goldin nous montre des couples, dont un gai, dans leur intimité
la plus intime. Improvisation sur thème « anything
goes ».
Rien n'est laissé à l'imagination. Par en avant, par en arrière,
sur le côté... Mais qu'est-ce que les enfants des sujets viennent
faire nus dans les portraits? (une petite affiche à l'entrée
met d'ailleurs en garde les enfants que certaines images pourraient heurter
leur sensibilité...) Une question se pose: mais est-ce vraiment
de l'art? Si vous vous installez devant votre ordinateur et que vous surfez
des sites du genre Hot Pussy Does It All ou Hot Hunks On All
4 en écoutant du Björk, est-ce que vous êtes en présence
d'oeuvres d'art? Hmm...
« Si vous vous installez devant votre ordinateur et que vous surfez
des sites du genre Hot
Pussy Does It All ou Hot Hunks On All 4 en écoutant du
Björk, est-ce que vous êtes en présence d'oeuvres d'art?
Hmm... » |
|
Les purs et durs de l'art contemporain vous diront Que Non! Cela
ne fait de vous qu'un simple « consommateur de porno
». C'est de l'art tant et aussi longtemps que les pros de
l'art décrètent que c'est de l'art. Un urinoir au musée,
c'est de l'art. Partout ailleurs, c'est un dispositif dans lequel les hommes
– et maintenant les femmes dans certains bars branchés... – pissent.
Je n'ai rien contre la porno, sauf quand on tente de m'en faire passer
pour de l'art. Des photos de couples baisant à fond la caisse sur
une musique religieuse, ça n'est pas mon idée d'objets d'art.
De
tôle et de monochrome
Outre l'expo consacrée à Goldin, le MAC en présente
trois autres pour le même prix: « David Rabinowitch
», « Place à la magie! »
et « Peinture en liberté: Perspective sur les
années 1990 ».
La première consiste en une série de plaques de métal
trouées ou pliées de différentes formes flanquées
ici et là sur le sol accompagnées des plans et esquisses
ayant mené à leur réalisation. Sur le site du MAC
on peut lire que l'exposition du sculpteur canadien met en lumière
« les développements cycliques d'une pratique
sculpturale et graphique rigoureuse et concise, tout entière nourrie
des confluences de la science, de la littérature et de la philosophie.
» Oui c'est ce que je disais: des plaques de métal
trouées ou pliées... |
|
La seconde, dont le titre est emprunté au manifeste Refus
Global, regroupe des oeuvres de la Collection Borduas et du Fonds
Paul-Émile Borduas. Certaines valent le coups d'oeil (Landing
de Riopelle, Sans titre de Jauran), d'autres nous montrent avec
brio la fraude qu'est l'art contemporain (Boîte no 4 de Charles
Gagnon – une boîte de bois dans laquelle sont collés deux
vieilles assiettes, des bouts de meuble, un bout de tapisserie, une photo
déchirée... le tout, peint tout croche –, Fanette
de Jacques Hurtubise – une immense toile rouge vif avec un gros spot
vert lime dans le milieu).
La troisième regroupe une sélection d'oeuvres de la Collection
du MAC et propose un regard sur la peinture des années 1990 au Québec.
On y retrouve « des proposition picturales qui peuvent
se rattacher aussi bien à des pratiques figuratives qu'à
des pratiques abstraites ou minimalistes. » Une toile
vaut le détour, Pantin de Pierre Dorion. Le reste, bof. Par
exemple, l'« oeuvre » triptyque 2:39, 32:55,
11:18 de Stéphane La Rue. Regardez votre plafond et économisez
six dollars! Il s'agit de trois toiles blanches carrées alignées
les unes contre les autres sur un mur blanc. Si, si. Blanc sur blanc.
|
J'avais été voir l'exposition Panoramas et autres vertiges
consacrée à La Rue l'an dernier au même MAC. La première
chose qu'on remarquait en entrant dans la salle, c'était... le gardien.
Seule tache de couleur, il longeait les murs comme terrassé par
le poids du vide – on se demandait d'ailleurs pourquoi le MAC ne l'avait
pas affublé d'un uniforme plus clair pour l'occasion. On le sentait
mal à l'aise, tentant en vain de se fondre dans le non-décor,
question de ne pas trop gâcher l'« expérience visuelle
» des rares visiteurs.
On remarquait ensuite les toiles – après tout, on était là
pour ça. De grandes surfaces blanches installées sur de grands
murs blancs et dont seuls les contours ressortissaient – la peinture blanche
ne couvrant pas entièrement la surface blanche des toiles. «
Après avoir privilégié le format carré
[sans doute ce qui est présentement exposé au MAC], La Rue
s'attaque au format rectangulaire et l'usage de l'horizontalité
n'est pas sans rappeler les panoramas de la tradition paysagiste
», pouvait-on lire dans le communiqué du musée.
Du carré au rectangle, quelle évolution! |
Une fois le choc visuel passé (!), le réflexe du visiteur
était de s'approcher des objets – on va toujours bien tenter de
voir pourquoi ça se retrouve ici. La proximité révélait
alors les techniques employées par le peintre. On sentait le coup
de pinceau ici, on le voyait là (j'aurais fais mieux avec un rouleau,
mais bon...) On voyait les couches de peinture blanche qui se superposaient
les unes sur les autres. On sentait leur épaisseur. On sentait presque
la peinture... Puis, on se demandait: « Mais qu'est-ce
que ça veut bien dire? » Un White Out
en Alaska? Le néant grossit mille fois?
« Stéphane La Rue fait partie d'une nouvelle
génération de peintres qui a l'audace et la détermination
de faire une relecture de la peinture formaliste, renouvelant le langage
pictural », nous disait-on dans le catalogue de l'exposition.
« Entre leur horizontalité et leur verticalité
excessives, selon le cas, les tableaux [de La Rue] refusent de se livrer
entièrement dans un seul regard », de rajouter
Réal Lussier, le conservateur de l'expo.
Quelle audace?! « Horizontalité et verticalité
excessives »? Pour qui nous prend-on? Des horizontalités
et des verticalités peuvent-elles être excessives? À
l'opposé, peuvent-elles être modérées? Ou faire
preuve de retenue? Et des tableaux qui « refusent de
se livrer entièrement dans un seul regard ».
Ont-il seulement le choix? Ils sont là, accrochés aux murs!
À défaut d'avoir des oeuvres fortes qui parlent d'elles-mêmes,
on utilise des formules fortes pour les décrire. Classique.
Selon Jérôme Delgado, journaliste spécialisé
en art de La Presse: « les titres des neuf oeuvres
de Stéphane La Rue ne laissent aucune équivoque: c'est de
la peinture de paysage dont il s'agit. » (12 mai 2001)
Il poursuit en écrivant que « le visiteur inconscient,
expéditif, ne verra que du feu. Du feu blanc, faut-il préciser...
» (non, je n'ai vu que du blanc). Pour le journaliste, il
s'agit d'une peinture de paysages, d'« où le
sujet n'est pas explicite [...] de l'art abstrait dans toute sa splendeur.
» N'importe quoi.
Il faudra que quelqu'un m'explique un jour l'idée derrière
le monochrome. Je ne la saisis tout simplement pas. De un, ça
fait des années que ça se fait – passez à
autre chose, s'il vous plaît! –, de deux, n'importe quel singe peut
faire ça. Et ça ne ferait pas de lui un artiste. Du moins...
Donnez-moi un rouleau et une panne de peinture et je vous en ferai tant
que vous en voulez – tout en me sécurisant une retraite dorée.
On se demande ensuite pourquoi les gens ne fréquentent plus les
musées!
L'art
de faire n'importe quoi
Ma visite au MAC m'aura tout de même permis de faire quelques observations
– sans doute pas du genre que les artistes exposés auraient voulu,
mais bon... Ma première, dans le cas de l'expo Goldin: l'«
exclusion » (mot à la mode pour désigner les
pauvres et les marginaux) et le sida auront permis à plein d'«
artistes » de se faire un nom facilement. N'eût été
de la popularité de ces deux éléments (et de leurs
victimes) dans les milieux branchés, le MAC n'aurait pas consacré
une exposition à Nan Goldin, par exemple, et plusieurs artistes
reconnus mondialement aujourd'hui auraient connu des carrières mineures.
Souvenez-vous de Felix Gonzalez-Torres et de son « 175
pounds of Chicago-made Peerless white mint candies
», un tas de bonbons représentant le poids du père
de l'artiste avant qu'il meurt du sida (voir HITCHCOCK
AU MBA OU L'ART D'EXPOSER N'IMPORTE QUOI, le QL,
no 75).
La seconde: l'art contemporain me laisse généralement indifférent
– c'est presque toujours le cas avec les expositions au MAC. Insensible
à tous les corps modifiés, intoxiqués, passés
out de Goldin et à tous les monochromes, gribouillages et
curiosités des autres. On peut très bien demeurer de glace
devant une toile de Edward
Hopper ou d'Adrien
Hébert par exemple, sauf que ces artistes ont le mérite
d'avoir créé des oeuvres achevées qui demandaient
a priori un certain talent et un degré de maîtrise
– deux éléments dont on ne peut faire abstraction lorsqu'on
regarde leurs oeuvres. Trop d'artistes contemporains donnent l'impression
de n'avoir ni talents particuliers, ni technique et de ne posséder
en fait qu'un bon réseau de contacts. N'importe qui pourrait faire
ce qu'ils font.
La dernière: beaucoup d'artistes contemporains n'auraient sans doute
pas connu la notoriété n'eût été des
subsides gouvernementaux. Le fait que ce soit des fonctionnaires qui remettent
les bourses ou qui passent les commandes avec l'argent des autres
– le nôtre – fait en sorte qu'une panoplie de pseudo-artistes se
retrouvent à exposer leurs croûtes, « sculptures
» et vieux draps sales dans des endroits dits prestigieux.
Sans subsides, plusieurs d'entre eux se retrouveraient dans les circuits
de galeries obscures ou plus alternatifs. Et nous aurions peut-être
moins de monochromes, d'installations bidon et de toiles splashées
dans nos musées. Le présent système de subsides
est bon pour les artistes mineurs, il ne l'est pas pour le consommateur.
Offrez-vous une visite au MAC, vous verrez.
Comme le remarque Julian Spalding dans The Eclipse of Art: Tackling
the Crisis in Art Today, « Looking at a great work
of art makes one feel more fully aware of one's thoughts, more exposed
to one's emotions, more integrated, more composed – more, in a word, conscious.
» La majorité des « oeuvres »
d'art contemporain ne font rien de la sorte. Elles provoquent quelques
fois des sourires, la plupart du temps des haussements de sourcils. Rien
de plus.
|