Montréal,
le 21 mars 1998 |
Numéro
3
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ÉDITORIAL
LA
GUERRE DES DRAPEAUX
Les drapeaux sont l'expression la plus parfaite
du sentiment collectiviste. Utilisés à l'origine par les
corps militaires pour identifier les troupes et diriger les combats, ils
symbolisent à merveille l'idée de l'action commune, du troupeau
dont toutes les brebis s'en vont dans la même direction. Pas étonnant,
donc, que les drapeaux soient devenus des emblèmes sacrés
pour les nationalistes, et que ceux-ci s'en servent systématiquement
pour promouvoir leur vision moutonniste.
Il y a deux semaines, le gouvernement provincial fêtait le 50e anniversaire
du fleurdelysé québécois. Le drapeau original, brodé
par une brave pure laine de chez nous, a été remisé
au musée comme relique de la religion nationaliste (une histoire
bien sûr copiée sur celle de Betsy Ross et du Stars and
Stripes américain). Pendant ces célébrations,
rapporte-t-on, on a mis l'accent sur le côté «
rassembleur » du drapeau. Dans la même semaine, les
Publications du Québec offraient un livre d'histoire ainsi que des
épinglettes du fleurdelysé dans une pub intitulée
« Le drapeau de tous les Québécois
».
Le mythe de l'unanimité
Pourquoi insister tant sur la prétendue unanimité autour
de ce symbole? Parce qu'évidemment, elle n'existe pas dans la réalité,
il s'agit d'un mythe qu'on cherche à perpétuer et à
imposer. Depuis au moins trente ans, ce drapeau n'est pas «
le drapeau de tous les Québécois »,
il est d'abord et avant tout le symbole de ralliement des nationalistes
et des séparatistes.
Dans le quartier de l'est de Montréal que j'habite, certains exaltés
tapissent littéralement les fenêtres et les balcons de leur
appartement de drapeaux bleus et blancs en permanence. Le message est clair
(et souvent explicite pendant les scrutins): drapeau = appui au PQ et au
BQ = OUI à la séparation. Ce drapeau ne rassemble pas tous
les citoyens de cette province, au contraire, on s'en sert systématiquement
pour faire la promotion d'une idéologie qui les divise, qui les
sépare en deux groupes, les vrais Québécois
qui partagent notre langue et notre culture, et les autres.
Évidemment, les partisans de l'autre nationalisme, le canadien,
ne sont pas en reste, même s'ils sont plus discrets dans cette province.
La Chambre des Communes a été le théâtre ces
derniers jours des pires enfantillages sur cette question du drapeau. Le
Parti réformiste, qui représente beaucoup de Canadiens écoeurés
à juste titre de voir leur pays constamment bouleversé par
les séparatistes, a décidé de défendre le même
type de nationalisme étroit au niveau fédéral. On
lance des drapeaux à la figure des députés, on s'égosille
à chanter l'hymne national à n'importe quelle occasion.
Voici ce que la députée réformiste Deborah Grey, une
femme pourtant intelligente, avait à dire pendant le débat
sur le drapeau aux Communes à propos de sa naissance trois semaines
plus tard que prévue: « Ma mère m'a dit,
et ça sonne encore vrai aujourd'hui: “Deb, tu savais exactement
quel jour tu attendais pour naître!” » Un autre
député s'est mis à pleurer comme un enfant.
Le nationalisme, quel que soit le groupe auquel il se rattache, est une
régression mentale. Il amène ses partisans à réduire
toute la réalité humaine à une manifestation de l'identité
nationale et de la destinée collective. Il vise nécessairement
à éliminer tous les sentiments concurrents, soit d'individualisme,
soit d'attachement à une collectivité alternative. |
Coopération et échange
Au contraire de ce que plusieurs pensent, les libertariens ne sont pas
des individualistes forcenés et des égoïstes qui n'ont
que mépris pour les sentiments d'appartenance à des collectivités.
La pensée libertarienne montre bien que la civilisation ne peut
se construire que sur la coopération et l'échange, dans un
contexte où des règles de conduites minimales sont acceptées
par tous. Mais il y a une différence fondamentale: pour nous, cette
coopération, cet échange, doivent se faire de façon
LIBRE et SPONTANÉE, pas forcée et organisée par un
appareil bureaucratique.
Dans une société décentralisée et plus libre,
chacun s'associerait à toutes les collectivités qu'il souhaite,
sans être forcé dans le moule favori de quelque clique au
pouvoir. Pour contraster ces deux attitudes, on pourrait donner en exemple
deux événements collectifs qui se sont déroulés
ici ces derniers jours. Comme fête populaire, la parade de la St-Patrick
correspond bien plus à la réalité québécoise
que la soi-disant célébration de la langue française,
la Francofête. La première est un rassemblement spontané
qui exprime une fierté réelle, qui unit véritablement
toute une population diverse mais attirée par une sensibilité
commune; la seconde est plutôt une série d'événements
artificiels concoctés par des bureaucrates et financés avec
nos taxes pour promouvoir une idéologie qui nous divise.
Les guerres de drapeaux n'existent que parce que les nationalistes de tout
bord cherchent à imposer leur vision étroite et intolérante
de la loyauté collective, parce que c'est l'étatisme qui
sous-tend les enjeux politiques au lieu de la liberté individuelle.
Le fleurdelysé et la feuille d'érable ne méritent
pas notre attachement aussi longtemps qu'ils serviront d'armes idéologiques
dans ces querelles entre deux États aussi dominateur l'un que l'autre.
Jouons donc les déserteurs et arborons plutôt le drapeau des
Québécois libres de cette semaine:
Martin Masse
Le Québec libre des
nationalo-étatistes
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« Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses
puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise,
le souverain étend ses bras sur la société tout entière;
il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées,
minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus
originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour
pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais
il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais
il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point,
il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne,
il comprime, il énerve, il éteint, il hébète,
et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un
troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le
berger. »
Alexis de Tocqueville
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE
(1840) |
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