Montréal,
le 21 mars 1998 |
Numéro
3
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LE QUÉBÉCOIS LIBRE
sollicite des textes d'opinion
qui défendent un point de vue libertarien sur n'importe quel sujet
d'actualité. Les textes doivent avoir entre 700 et 1200 mots. Prière
d'inclure votre titre ou profession, ainsi que le village ou la ville où
vous habitez.
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LEMIEUX EN LIBERTÉ
LA TYRANNIE TRANQUILLE
Le recul de l'État ne s'est produit hélas! que dans les cauchemars
des étatistes. Les États occidentaux termineront le 20e siècle
avec des dépenses, toutes proportions gardées, cinq à
dix fois plus élevées qu'il y a cent ans. Sauf exceptions
rares, le siècle tombera sur des États encore plus lourds
qu'ils n'étaient à leur prétendu sommet du début
des années quatre-vingt. Mais davantage peut-être que l'interventionnisme
mesuré par des impôts qui équivalent à la moitié
de ce que les gens produisent et gagnent, les historiens de l'avenir retiendront
de notre siècle la montée de la tyrannie tranquille, de cette
tyrannie administrative « douce, réglée,
paisible » dont Tocqueville avait prévu que les
règlements et les contrôles s'immisceraient dans presque toutes
les fissures de la vie.
Ce système médiatise et dissimule la violence étatique.
En fait, non seulement il y a toujours un flic derrière le politicien,
mais celui-ci a de plus en plus besoin de celui-là à mesure
que ses lois s'immiscent dans la vie des gens. Les dernières semaines
au Québec ont été fertiles en petits événements
qui illustrent comment l'État dur se cache derrière le travailleur
social. J'en mentionne quelques-uns. |
L'État étend ses tentacules
Il y eu cette étrange affaire des résistants fiscaux arrêtés
lors d'une vaste opération policière dans les Cantons de
l'Est, et que la flicaille de Revenu Québec a tenté de faire
passer pour une secte religieuse. Et si les victimes de cette rafle n'étaient
que des gens ordinaires ayant conservé quelque esprit individualiste,
qui sont donc forcément devenus mésadaptés sociaux,
des gens peut-être un peu déboussolés et qui ont poussé
trop loin ou un peu gauchement la résistance au harcèlement
fiscal? De toute manière, s'agirait-il d'une secte religieuse que
cela ne changerait rien au fait qu'il n'y a pas de moyen légitime
de confisquer en impôt la moitié de ce que les gens produisent
et gagnent. De plus, il est difficile d'imaginer irrationalité plus
sectaire que l'étatisme.
En partie parce que les impôts étaient moins lourds, la réglementation
moins minutieuse, et l'individu moins enserré dans les filets administratifs
de l'État, les gens de ma génération ont été
habitués, ici, à des relations bon-enfant entre le pouvoir
politique et ses sujets. Ces choses ont beaucoup changé au cours
des vingt dernières années – tellement, en fait, que nombre
de jeunes ne savent pas de quoi je parle. On voit maintenant ici, comme
aux États-Unis, des individus condamnés à la prison
pour avoir caché des revenus au fisc, dont les tentacules administratives
se sont multipliées. Il ne se passe pratiquement pas une semaine
sans que la presse montréalaise, qui a gardé sa naïveté
d'antan, ne reproduise un communiqué du fisc rapportant quelque
nouveau succès dans la répression. Sans parler de la montée
des papiers d'identité, qui rend les contrôles administratifs
plus faciles.
Un autre événement digne de mention fut l'arrestation en
grande pompe, journalistes dans les loges, du fils de Raymond Malenfant,
sous l'accusation de commerce de drogue. Bien sûr, ce n'est pas la
première fois, ni la dernière, que la police arrête
un individu soupçonné de vendre à des adultes des
dérivés de plante dont la consommation était légale
au début du siècle. L'intéressant dans cette histoire
se trouve plutôt du côté du père, Raymond Malenfant,
qui avait osé, dans les années quatre-vingt, défier
l'establishment syndical et qui fut ensuite poursuivi par la racaille du
fisc et d'autres administrations publiques. Or voici que ce sexagénaire
peu instruit, qui se défend mal, qui avait surmonté une dure
faillite en recréant une entreprise à la force des poignets,
voit maintenant sa famille attaquée par les pouvoirs en place. Coïncidence?
Peut-être. Mais il serait rassurant que des journalistes posent la
question.
Autre petit événement. En prenant possession de nouveaux
bordereaux de dépôt à ma banque, je remarque que chacun
porte maintenant au verso une « Déclaration de
provenance des fonds » à remplir «
si le total des espèces est supérieur à $10
000 ». « La législation fédérale,
y explique-t-on, exige que nous vérifiions la provenance des fonds
avant d'effectuer les opérations. Vous consentez à ce que
la banque divulgue cette information aux autorités chargées
de faire respecter la loi. » Voilà une autre
prétendue loi imitée de la tyrannie administrative américaine,
sous prétexte de lutter contre le blanchiment d'argent qui n'a,
ma foi, pas pire odeur que celui qui est extorqué aux contribuables
et blanchi dans les bonnes oeuvres coercitives de l'État.
Question de marquer ma dissidence et mon refus moral, en faisant mon dépôt
de quelques dollars, j'ai inscrit « tyrannie »
sur le formulaire.
Sois heureux, THX-1138
Au début de sa carrière, George Lucas a fait un merveilleux
et terrible film de science-fiction, THX-1138, que chacun devrait
s'empresser de voir. Si vous possédez un magnétoscope et
que vous avez consenti à donner « votre »
numéro d'assurance sociale (qui ressemble justement au nom du héros
du film) à une boutique de location de vidéos, vous pourrez
le louer là. Lucas décrit la tyrannie administrative de l'avenir
où, contrairement à 1984, le tyran est gentil et opprime
tout le monde pour son bien. « Quel est votre problème?
Qu'est-ce qui vous préoccupe? », demande l'État-confessionnal,
avant de servir ses gentils conseils à l'individu-enfant: «
Travaille dur, accrois la production, évite les accidents,
et sois heureux. »
Le problème, mon cher Maître, est que certains individus ont
besoin de liberté pour être heureux.
Il est des prévisions faciles à faire. Le Québec et
le Canada glisseront, le sourire collectif béat, vers une tyrannie
administrative qu'ils continueront d'importer joyeusement autant d'Amérique
que d'Europe. Chaque dernière mode apportera sa nouvelle interdiction
politiquement correcte. L'État se montrera de plus en plus dur devant
les quelques poches de résistance, parfois mal avisée, qui
réussiront, malgré l'encadrement administratif, à
surgir ici et là. Les condamnations, voire les persécutions
directes, se multiplieront. Nous aurons nos Waco et, à la première
grande catastrophe, sans doute nos Vel' d'Hiv' (1).
À moins que nous ne disions « non serviam
» pendant qu'il est encore temps.
Pierre Lemieux
1. Le 16 juillet 1942, 4
500 flics français entreprenaient une rafle au
cours de laquelle près de 13 000
juifs seront arrêtés pour être envoyés
dans des camps ou déportés. Les familles seront regroupées,
dans des conditions épouvantables, au Vélodrome
d'Hiver (le "Vel' d'Hiv'") avant d'être séparées. |
©Pierre
Lemieux 1998
Cette chronique de Pierre Lemieux
revient aux deux semaines dans le QL.
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