Montréal, le 28 mars 1998
Numéro 4
 
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OPINION
 
JEAN CHAREST 
ET LES ILLUSIONS DU CANADA ANGLAIS
  
par Scott Reid*
  
           Au Québec, tout le monde sait que Jean Charest est le candidat favori du Canada anglais pour remplir le poste de premier ministre de la province. Mais il est difficile pour les francophones de saisir toute l'étendue de l'adulation dont font preuve les anglophones pour ce nouveau sauveur. Un article du magazine Maclean's décrit ainsi Charest comme « le seul politicien capable de sauver le Québec pour le reste du Canada ». 
 
          Même les faiseurs d'opinion ont été entraînés dans ce mouvement d'adulation extraordinaire. Dans une récente chronique, Jeffrey Simpson du Globe & Mail s'interrogeait tout haut: « Charest peut-il venir à bout du dragon québécois? » On ne sait toujours pas si le dragon est Lucien Bouchard, le Parti québécois, ou le séparatisme.  
 
          Bref, le Canada anglais a couronné Jean Charest comme héros, sauveur et prophète, et cela de la même façon perçue comme folle et trop émotive dont les francophones du Québec ont élevé leur « Saint Lucien » au rang d'une divinité après que celui-ci ait perdu une jambe.  
 
          Rien de tout cela – y compris la réaction du Parti québécois face à l'enthousiasme du Canada anglais – ne correspond réellement à Jean Charest. Celui-ci est certainement un ardent partisan d'un Canada uni, mais il n'est en aucun cas le défenseur de ce que la plupart des Canadiens considèrent comme dans l'intérêt national du pays. 
Pas de statut spécial  

          Ce que la plupart des Canadiens anglais souhaitent – et ne sont pas prêts à abandonner, même si cela signifie la destruction du pays – c'est que le Québec demeure une province comme les autres. Cela serait peut-être réalisable dans le contexte d'une plus grande décentralisation. Toutefois, le rejet des ententes de Meech et de Charlottetown, de concert avec tous les sondages menés depuis, indique qu'il n'y a aucune volonté de compromis sur un statut spécial pour la province, sur la société distincte, ou sur le droit du gouvernement du Québec à utiliser la clause nonobstant pour suspendre les droits linguistiques.   
 
          S' il y a pourtant une position que Jean Charest a défendue de façon constante durant sa relativement longue et tumultueuse carrière politique, c'est que le Québec doit bénéficier d'un statut spécial au sein du Canada. Il a appuyé Meech et Charlottetown et continue de préconiser la reconnaissance constitutionnelle d'une forme quelconque de société distincte. Et à divers moments, il a jonglé avec une version ou une autre du concept de souveraineté-association.   
 
          Ces positions sembleront parfaitement normales pour les Québécois, qui rejetteraient un candidat au poste de premier ministre s'il ne les appuyait pas. Mais le Canada anglais reste béatement ignorant du fait que ces points de vue sont des ingrédients essentiels de la recette de M. Charest pour sauver le Canada. En effet, l'enthousiasme que produit sa candidature semble être fondée sur la notion bizarre qu'il est vraiment « l'un des nôtres » et que les accrochages qu'il aura avec Ottawa comme premier ministre devront être compris comme de simples concessions accordées de façon réticente à son électorat. Voici ce que Peter C. Newman a écrit à ce sujet: « Personne ne peut gagner une élection provinciale au Québec en se montrant le défenseur inconditionnel du fédéralisme. Charest (...) devra donc s'attaquer aux fédéraux et les brasser un peu lui aussi. » Mais naturellement, nous comprendrions tous qu'il s'agit en fait d'un simple spectacle.   
 
          On peut se demander si ce n'est pas M. Newman, plutôt que les électeurs du Québec, qui est incapable de saisir le véritable sens des positions de Jean Charest. 
 
Une position divergente sur le « plan B » 
  
          De la même façon, les médias de langue anglaise ne semblent pas avoir constaté que la position de M. Charest sur le « plan B » est aussi divergente de celle de la plupart des Canadiens anglais que l'est sa position sur la réforme constitutionnelle. La plupart des Canadiens anglais favorisent une ligne très dure sur la question de la séparation. Si dure, en fait, que l'une des principales difficultés auxquelles a dû faire face un Parti réformiste en apparence intransigeant a été de vendre l'idée que le Canada devrait négocier de façon pragmatique et raisonnable avec un Québec qui aurait choisi de se séparer, au lieu d'essayer de rendre le processus aussi douloureux que possible pour les Québécois. 
 
          Donc, si même le Parti réformiste est plus « mou » que la plupart des Canadiens anglais sur la façon de réagir à une tentative par le Québec de se déclarer indépendant, on peut comprendre que la position de Jean Charest est à mille lieux de l'éventail des options acceptables. Sa position est en tous points semblable à celle de Daniel Johnson – ou même celle de Lucien Bouchard. Il s'oppose au renvoi à la Cour suprême concernant le droit du Québec de se séparer du Canada, et s'est constamment opposé à tout effort de la part d'Ottawa de préparer un quelconque plan d'urgence dans l'éventualité d'une victoire séparatiste. Durant les élections fédérales de 1997, sa réponse habituelle aux questions concernant l'intégrité territoriale du Québec ou le partage de la dette fédérale était que la séparation est « un trou noir » qui ne doit pas être étudié ou exploré par les défenseurs d'un Canada uni.  
 
          Il est pourtant tout à fait clair que les Canadiens anglais veulent que ce soit Ottawa, et non Québec, qui établisse les conditions d'une sécession sur ces sujets qui vont après tout affecter le reste du Canada aussi profondément que le Québec, en particulier des sujets comme la division de dette où les gains des uns sont les pertes des autres. Mais en pratique, la position de Jean Charest implique que c'est le Québec qui devrait déterminer unilatéralement toutes les modalités et conditions d'une sécession, et le reste du Canada qui devrait les accepter ensuite passivement. 
  
Ni champion, ni valet 
  
          Tout ce qui précède montre bien que M. Charest ne serait ni le champion du fédéralisme imaginé par les médias anglais, ni le valet d'Ottawa dénoncé par les nationalistes s'il devenait premier ministre. Malgré son attachement émotif envers un Canada uni, sa vision de ce que devrait être ce Canada uni ne diffère en rien de celle que défendait Robert Bourassa.  
 
          Un cynique pourrait prétendre que Jean Charest se positionne pour accéder à la direction du PLQ depuis avant l'élection de 1997. Une interprétation plus charitable indiquerait plutôt que M. Charest croit vraiment que la meilleure façon de convaincre les Québécois de rester au sein du Canada est simplement d'être conciliant sur tout, qu'il s'agisse de réforme constitutionnelle ou de savoir qui devrait établir les règles d'une sécession.  
 
          Mais l'une ou l'autre perspective mène à cette observation cruciale: jusqu'ici, M. Charest a pu concilier parfaitement sa formidable ambition personnelle avec son attachement émotif au Canada. Après tout, il n'y aurait aucun député fédéral pour Sherbrooke dans un Québec indépendant. Mais s'il devenait nécessaire de tenir un référendum sur l'indépendance afin d'établir sa crédibilité (comme ce fut presque le cas pour Robert Bourassa en 1992), un premier ministre Charest se sacrifierait-il pour sauver le Canada?  
 
          Comme le plus grand héros de la Confédération des États du Sud, je soupçonne qu'il pourrait se trouver à être la dernière personne à joindre les rangs du mouvement séparatiste, et finalement l'homme qui le guidera. En 1861, Robert E. Lee a dit: « Je suis fortement attaché à l'Union, et je ne connaîs aucun sacrifice personnel que je ne ferais pour la préserver, sauf celle de l'honneur. »(1) Si Jean Charest venait jamais à être confronté à la même situation – et jusqu'ici, il n'a jamais dû faire de sacrifice personnel dans son engagement au service de l'unité canadienne – alors il pourrait bien devenir le premier premier ministre d'un Québec indépendant. 
  
  
(*) Scott Reid a été recherchiste pour le Parti réformiste à Ottawa  et est l'auteur d'ouvrages sur la politique canadienne.
1.  Lee est devenu par la suite général en chef des armées du Sud  pendant la Guerre de Sécession.
 
 

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