Montréal,
le 11 avril 1998 |
Numéro
6
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Publié sur la Toile depuis le 21
février 1998
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Martin
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Pierre
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POUR NOUS REJOINDRE
LE
QUÉBÉCOIS LIBRE défend la liberté individuelle,
l'économie de marché et la coopération spontanée
comme fondement des relations sociales.
Il s'oppose
à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes,
de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les
individus.
Les articles publiés
partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques
qui y sont exprimées sont la responsabilité de leurs auteurs.
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ÉDITORIAL
AFFAIRE
BOUTHILLIER:
LA
LOI DU SILENCE
par Martin Masse
Nos lecteurs qui se fient uniquement sur les médias francophones
pour se tenir informés doivent se demander comment il se fait qu'ils
n'ont rien entendu de cette affaire Bouthillier, alors que nous lui consacrons
deux articles cette semaine après en avoir déjà parlé
la semaine dernière. La réaction
de la presse francophone a en effet été presque unanime:
motus et bouche cousue. Cette histoire a pourtant monopolisé l'attention
des anglophones pendant plusieurs jours et personne ne peut plaider l'ignorance.
À notre connaissance, outre le QL, seuls quelques commentateurs
ont rapporté les propos du président de la SSJBM pour les
dénoncer: Jean Lapierre à CKAC; Jean Paré, le directeur
de l'Actualité, à la radio; Michel David dans une
chronique au Soleil; et Michel Venne en éditorial au Devoir.
Gilles Proulx a aussi interviewé Bouthillier mais, avec sa subtilité
habituelle, l'a félicité pour ses propos courageux.
La Presse n'a publié qu'un petit article deux jours plus tard
qui rapportait les dénonciations d'Alliance Québec. Ce qui
est bien sûr la meilleure façon de banaliser la nouvelle et
d'en faire simplement un autre épisode des anglos qui chialent pour
rien, alors que c'est la démocratie québécoise qui
est attaquée, ce qui concerne tout le monde.
Quelques mentions, donc, qui se comptent sur les doigts de la main. À
part cela, pas de véritable nouvelle sur l'événement
même, ni à la télé, ni à la radio, ni
dans les journaux, pas de demandes de clarification, pas de compte-rendu
des réactions. Rien. That's it.
Un phénomène médiatique
extraordinaire
Il faut vraiment s'attarder quelques secondes pour voir à quel point
ce phénomène médiatique est extraordinaire. Dans une
société où les questions linguistiques font l'objet
de sempiternels débats, où la moindre déclaration
d'un écrivain excentrique qui ne représente que lui-même
— nommément Mordecai Richler — fait les manchettes partout le lendemain,
ces propos n'ont, semble-t-il, pas mérité quelques minutes
d'attention dans des dizaines de salles de nouvelles de la province. Et
pourtant, répétons-le, ce monsieur préside un organisme
en charge des importantes festivités de la Fête dite nationale
à Montréal, un organisme qui a donc officiellement reçu
le mandat très symbolique du gouvernement de rassembler tous les
Québécois.
Les médias francophones sont régulièrement critiqués,
dans le reste du pays, pour la partialité avec laquelle ils couvrent
les questions qui touchent au nationalisme ou à l'unité canadienne.
Chaque fois, quelque chroniqueur ou éditorialiste monte alors sur
ses grands chevaux pour déclarer que le Québec n'a de leçon
à recevoir de personne. Voilà pourtant un autre exemple frappant
de cette partialité. Comment l'expliquer?
1) Certains journalistes sont tout simplement d'accord avec les propos
xénophobes de Bouthillier, ou sont à tout le moins suffisamment
hostiles envers les anglophones pour l'excuser.
Le QL a par exemple envoyé la semaine dernière un
communiqué de presse aux principaux médias du Québec,
accompagné de l'éditorial dénonçant la position
de la SSJBM. Une réaction digne de mention, celle de Pierre April
de la Presse canadienne à Québec, qui a laissé un
message sur notre répondeur demandant qu'on ne lui envoie plus «
ce genre de littérature », sur un ton
qui signifiait clairement « ce genre de cochonnerie
extrémiste ».
Que pense vraiment M. April de cette histoire? Pour lui comme pour d'autres
journalistes, Bouthillier reste peut-être un porte-parole respectable
même si ses paroles ont un peu dépassé sa pensée.
Ce sont plutôt ceux qui le dénoncent qui sont à condamner.
2) Dans le petit milieu intellectuel nationalo-étatiste du Québec,
tout le monde a des amis, des membres de sa famille ou des collègues
qui ont beaucoup investi depuis des décennies dans «
l'option », conditions favorables ou pas. On leur ferait beaucoup
de peine en contribuant à la propagation de nouvelles négatives.
Il se crée inévitablement une pression émotive.
Mieux vaut jouer safe, ne pas rapporter ces nouvelles en espérant
ne pas avoir trop de remords de conscience quant à l'éthique
journalistique, et s'en tenir à traiter les militants anglophones
d'extrémistes chaque fois qu'on en a l'occasion. Comme les anglos
ne regardent pas notre émission, personne ne va se plaindre, et
ma belle-soeur militante péquiste va être bien contente.
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On constate par exemple que Pierre Bruneau à TVA traitait MM. Richler,
Galganov et Henderson d'extrémistes avec un air indigné qu'on
lui voit rarement, lors d'une entrevue avec la ministre Louise Beaudoin
sur le reportage de 60 Minutes concernant la police
de la langue. M. Bruneau et son équipe de la salle
des nouvelles n'ont toutefois pas cru bon faire d'entrevue ces derniers
jours avec un compatriote anglophone pour s'indigner des propos de l'extrémiste
Bouthillier.
3) Une dernière raison, qui vient renforcer les deux premières,
est qu'il faut garder le plus possible entre nous le dirty little secret
le moins bien gardé au Québec, c'est-à-dire qu'il
y a des xénophobes, des racistes, des intolérants, parmi
les défenseurs de la nation. Rapporter et dénoncer les propos
de Bouthillier, ce serait donner raison à tous ceux, au Canada anglais
et aux États-Unis, qui prétendent que le nationalisme québécois
est un mouvement essentiellement ethnocentrique qui a sa frange de capotés
extrémistes. Ça veut dire alimenter ceux qui font des «
campagnes de salissage » du Québec à
l'étranger.
Il est significatif que les quatre commentateurs qui ont dénoncé
la SSJBM ont tous regretté cette conséquence: Bouthillier
salie l'image du nationalisme, ses propos vont justifier les pires critiques
à l'égard du Québec. Si les rares voix qui ont dénoncé
s'en préoccupent, imaginons comment ça doit inquiéter
ceux qui n'ont pas osé le faire! Il suffit de constater l'hystérie
qui a suivi ce reportage à 60 Minutes pour comprendre que
cette question d'image à l'étranger touche à un nerf
très sensible.
D'ailleurs, Guy Bouthillier lui-même ne semble pas trop préoccupé
par cette question, ce qui lui permet de dire tout haut ce qu'il pense
sans se soucier des conséquences. Voici comment il écartait
lors de sa comparution les critiques possibles sur un autre dossier controversé,
l'utilisation de la clause nonobstant: « Et je sais
très bien qu'on nous répond, dans certains cercles que vous
fréquentez peut-être, qu'on nous dit: Attention, attention,
qu'est-ce qu'on va dire de nous à l'étranger! (...) Du reste,
qu'est-ce que c'est que cette opinion publique internationale? Existe-t-elle
même vraiment? S'agit-il d'une opinion publique internationale, ou
ne s'agirait-il pas plutôt de l'expression, à l'extérieur
de nos frontières, d'une opinion inventée ici, fabriquée
ici, montée ici par les Canadiens anglais de Montréal, de
Toronto ou d'ailleurs? ».
Déni de réalité
Trop de gens ont trop investi, depuis la Révolution tranquille et
encore plus depuis 1976, dans l'image collectiviste d'un Québec
français qui s'assume et qui s'impose, pour qu'on ose la remettre
en question maintenant. Dévoiler le dirty little secret qui
ronge notre belle identité « nationale »
de surface impliquerait une remise en question trop brutale. Le doute pourrait
même s'étendre à des vaches sacrées comme la
loi 101. Inacceptable.
En psychanalyse, on appelle cela un déni de réalité:
le refus de reconnaître un fait dont la perception est traumatisante
pour le sujet. Sauf rares exceptions, on préfère donc se
tenir coi et attendre que ça passe. De là cette loi du silence
qui règne dans les médias francophones.
Le Québec libre des
nationalo-étatistes
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«
Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes
mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain
étend ses bras sur la société tout entière;
il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées,
minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus
originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour
pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais
il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais
il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point,
il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne,
il comprime, il énerve, il éteint, il hébète,
et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un
troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le
berger. »
Alexis de Tocqueville
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE
(1840) |
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