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Vous poursuivez paradoxalement en affirmant que la presse francophone a presque unanimement été silencieuse (motus et bouche cousue) à ce sujet, mais indiquez plusieurs médias francophones qui en ont parlé, en omettant la télévision qui a fait état de la chose. Je vois là une contradiction qui mérite d'être justifiée: existe-il deux types de presse francophone, une bonne et une méchante? D'autre part, vous ne questionnez nullement le monolithisme de la presse anglophone qui, dites-vous, a réagi en bloc contre la sortie de Bouthillier — odieuse réaction collective mais éclairée sans doute, qui aurait certainement été qualifiée de tribale et d'ethnique si elle eut été celle de journalistes francophones! Je crois pourtant qu'il y a là un champ d'analyse qui gagnerait à être exploré avant que de juger. D'autre part, se pourrait-il qu'on ait quelque peu tordu les faits concernant l'intervention de Bouthillier? Car quiconque lit l'extrait auquel vous référez, devant la commision parlementaire, ne peut que comprendre que la connaissance des langues officielles serait une des conditions de naturalisation au Canada, donc une condition du droit de vote. Ce qui devrait être scandaleux pour un libertaire, car de quel droit l'État peut-il imposer l'anglais ou le français comme langue permettant d'exercer le droit de vote! J'aimerais assez lire les textes que vous avez produits à ce sujet. Dans sa perspective souverainiste, Bouthillier, qui espère un État souverain et francophone, ne fait qu'appliquer la logique canadienne, sans même affirmer qu'un Québec souverain serait uniquement français. Je ne sais pas si on impose une telle connaissance de la langue officielle dans d'autres démocraties libérales, mais il me semble tout à fait cohérent avec le modèle libéral que de demander aux citoyens d'une société de maîtriser les langues communes ou officielles dans lesquelles se déroulent les débats publics, à moins de chercher à les écarter de tels débats qui sont collectifs. Le droit de vote universel n'est rien d'autre que l'expression libre d'une préférence individuelle dans le cadre d'un choix collectif (l'élection), par le simple mécanisme d'agrégation. Il semble tout à fait rationnel d'inciter le citoyen à y comprendre quelque chose, plutôt que de se retrouver en situation de dépendance face à des concitoyens qui pourraient bien l'instruire à leur façon des choix qui s'offrent réellement à lui. Quant à la loi du silence qui règnerait dans les médias francophones, elle est à mon avis une autre affirmation exagérée de votre texte dont la facture idéologique me donne l'impression de lire Gramsci, Chomsky ou Falardeau à l'envers, tellement on y retrouve les mêmes généralisations sans fondement empirique. Au contraire, les médias francophones et les journalistes qui y oeuvrent son déchirés entre le fédéralisme et ses tendances plus ou moins flexibles, et la souveraineté, et ses tendances aussi plus ou moins flexibles. Xénophobes? Mais outre vos propres spéculations et votre recours à des arguments des plus fragiles, vous n'êtes pas en mesure de donner un seul fait, une seule déclaration à l'effet que les souverainistes sont réellement xénophobes, ou encore sont inspirés par certains porte-parole xénophobes. Parce qu'un ou quelques individus sont à la fois souverainistes et, peut-être mais cela reste à voir, moins ouverts aux autres groupes ethniques, il en découle que tous les souverainistes partagent ce point de vue. Faut-il en tirer de telles conclusions pour les fédéralistes, ou encore pour les anglophones qui ont longtemps forcé les francophones à parler leur langue afin de gagner leur vie? Il me semble pourtant qu'un tel jugement est totalement contraire aux fondements philosophiques des libertaires qui renoncent à voir dans les collectivités les qualités et défauts des individus. Pour en arriver à une telle conclusion, il fait réussir le tour de force idéologique de travestir et de caricaturer les points de vue contraires aux nôtres afin de mieux les combattre. La seule violence que je constate pour l'instant, c'est celle des procès d'intention et des vociférations de l'éditorialiste, qui en disent davantage sur sa pensée que tout le reste. L'esprit réellement libre doit s'affanchir des catégories de pensée triviales de son environnement social (nous possédons des idées qui nous possèdent) et refuser de se laisser emporter par les excès de style de la propagande, qu'elle soit souverainiste ou fédéraliste. Je ne vois pas en quoi le Québécois Libre nous offre une réelle pensée libertaire sur la question constitutionnelle ou linguistique quand il ne fait que nous servir le même plat que nous servent quotidiennement The Gazette, Cité Libre ou Alliance-Québec. Un peu d'originalité que diable! (*) Docteur en science politique, journaliste et essayiste bernierm@globetrotter.qc.ca RÉPLIQUE Cher Monsieur Bernier,
Précisons d'abord que notre philosophie n'est pas libertaire mais
bien libertarienne. Il y a une nuance,
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