Montréal, le 18 avril 1998
Numéro 7
 
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            Vos commentaires           
 
 
 
 
 
 
     « Le nationalisme est une maladie infantile. C'est la rougeole de l'humanité. »    
    
Albert Einstein
 
 
 
OPINION
 
AFFAIRE BOUTHILLIER:
UN PROCÈS D'INTENTION CONTRE LES SOUVERAINISTES
 
par Marc-François Bernier*
 
Monsieur Masse, 
  
          J'ai lu avec grand intérêt vos récents propos concernant l'affaire Bouthillier, la SSBJ et la loi du silence des médias, mais le problème est que votre position ne résiste pas à l'analyse. 
 
          Dans votre éditorial du 11 avril, vous affirmez que les médias francophones n'ont pas bien informé vos lecteurs parce qu'ils n'ont pas accordé la même importance que vous aux propos de Bouthillier. C'est, vous en conviendrez, avancer une conception de la bonne information qui mériterait d'être argumentée plutôt qu'affirmée. De plus, c'est nier implicitement le principe même du pluralisme de l'information que de s'attendre à ce que tous les médias accordent la même importance au même événement. Cela me semble tout à fait contraire à l'esprit libertaire que vous revendiquez.
Deux types de presse francophone? 
  
          Vous poursuivez paradoxalement en affirmant que la presse francophone a presque unanimement été silencieuse (motus et bouche cousue) à ce sujet, mais indiquez plusieurs médias francophones qui en ont parlé, en omettant la télévision qui a fait état de la chose. Je vois là une contradiction qui mérite d'être justifiée: existe-il deux types de presse francophone, une bonne et une méchante? D'autre part, vous ne questionnez nullement le monolithisme de la presse anglophone qui, dites-vous, a réagi en bloc contre la sortie de Bouthillier — odieuse réaction collective mais éclairée sans doute, qui aurait certainement été qualifiée de tribale et d'ethnique si elle eut été celle de journalistes francophones! Je crois pourtant qu'il y a là un champ d'analyse qui gagnerait à être exploré avant que de juger. 
 
          D'autre part, se pourrait-il qu'on ait quelque peu tordu les faits concernant l'intervention de Bouthillier? Car quiconque lit l'extrait auquel vous référez, devant la commision parlementaire, ne peut que comprendre que la connaissance des langues officielles serait une des conditions de naturalisation au Canada, donc une condition du droit de vote. Ce qui devrait être scandaleux pour un libertaire, car de quel droit l'État peut-il imposer l'anglais ou le français comme langue permettant d'exercer le droit de vote! J'aimerais assez lire les textes que vous avez produits à ce sujet. 
 
          Dans sa perspective souverainiste, Bouthillier, qui espère un État souverain et francophone, ne fait qu'appliquer la logique canadienne, sans même affirmer qu'un Québec souverain serait uniquement français. Je ne sais pas si on impose une telle connaissance de la langue officielle dans d'autres démocraties libérales, mais il me semble tout à fait cohérent avec le modèle libéral que de demander aux citoyens d'une société de maîtriser les langues communes ou officielles dans lesquelles se déroulent les débats publics, à moins de chercher à les écarter de tels débats qui sont collectifs. Le droit de vote universel n'est rien d'autre que l'expression libre d'une préférence individuelle dans le cadre d'un choix collectif (l'élection), par le simple mécanisme d'agrégation. Il semble tout à fait rationnel d'inciter le citoyen à y comprendre quelque chose, plutôt que de se retrouver en situation de dépendance face à des concitoyens qui pourraient bien l'instruire à leur façon des choix qui s'offrent réellement à lui. 
 
          Quant à la loi du silence qui règnerait dans les médias francophones, elle est à mon avis une autre affirmation exagérée de votre texte dont la facture idéologique me donne l'impression de lire Gramsci, Chomsky ou Falardeau à l'envers, tellement on y retrouve les mêmes généralisations sans fondement empirique. Au contraire, les médias francophones et les journalistes qui y oeuvrent son déchirés entre le fédéralisme et ses tendances plus ou moins flexibles, et la souveraineté, et ses tendances aussi plus ou moins flexibles. 
  
 Xénophobes? 
  
          Mais outre vos propres spéculations et votre recours à des arguments des plus fragiles, vous n'êtes pas en mesure de donner un seul fait, une seule déclaration à l'effet que les souverainistes sont réellement xénophobes, ou encore sont inspirés par certains porte-parole xénophobes. Parce qu'un ou quelques individus sont à la fois souverainistes et, peut-être mais cela reste à voir, moins ouverts aux autres groupes ethniques, il en découle que tous les souverainistes partagent ce point de vue. Faut-il en tirer de telles conclusions pour les fédéralistes, ou encore pour les anglophones qui ont longtemps forcé les francophones à parler leur langue afin de gagner leur vie? 
 
           Il me semble pourtant qu'un tel jugement est totalement contraire aux fondements philosophiques des libertaires qui renoncent à voir dans les collectivités les qualités et défauts des individus. Pour en arriver à une telle conclusion, il fait réussir le tour de force idéologique de travestir et de caricaturer les points de vue contraires aux nôtres afin de mieux les combattre. La seule violence que je constate pour l'instant, c'est celle des procès d'intention et des vociférations de l'éditorialiste, qui en disent davantage sur sa pensée que tout le reste. 
 
          L'esprit réellement libre doit s'affanchir des catégories de pensée triviales de son environnement social (nous possédons des idées qui nous possèdent) et refuser de se laisser emporter par les excès de style de la propagande, qu'elle soit souverainiste ou fédéraliste. Je ne vois pas en quoi le Québécois Libre nous offre une réelle pensée libertaire sur la question constitutionnelle ou linguistique quand il ne fait que nous servir le même plat que nous servent quotidiennement The Gazette, Cité Libre ou Alliance-Québec. 
Un peu d'originalité que diable! 
 
 
(*) Docteur en science politique, journaliste et essayiste 
      bernierm@globetrotter.qc.ca 
 
 
 
RÉPLIQUE 
  
Cher Monsieur Bernier, 

          Précisons d'abord que notre philosophie n'est pas libertaire mais bien libertarienne. Il y a une nuance, 
qui est expliquée dans le premier éditorial du QL. 
 
          J'ai fait dans mon texte une distinction entre les quelques commentateurs qui ont parlé de cette histoire 
(probablement après l'avoir apprise par les médias anglophones), et la nouvelle comme telle, que les médias 
francophones ont systématiquement ignorée dans les jours qui ont suivi la comparution de Bouthillier. Vous 
savez sans doute qu'il existe des compagnies qui font un dépouillement complet de ce qui est diffusé ou 
imprimé dans les médias. Je vous invite à faire appel à leurs services pour avoir la confirmation de ce que 
j'affirme. 
 
          Il y a une différence énorme entre des médias anglophones réagissant unanimement parce qu'un 
organisme semi-officiel (qui organise les fêtes de la St-Jean, ne l'oublions pas) propose de réduire encore plus 
la présence de l'anglais au Québec, et des médias francophones réagissant de la même façon lorsque Mordecai 
Richler se moque des conneries de l'OLF. Dans le premier cas, la réaction monolithique des anglos est 
justifiée et aurait même due être partagée par leurs collègues; dans le second, la réaction monolithique des 
francos est puérile et stupide et prouve simplement que les choix éditoriaux sont dictés par l'hystérie 
nationaliste. 
 
          Contrairement à ce que vous dites, M. Bouthillier affirme clairement qu'il n'y aura qu'une langue 
officielle dans un Québec indépendant (comme c'est le cas d'ailleurs déjà dans la Province de Québec). On 
pourra se référer autant que l'on veut aux autres États qui imposent la connaissance de la langue officielle, 
une différence cruciale semble toujours oubliée: il y a, il y a toujours eu, ici, deux grands groupes 
linguistiques. L'unique but des nationalistes, dans ce dossier comme dans d'autres, est de faire en sorte 
d'éliminer une des deux langues, en la faisant disparaître de l'espace public et en harcelant ceux qui 
l'utilisent. Il n'y a rien de libéral là-dedans. 
 
          Le simple fait d'appuyer cette imposition d'une seule langue officielle dans un tel contexte suffit, à mon 
avis, pour mériter le titre de xénophobe. Mais la propagande nationaliste a tellement bien fait son oeuvre ces 
dernières décennies que j'imagine que cette idée vous apparaît tout à fait saugrenue. 
  
                Martin Masse 
                directeur QL 
 
 

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