Montréal,
le 12 septembre 1998 |
Numéro
20
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LE MARCHÉ LIBRE
STADE DES EXPOS:
POST-MORTEM PRÉNATAL
par Pierre Desrochers
Il semble acquis au moment d'écrire ces lignes que la saga du nouveau
stade de baseball au centre-ville de Montréal tire à sa fin.
Le projet aura finalement perdu toute crédibilité et ce pour
plusieurs raisons: le refus catégorique de Claude Brochu d'ouvrir
ses livres comptables; ses affirmations rocambolesques selon lesquelles
la masse salariale de ses compétiteurs va continuer d'exploser après
que les champions de la Série mondiale aient dû réduire
la leur de façon drastique; la performance excécrable de
l'équipe sur le terrain; un département de relations publiques
indigne d'un Club Optimiste de province; l'apparition soudaine d'acheteurs
potentiels sérieux pour l'équipe (un groupe de Washington
selon les rumeurs les plus persistantes); et la réponse non-équivoque
de Lucien Bouchard sur le financement public du nouveau stade. |
On pourrait évidemment, à l'instar des principaux commentateurs
montréalais, se demander si le président des Expos est un
simple incompétent ou un esprit machiavélique ayant tout
fait pour liquider l'équipe afin de se remplir les poches. Ne disposant
pas d'informations priviligiées sur le sujet, je m'en abstiendrai.
Bien que j'aie déjà eu l'occasion de dire tout le mal que
je pense de ce projet (voir QL, 28 mars
98), il me semble toutefois important de souligner encore une fois que
les contribuables montréalais devraient se réjouir du départ
des Expos, et ce même si les véritables amateurs de baseball
ont légitimement le droit de condamner le comportement des principaux
actionnaires de l'équipe.
Le cas du Oriole Park de Camden Yards
Ayant eu la chance d'effectuer un stage à Washington cet été,
je peux témoigner du fait qu'il est possible de passer un été
agréable dans une agglomération urbaine dépourvue
d'équipe de baseball majeur (du moins jusqu'à nouvel ordre...).
On objectera toutefois avec raison que la capitale américaine dispose
d'atouts culturels incomparables pour attirer les touristes et que le domicile
des Orioles de Baltimore n'est qu'à une soixantaine de kilomètres
au nord-est de la ville. J'ai cependant pu effectuer deux escapades à
Baltimore pour constater de visu le plus beau cas de revitalisation urbaine
d'Amérique.
Malheureusement pour les chantres de l'importance du nouveau stade dans
la renaissance de la principale ville du Maryland, les Orioles étaient
à l'étranger lors de chacune de mes visites, mais le port
et les vieux quartiers de la ville étaient bondés à
un point tel qu'il m'était souvent difficile de me frayer un chemin
à travers une foule bigarrée qui y était rassemblée
pour toutes sortes de raisons. La clientèle familiale était
prépondérante le jour, attirée par bon nombre de jongleurs,
d'acrobates, d'excursions en pédalos dans le vieux port, de musées,
mais peut-être surtout pour le simple plaisir de se mêler à
la foule. Bon nombre de restaurants exotiques, de bars et de boutiques
alternatives assuraient quant à eux la présence d'une autre
clientèle jusqu'aux petites heures du matin. On nous vante souvent
la convivialité de Montréal, sa sécurité et
le fait qu'une foule énorme peut s'y assembler sans causer de problèmes
sérieux. J'ignore jusqu'à quel point le phénomène
est unique, mais j'ai pu constater qu'il est tout-à-fait possible
de réunir au coeur de Baltimore une foule de près de 100
000 personnes sans incidents majeurs.
Baltimore a encore la réputation d'être une ville peu sécuritaire,
du moins selon les standards montréalais, mais il est indéniable
que la présence d'un nouveau stade n'explique en rien la réjuvénation
extraordinaire de certaines sections de son noyau urbain. En fait, les
derniers estimés sur le Oriole Park indiquent qu'il coûte
annuellement quatorze millions de dollars aux contribuables du Maryland,
qu'il ne rapporte que trois millions de dollars en taxes par année
et que son impact sur le tourisme a été négligeable.
Les économistes Bruce Hamilton et Peter Kahn de l'Université
Johns Hopkins ont même calculé que les revenus des habitants
du Maryland seraient plus élevés de 11 millions de dollars
annuellement si le nouveau stade n'avait pas été construit.
Le cas de Baltimore est toutefois le plus reluisant d'Amérique,
car près du tiers de l'assistance au match des Orioles vient de
l'extérieur de la région métropolitaine. L'ironie
de la chose, c'est que l'immense majorité des « touristes
» sont des gens de la région de Washington conduisant
moins de 45 minutes pour assister aux matchs des Orioles. S'il fallait
que les Expos soient vendus à un groupe de Washington, il y a fort
à parier que les Orioles feront face à un manque à
gagner substantiel à très court terme et que leur nouveau
stade n'y pourra pas grand-chose.
L'impact négligeable du Oriole Park n'est pas exceptionnel,
car l'on a observé le même phénomène à
Charlotte, Chicago, Cincinnati, Cleveland, Milwaukee, Nashville, San Francisco,
Saint-Louis, Seattle, Tampa et Washington. Les économistes Roger
Noll et Andrew Zimbalist ont ainsi souligné dans l'ouvrage le plus
complet sur la question que: « there has not been an independent
study by an economist for any stadium built over the last 30 years that
suggests you can anticipate a positive economic impact » (Sports,
Jobs, and Taxes, Brookings Institution Press, 1997).
Comme on s'en doute, les propriétaires et les joueurs ont toujours
été les principaux benéficiaires des nouveaux stades
subventionnés, tandis que les contribuables des classes moyennes
ont ramassé la facture sans vraiment bénéficier des
retombées. Noll, Zimbalist et leurs collaborateurs dressent un constat
peu reluisant du financement public des installations sportives en démontrant
à l'aide d'une documentation incontestable qu'un nouveau complexe
sportif n'a qu'un effet minime (et souvent négatif) sur l'activité
économique et la création d'emplois; qu'aucun stade récent
ne s'est avéré être un investissement particulièrement
rentable; qu'aucun gouvernement n'a réussi à récupérer
le montant de ses subventions au moyen des taxes générées
par un nouveau stade; et que peu importe l'échelle géographique
adoptée (quartier, ville ou région métropolitaine),
les retombées économiques des nouveaux complexes sportifs
ne sont au mieux que minimes.
Pour une solution transparente
Il y avait quelque chose de particulièrement indécent à
voir nos corporate welfare bums vanter récemment au Chic
Club Saint-Denis les mérites du financement public d'un nouveau
stade en sachant très bien qu'ils seraient les principaux bénéficiaires
d'un nouveau siphonnage de la classe moyenne la plus égorgée
d'Amérique. Ce qui est toutefois plus troublant, c'est qu'à
peu près aucun commentateur ne soit revenu sur l'essentiel du problème.
N'oublions pas en effet que la seule raison invoquée par Claude
Brochu et son entourage pour la construction d'un nouvel amphithéâtre
est d'augmenter leur masse salariale afin de donner aux montréalais
une équipe compétitive. On devrait pour cela verser aux Expos
un minimum de 150 millions $ afin de construire un nouveau
stade de 35 000 places doté de loges corporatives.
On oublie par contre trop facilement que le Stade Olympique a été
complètement réaménagé il y a quelques années
pour en faire un stade décent de 45 000 places pour
lequel les Expos ne paient pratiquement pas de loyer.
On ne mentionne pas non plus que les nouveaux revenus de l'équipe
viendront essentiellement de la classe moyenne, car les loges corporatives
seront déductibles d'impôt. Pourquoi alors Bernard Landry
ne se contenterait-il pas d'imposer une nouvelle taxe qui irait directement
dans les goussets des joueurs de balle au terme d'une des entourloupettes
fiscales dont il a le secret? Après tout, augmenter le fardeau fiscal
de chaque contribuable québécois d'une vingtaine de dollars
par année devrait permettre aux Expos de rivaliser rapidement avec
les Braves et les Yankees, ce qui garantirait à Montréal
la Série Mondiale dont elle a tant besoin. Et le processus aurait
au moins le mérite d'être transparent et honnête, tout
en créant de nouveaux riches dans la plus belle tradition du Québec
Inc. et de l'interventionnisme étatique.
Le plus grand perdant dans cette affaire aura finalement été
Charles Bronfman, qui a vendu son équipe à rabais à
un groupe de gens d'affaires francophones pour qu'elle demeure à
Montréal. On aura beau dire que les riches ne paient pas d'impôt,
Bronfman aura au bout du compte contribué à la santé
financière d'un nombre élevé d'actionnaires francophones.
Songera-t-on à lui ériger un monument sur le site retenu
par les Expos?
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