Montréal, le 24 octobre 1998
Numéro 23
 
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 LE MARCHÉ LIBRE
 
LA CRISE DES ANNÉES 1930
(SECONDE PARTIE)
  
par Pierre Desrochers
  
Première partie 
 
          La Grande Dépression des années 1930 est probablement le sujet le plus étudié en histoire économique américaine. Contrairement à certains mythes tenaces véhiculés par les opposants de l'économie de marché, il n'y a toutefois pas encore de consensus sur ses causes et sa durée exceptionnelle. Notre collaborateur complète donc dans cette livraison une brève introduction à l'analyse de la crise telle qu'elle a été élaborée par Friedrich Hayek, Murray Rothbard, Milton Friedman, Robert Higgs et d'autres auteurs libéraux(1)  
   
*   *   *
          Nous avons vu dans la chronique précédente comment les politiques interventionnistes de l'administration Hoover et du Congrès américain transformèrent un ajustement structurel sans doute passager en une crise économique sans précédent. C'est ainsi que malgré le rôle considérablement accru du gouvernement fédéral, la production minière et industrielle des États-Unis diminua de plus de la moitié entre 1929 et 1933. L'avoir réel des consommateurs chuta quant à lui de 28% durant cette période, tandis que le nombre de chômeurs passa de 1,6 à 12,8 millions, faisant monter le taux de chômage à près de 25%. 
 
Le volte-face de Roosevelt 
 
          En réaction aux politiques interventionnistes de Herbert Hoover, Franklin Delano Roosevelt tint un discours des plus libéraux lors de la campagne électorale de 1932. Il promit alors une réduction de 25% des dépenses fédérales, un budget équilibré, un dollar stable basé sur l'étalon-or, le retrait du gouvernement fédéral de domaines où le secteur privé serait plus efficace et l'abolition pure et simple des subventions agricoles instaurées par les républicains. S'appuyant sur cette plate-forme, Roosevelt remporta une victoire des plus convaincantes en obtenant 472 votes du collège électoral contre seulement 59 pour le président sortant. 
  
          Roosevelt changera toutefois complètement sa politique économique après sa prise du pouvoir et mettra en branle un train de mesures que l'on qualifiera éventuellement de New Deal. Le nouveau président n'innovait toutefois pas réellement, comme le soulignera bien des décennies plus tard l'un de ses principaux lieutenants, Rexford Guy Tugwell: « We didn't admit it at the time, but practically the whole New Deal was extrapolated from programs that Hoover started. » Roosevelt ne fera donc qu'amplifier les politiques des années précédentes. C'est ainsi qu'entre 1933 et 1936, les dépenses du gouvernement fédéral américain augmenteront de 83% et sa dette de 73%. L'administration Roosevelt adoptera donc une politique « keynésienne » bien avant la parution de la Théorie Générale de l'économiste britannique en 1936. Il est pour le moins ironique de constater que Keynes suggéra de « sauver le capitalisme » en adoptant des mesures interventionnistes déjà en vigueur aux États-Unis depuis le début de la Grande Dépression! Voici d'ailleurs une liste partielle des principales mesures adoptées par l'administration Roosevelt avant la parution du plus influent traité d'économie de ce siècle. 
  
1933 
  
Agricultural Adjustment Act  
National Industrial Recovery Act  
Emergency Banking Relief Act  
Banking Act of 1933  
Federal Securities Act  
Tennessee Valley Authority Act  
Gold Repeal Joint Resolution  
Farm Credit Act  
Emergency Railroad Transport Act  
Emergency Farm Mortage Act  
Home Owners Loan Corporation Act 
1934  
  
Securities Exchange Act  
Gold Reserve Act  
Communications Act  
Railway Labor Act 
 
1935  
  
Bituminous Coal Stabilization Act  
Connally (« hot oil ») Act  
Revenue Act of 1935  
National Labor Relations Act  
Social Security Act  
Public Utilities Holding Company Act  
Banking Act of 1935  
Emergency Relief Appropriations Act  
Farm Mortage Moratorium Act 
1936  
  
Soil Conservation & Domestic  
Allotment Act  
Federal Anti-Price Discrimination Act  
Revenue Act of 1936 
   
          L'administration Roosevelt n'en restera évidemment pas là et continuera d'adopter tout un train de mesures interventionnistes jusqu'à l'entrée en guerre des États-Unis en 1941, alors que des contrôles exceptionnels seront mis en place. Il serait évidemment beaucoup trop fastidieux d'examiner chacune de ces mesures, mais nous nous devons de souligner les plus aberrantes. L'Agricultural Adjustment Act (AAA) est sans doute la politique la plus célèbre. Il s'agit en effet de la mesure à partir de laquelle on entreprit de détruire des millions d'hectares de récoltes et d'abattres des millions de têtes de bétail pour « soutenir » (i.e. maintenir artificiellement élevés) les prix des denrées agricoles. 
  
          L'AAA est donc l'ancêtre des politiques actuelles qui découragent l'innovation tout en faisant payer plus cher aux consommateurs de produits agricoles. La mesure la plus radicale fut toutefois le National Industrial Recovery Act qui engendra notamment la National Recovery Administration. Sous l'égide des fonctionnaires de la NRA, plusieurs entreprises manufacturières furent regroupées de force sous l'autorité de cartels gouvernementaux. À l'instar du modèle économique prôné dans les pays fascistes, on introduisit divers décrets qui déterminèrent les prix et les termes de vente entre les entreprises, ce qui mena parfois, selon certains économistes, à une augmentation de près de 40% des coûts de production des entreprises. De façon générale, la plupart de ces mesures augmenteront considérablement le fardeau fiscal des particuliers et des entreprises, tout en favorisant la création de toutes une séries de postes inutiles. Comme le souligne sarcastiquement Lawrence Reed: 
          Roosevelt's public relief programs hired actors to give free shows and librarians to catalogue archives. The New Deal even paid researchers to study the history of the safety pin, hired 100 Washington workers to patrol the streets with balloons to frighten starlings away from public buildings, and put men on the public payroll to chase tumbleweeds on windy days.
          Les politiques du New Deal ne remportèrent évidemment pas l'assentiment général. Plusieurs seront même contestées jusqu'en Cour suprême qui se révélera d'abord hostile aux politiques de Roosevelt. C'est ainsi que les neuf plus importants magistrats des États-Unis déclareront inconstitutionnels le National Industrial Recovery Act en 1935 et le Agricultural Adjustment Act en 1936. Par pure coïncidence sans doute, l'économie américaine reprendra du mieux dès que ces mesures furent abolies, le taux de chômage passant de 18% en 1935 à 14% en 1936 et 13% en 1937. L'administration Roosevelt ne se laissa toutefois pas démonter et adopta par la suite un autre train de mesures, notamment: 
  
1937  
  
Bituminous Coal Act  
Revenue Act of 1937  
National Housing Act  
Enabling (Miller-Tydings) Act 
1938 
  
Agricultural Adjustment Act  
Fair Labor Standards Act  
Civil Aeronautics Act  
Food, Drug & Cosmetic Act 
 
1939  
  
Administrative Reorganization Act 
1940  
  
Investment Company Act  
Revenue Act of 1940  
Second Revenue Act of 1940 
  
          Or malgré toutes ces nouvelles mesures, subventions et législations, le nombre de chômeurs en 1940 était toujours supérieur à 11 millions (et ce, sans compter les trois millions d'Américains enrôlés dans divers programmes gouvernementaux temporaires ne réglant aucun problème important). L'augmentation des taxes, des impôts et des subventions de l'administration Roosevelt se traduisit ultimement par une contraction substantielle (-3,1 milliards de dollars!) de l'investissement privé entre 1930 et 1940. Comme le souligna à l'époque le poète libertarien Berton Braley: 
  
A dollar for the services
A true producer renders –
(And a dollar for experiments
Of Governmental spenders!)
A dollar for the earners
And the savers and the thrifty –
(And a dollar for the wasters,
It's a case of fifty-fifty!)
  
          Les croyances selon lesquelles la Dépression des années 1930 fut l'aboutissement logique du capitalisme et le New Deal aida l'économie américaine à se remettre sur ses pieds sont sans fondement. Des milliers de ponts, barrages, autoroutes et infrastructures de toute sorte furent évidemment construits durant cette période, mais la plupart ne furent qu'une diversion de fonds que le secteur privé aurait investi dans d'autres domaines afin de réaliser de véritables gains de productivité et de répondre aux véritables attentes des consommateurs. Les structures les plus durables du New Deal furent toutefois les multiples bureaucraties et agences réglementaires qui se virent ultérieurement légitimer par la popularité croissante des théories keynésiennes. Mais croire que ces bureaucraties ont relancé l'économie américaine n'est qu'un mythe perpétué par des générations d'enseignants et de journalistes.
  
  
  
1.  Le lecteur désireux de consulter les sources originales est invité à lire les ouvrages suivants:
  • FRIEDMAN, Milton F. , A Monetary History of the United States, 1867-1960, Princeton University Press, 1963.
  • HAYEK, Friedrich A., Profits, Interest and Malinvestment, and Other Essays on the Theory of Industrial Fluctuation, (1939), Réimpression par Augustus M. Kelley, 1975.
  • HAYEK, Friedrich A., The Pure Theory of Capital, (1941), Réimpression par The University of Chicago Press, 1975.
  • HIGGS, Robert F., « Regime Uncertainty: Why the Great Depression Lasted So Long and Why Prosperity Resumed After the War », The Independent Review, 1(4), 1997, 561-590.
  • ROTHBARD, Murray N., America's Great Depression, (1962), Réimpression par Sheed and Ward, 1972.
 
 
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