Montréal,
le 6 février 1999 |
Numéro
30
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LE MARCHÉ LIBRE
COUP DE GRISOU FÉDÉRAL
par Pierre Desrochers
L'annonce par le gouvernement fédéral de la fin des subventions
à la charbonnière Devco de l'île du Cap-Breton nous
a encore une fois donné droit à la tragi-comédie des
régions périphériques canadiennes: plus d'un millier
de mineurs tour à tour au bord du désespoir et prêts
à faire un mauvais parti à leurs politiciens fédéraux;
des leaders communautaires dénonçant le manque de compassion
du gouvernement central; des politiciens provinciaux et des agents de développement
réclamant de nouveaux fonds pour diversifier l'économie locale,
etc. |
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Contrairement aux années antérieures cependant, les nouvelles
coupures au budget du développement régional n'ont pas semblé
émouvoir outre mesure les journalistes torontois de la CBC chargés
de couvrir l'événement. En fait, on pouvait même déceler
chez certains d'entre eux une profonde lassitude face aux demandes d'aide
perpétuelles des leaders de la côte atlantique. Toutefois,
aucun des commentateurs des médias nationaux n'a véritablement
dénoncé la futilité des politiques de l'administration
fédérale (voir LE SAUPOUDRAGE RÉGIONAL,
le QL no 3) ou laissé
entendre que le libre marché aurait assuré un meilleur sort
aux habitants de l'est de la Nouvelle-Écosse. Mais le chroniqueur
économique du Québécois Libre veille au grain...
Le gouffre sans fond du Cap-Breton
Outre la beauté de son littoral, l'île du Cap-Breton recèle
plusieurs ressources minérales telles que le charbon et le fer qui
ont progressivement mené au développement de complexes industriels
importants au tournant du siècle. Il était toutefois évident
dès le début des années soixante que l'industrie locale
était en difficulté et qu'elle devrait opérer un réajustement
sévère afin de sauver ne serait-ce qu'une partie des
meubles. Certains analystes écrivirent même en 1966 dans le
rapport final d'une commission sur l'avenir de l'industrie de l'île
(rapport MacDonald) que l'on devrait abandonner progressivement la production
de charbon à cet endroit et tenter de diversifier l'économie
locale.
Les politiciens de la Nouvelle-Écosse, dont notamment l'influent
Allan MacEachan, ne l'entendirent toutefois pas ainsi. On entreprit donc,
au nom de la solidarité canadienne et de la correction publique
des « défaillances du marché »,
un ambitieux programme de création d'agences gouvernementales et
de distribution de milliards de dollars de subventions. On encouragea par
le fait même des milliers de jeunes travailleurs sans trop de formation
à devenir mineurs comme leurs pères et plusieurs jeunes diplômés
à devenir distributeurs de la manne fédérale. Or contrairement
aux promesses des politiciens et de certains économistes, ces mesures
« temporaires » n'ont jamais généré
un tissu économique viable.
La situation de la plupart des mineurs de la Devco, contrairement à
celle des fonctionnaires et politiciens fédéraux responsables
de ce gâchis, est aujourd'hui particulièrement pénible.
La plupart ont entre vingt et trente années d'expérience,
ce qui n'est souvent pas suffisant pour les mettre à la retraite
avec des compensations intéressantes. On a donc vu leur leader syndical
exiger du gouvernement fédéral un programme de pré-retraites
qui leur permettrait de tirer leur révérence avec pleine
compensation.
En clair, on demande encore une fois aux contribuables des régions
prospères du pays d'investir plusieurs centaines de millions de
dollars pour boucher le gouffre sans fond de l'île du Cap-Breton.
Mais, rétorquera-t-on, la situation des insulaires n'aurait-elle
pas été encore plus difficile sans la générosité
des mesures fédérales? Ne s'agit-il pas là de mesures
civilisées pour contrer les affres de la mondialisation sauvage
des marchés? Comme nous allons maintenant le constater, l'expérience
américaine nous démontre hors de tout doute que le libre
marché aurait assuré un meilleur sort aux habitants de l'île.
Hickory, un laboratoire du libéralisme*
La Caroline du Nord présente certaines similitudes avec la Nouvelle-Écosse.
Cet État est situé à peu près à la même
distance des principaux marché du nord-est américain que
la province atlantique. Son économie a longtemps reposé sur
certaines ressources naturelles. Comme la Nouvelle-Écosse, la Caroline
du Nord a toujours eu certaines zones industrielles dont la création
était en bonne partie attribuable à une certaine abondance
de ressources naturelles et à une main-d'oeuvre moins coûteuse
que dans les régions centrales. La petite ville de Hickory, perdue
dans la région périphérique (même à l'échelle
de la Caroline du Nord) des Blue Ridge Mountains, a ainsi réussi
il y a plusieurs décennies à attirer nombre d'usines de textile,
de fabrication de meubles et de produits chimiques.
Les industries traditionnelles de Hickory ont toutefois été
décimées au cours des dernières années par
bon nombre de producteurs étrangers ayant des coûts de production
encore plus faibles. L'économie locale ne s'en porte pas plus mal,
car on y crée actuellement plus d'emplois que l'on en perd. Nombre
d'entreprises reliées à la fabrication de fibres optiques,
d'équipements médicaux et de semiconducteurs ont en effet
relocalisé une partie de leur production à Hickory pour profiter
d'un bassin de main-d'oeuvre travaillante et semi-qualifiée. Le
taux de chômage de la région n'est actuellement que de 2,3%,
le plus bas au cours des trente-deux dernières années.
Comment peut-on expliquer le succès de Hickory? Bien que l'on y
retrouve, comme à l'île du Cap-Breton, un certain nombre de
programmes de formation de la main-d'oeuvre et d'incitatifs fiscaux, ces
mesures ne peuvent véritablement expliquer le succès de la
région, car leurs effets ont été nuls en Nouvelle-Écosse.
La véritable clef du succès de cette région de la
Caroline du Nord est bien plutôt l'inaction gouvernementale. Contrairement
aux politiciens canadiens, les politiciens américains n'ont pas
taxé les entreprises de leurs régions performantes pour aller
ensuite redistribuer cet argent dans les industries en déclin des
régions périphériques.
Au contraire, les entreprises américaines de fibres optiques et
de semiconducteurs de la Nouvelle-Angleterre et d'ailleurs ont pu réinvestir
leurs profits pour concevoir de nouveaux produits et de nouvelles façons
de faire. Maintenant que ces techniques de production sont relativement
standardisées et que l'économie de la Nouvelle-Angleterre
surchauffe, les dirigeants de ces entreprises ont fait la seule chose logique
dans une économie de marché: relocaliser une partie de leur
production dans des régions où la main-d'oeuvre semi-qualifiée
est abondante.
Les effets pervers de la politique régionale
Nos politiciens fédéraux ne manquent pas une occasion de
souligner que leurs politiques de développement régional
ont toujours été basées sur la compassion. Qu'elles
aient été basées sur la générosité
ou sur l'achat de votes ne changent toutefois rien à leur effet
réel. Elles minent la croissance des régions prospères
et embourbent les régions périphériques dans des industries
dont le déclin est inévitable. Elles sont la marque d'une
société conservatrice qui a peur de l'avenir et du changement.
*Cette section est basée
sur un article paru dans le Wall
Street Journal en décembre 1998.
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