Procréation assistée
L'un
des plus graves problèmes actuels, voire la source de tous les maux
sociaux, se trouve dans l'éducation des enfants et, en particulier,
dans le manque de contrôle que leurs parents exercent sur eux. De
là découlent le décrochage scolaire, le suicide, la
hausse de la criminalité chez les jeunes, la violence des bandes
d'adolescents, et la mise en cause de notre avenir collectif. Or, voici
le paradoxe: on exige des preuves de compétence et des permis pour
des activités – exercer la médecine, conduire une automobile,
posséder un pistolet .22 à un coup, etc. – qui portent pourtant
beaucoup moins à conséquence que le fait d'avoir des enfants.
Pourquoi ne pas exiger une formation, sanctionnée par un permis,
de ceux qui mettent des enfants au monde, souvent pour leur propre plaisir
égoïste et sans égard aux conséquences sociales
de leur geste? Bien sûr, il ne s'agit pas de proscrire la procréation
privée (d'autant plus que la procréation collective n'est
pas tout à fait opérationnelle, faute d'un zizi social),
mais simplement de la réglementer dans le meilleur intérêt
des futurs enfants et de leurs parents eux-mêmes.
Cette question, je l'ai souvent posée: Pourquoi pas un permis pour
avoir et éduquer des enfants(1)?
On exige bien un permis des conducteurs d'automobiles et des possesseurs
d'armes, qui causent beaucoup moins de tort que les mauvais parents. La
proposition s'imbriquerait bien dans les autres composantes du fascisme
de la santé publique(2).
Après avoir suggéré qu'un permis de parent était
dans la logique du système actuel, j'ai découvert qu'un médecin
britannique, Sir Roy Calne, avait proposé l'idée avant moi.
Ceux qui souhaitent avoir des enfants, dit-il, devraient prouver leur compétence
et obtenir un permis. Il déclarait à l'Observer du
7 août 1994: « Tout le monde est d'accord avec
le permis de conduire, reconnaissant que certaines compétences sont
requises pour conduire une automobile. Mettre un enfant au monde est beaucoup
plus lourd de conséquences, et je propose sérieusement que
l'on réfléchisse à l'idée de soumettre cette
activité à autorisation administrative. »(3)
Une aberration que l'idée de ce fasciste de la santé? Il
semble que non. Le National Post nous apprend que deux fascistes
bien de chez nous, les Docteurs Katherine Covell and R. Brian Howe du Children's
Rights Centre (University College of Cape Breton) y vont de
la même proposition, dans le cadre d'une « pro-active
approach to child protection »: «
No one should be allowed to raise children until they
have finished high school, completed a parenting course, and obtained a
licence. »(4)
Pour la suite du monde
L'histoire du 20e siècle permet d'imaginer ce qui se
passera. L'idée fera son chemin dans les cercles universitaires
et gouvernementaux. Bientôt, celui qui s'y opposera sera perçu
comme un anachronisme, un coureur des bois attardé, un redneck de
l'éducation. Après quelques tentatives ratées, un
projet de loi, sans doute anodin, franchira les étapes de la première,
deuxième et troisième lecture. Quelques années plus
tard, peut-être à la suite d'un massacre d'enfants hautement
médiatisé, un projet de loi sera déposé qui
créera officiellement le permis de parent. Les études gouvernementales
brilleront par leur pauvreté, mais qu'a-t-on besoin d'études
quand la santé publique est menacée? La loi sera adoptée
au forcing, contestée devant les tribunaux, et déclarée
constitutionnelle.
Bien sûr, on ne parlera pas tout de suite d'« autorisation
administrative avant de baiser » (AAAB), ni même,
sans doute, de « permis de procréation
», ni même, au début, de « permis
de parent »; on appellera la nouvelle autorisation quelque
chose comme « certificat de compétence parentale
» ou peut-être « carte d'assurance
éducation ». De jeunes matamores contestataires
proclameront haut et fort qu'ils procréeront sans permis, mais ils
se raviseront tranquillement en s'apercevant que l'on doit fournir le numéro
du permis de parent pour enregistrer un nouveau-né à l'état
civil ou pour faire émettre la carte d'identité du rejeton,
qui est elle-même nécessaire pour la délivrance de
la carte d'assurance maladie. On ne passe pas aussi facilement dans les
mailles de la tyrannie administrative.
Puis, après quelques décennies, on se demandera comment on
a bien pu, dans des temps reculés, douter de la nécessité
du permis de parent. Les adolescents boutonneux croiront qu'il a toujours
existé et que la vie en société est impensable sans
lui. Ils seront fiers de le demander et de l'obtenir – à l'exception,
bien sûr, de la minorité à qui il sera inaccessible
mais qui n'osera remettre en cause que les modalités de sa délivrance.
Ceux qui parleront du « droit d'avoir des enfants
» seront vus comme des Martiens, mais « il
faut quand même des gens comme vous dans un État démocratique
».
À moins que... À moins que nous, et ceux qui nous suivront,
ne disions « non serviam ».
Ceux qui ne le savent pas encore apprendront que c'est plus facile à
dire qu'à faire. On fait figure d'inadapté social devant
la rectitude politique ambiante et les bien-pensants, devant les Roy Calne,
les Katherine Covell, les Brian Howe, les Heidi Rathjen. Et personne ni
aucune recette ne dit comment résister et quand il faut prendre
le maquis. Mais en luttant pour la liberté individuelle, nous aurons
toujours pour nous le sentiment individualiste, la raison et l'histoire.
1. Voir, par exemple, mon «
Rééduquer les rééducateurs », 30
avril 1996. >> |
2. Pierre Lemieux, «
Les fascistes de la santé », Le Québécois
libre, 4 juillet 1998. >> |
3. «
Un permis pour avoir des enfants », Chronique française
et iconoclaste, 3 janvier 1997. >> |
4. Corbin Andrews, «
A licence to parent », National Post,
22 février 1999, p. A-14; voir aussi Roy MacGregor, «
What if your parenting licence is revoked? »,
National Post, 16 mars 1999, p. A-19. >> |
©Pierre
Lemieux 1999
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