Montréal, le 20 mars 1999
Numéro 33
 
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LEMIEUX EN LIBERTÉ
 
LE PERMIS DE PARENT
  
par Pierre Lemieux
  
  
          Faisons un effort – un effort pour les libertariens, les autres n'ayant qu'à suivre la pente des idées reçues. Plaçons-nous dans la logique de l'État démocratique-administratif. Il est doux, il est gentil, il veut notre bien. Qu'avons-nous à craindre de lui, puisque lui, c'est nous? Un problème « social » (retenez bien ce mot qui, une fois prononcé, ne souffre pas de réplique) apparaît-il que notre État démocratique s'y attaque pour nous amener, lentement mais sûrement, au paradis terrestre.
 
 
Procréation assistée 
 
          L'un des plus graves problèmes actuels, voire la source de tous les maux sociaux, se trouve dans l'éducation des enfants et, en particulier, dans le manque de contrôle que leurs parents exercent sur eux. De là découlent le décrochage scolaire, le suicide, la hausse de la criminalité chez les jeunes, la violence des bandes d'adolescents, et la mise en cause de notre avenir collectif. Or, voici le paradoxe: on exige des preuves de compétence et des permis pour des activités – exercer la médecine, conduire une automobile, posséder un pistolet .22 à un coup, etc. – qui portent pourtant beaucoup moins à conséquence que le fait d'avoir des enfants. 
  
          Pourquoi ne pas exiger une formation, sanctionnée par un permis, de ceux qui mettent des enfants au monde, souvent pour leur propre plaisir égoïste et sans égard aux conséquences sociales de leur geste? Bien sûr, il ne s'agit pas de proscrire la procréation privée (d'autant plus que la procréation collective n'est pas tout à fait opérationnelle, faute d'un zizi social), mais simplement de la réglementer dans le meilleur intérêt des futurs enfants et de leurs parents eux-mêmes. 
  
          Cette question, je l'ai souvent posée: Pourquoi pas un permis pour avoir et éduquer des enfants(1)? On exige bien un permis des conducteurs d'automobiles et des possesseurs d'armes, qui causent beaucoup moins de tort que les mauvais parents. La proposition s'imbriquerait bien dans les autres composantes du fascisme de la santé publique(2). 
  
          Après avoir suggéré qu'un permis de parent était dans la logique du système actuel, j'ai découvert qu'un médecin britannique, Sir Roy Calne, avait proposé l'idée avant moi. Ceux qui souhaitent avoir des enfants, dit-il, devraient prouver leur compétence et obtenir un permis. Il déclarait à l'Observer du 7 août 1994: « Tout le monde est d'accord avec le permis de conduire, reconnaissant que certaines compétences sont requises pour conduire une automobile. Mettre un enfant au monde est beaucoup plus lourd de conséquences, et je propose sérieusement que l'on réfléchisse à l'idée de soumettre cette activité à autorisation administrative. »(3) 
  
          Une aberration que l'idée de ce fasciste de la santé? Il semble que non. Le National Post nous apprend que deux fascistes bien de chez nous, les Docteurs Katherine Covell and R. Brian Howe du Children's Rights Centre (University College of Cape Breton) y vont de la même proposition, dans le cadre d'une « pro-active approach to child protection »: « No one should be allowed to raise children until they have finished high school, completed a parenting course, and obtained a licence. »(4) 
  
Pour la suite du monde 

          L'histoire du 20e siècle permet d'imaginer ce qui se passera. L'idée fera son chemin dans les cercles universitaires et gouvernementaux. Bientôt, celui qui s'y opposera sera perçu comme un anachronisme, un coureur des bois attardé, un redneck de l'éducation. Après quelques tentatives ratées, un projet de loi, sans doute anodin, franchira les étapes de la première, deuxième et troisième lecture. Quelques années plus tard, peut-être à la suite d'un massacre d'enfants hautement médiatisé, un projet de loi sera déposé qui créera officiellement le permis de parent. Les études gouvernementales brilleront par leur pauvreté, mais qu'a-t-on besoin d'études quand la santé publique est menacée? La loi sera adoptée au forcing, contestée devant les tribunaux, et déclarée constitutionnelle. 
  
          Bien sûr, on ne parlera pas tout de suite d'« autorisation administrative avant de baiser » (AAAB), ni même, sans doute, de « permis de procréation », ni même, au début, de « permis de parent »; on appellera la nouvelle autorisation quelque chose comme « certificat de compétence parentale » ou peut-être « carte d'assurance éducation ». De jeunes matamores contestataires proclameront haut et fort qu'ils procréeront sans permis, mais ils se raviseront tranquillement en s'apercevant que l'on doit fournir le numéro du permis de parent pour enregistrer un nouveau-né à l'état civil ou pour faire émettre la carte d'identité du rejeton, qui est elle-même nécessaire pour la délivrance de la carte d'assurance maladie. On ne passe pas aussi facilement dans les mailles de la tyrannie administrative. 
  
          Puis, après quelques décennies, on se demandera comment on a bien pu, dans des temps reculés, douter de la nécessité du permis de parent. Les adolescents boutonneux croiront qu'il a toujours existé et que la vie en société est impensable sans lui. Ils seront fiers de le demander et de l'obtenir – à l'exception, bien sûr, de la minorité à qui il sera inaccessible mais qui n'osera remettre en cause que les modalités de sa délivrance. Ceux qui parleront du « droit d'avoir des enfants » seront vus comme des Martiens, mais « il faut quand même des gens comme vous dans un État démocratique ». 
  
          À moins que... À moins que nous, et ceux qui nous suivront, ne disions « non serviam ». Ceux qui ne le savent pas encore apprendront que c'est plus facile à dire qu'à faire. On fait figure d'inadapté social devant la rectitude politique ambiante et les bien-pensants, devant les Roy Calne, les Katherine Covell, les Brian Howe, les Heidi Rathjen. Et personne ni aucune recette ne dit comment résister et quand il faut prendre le maquis. Mais en luttant pour la liberté individuelle, nous aurons toujours pour nous le sentiment individualiste, la raison et l'histoire. 
  
  
1. Voir, par exemple, mon « Rééduquer les rééducateurs », 30 avril 1996.  >>
2. Pierre Lemieux, « Les fascistes de la santé », Le Québécois libre, 4 juillet 1998.  >>
3. « Un permis pour avoir des enfants », Chronique française et iconoclaste, 3 janvier 1997.  >>
4. Corbin Andrews, « A licence to parent », National Post, 22 février 1999, p. A-14;  voir aussi Roy MacGregor, « What if your parenting licence is revoked? », National Post, 16 mars 1999, p. A-19.  >>
 
  
©Pierre Lemieux 1999 
 
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