Montréal,
le 17 juillet 1999 |
Numéro
41
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LIBRE EXPRESSION
VERS UNE INFORMATION UNIFORME
par
Gilles Guénette
Récemment, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes (CRTC) allouait une des dernières fréquences
radio AM disponibles dans la grande région montréalaise à
Métromédia/CKVL pour son projet de chaîne d'information
continue. Se faisant, il rejetait une demande de la Société
Radio-Canada qui elle aussi avait présenté un projet de radio
d'information continue. La poussière à peine retombée
sur la décision du CRTC, plusieurs personnalités des médias
francophones affirment que l'organisme n'a pris en considération
ni « l'intérêt public »,
ni le fait que CKVL n'offre pas une information « de
qualité » en faisant ce choix. Mais à
quoi mesure-t-on l'intérêt public? Et comment reconnaître
une information de qualité?
L'intérêt des uns... et celui
des autres
« À trop vouloir suivre les modes (ou les caprices
des gouvernements en place), le CRTC en est-il venu à oublier la
notion d'intérêt public qui est pourtant au coeur de sa loi
constitutive? » C'est de cette façon que le président
de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec,
Michel C. Auger, débutait une lettre ouverte récemment publiée
dans les pages de La Presse(1).
Réagissant à la décision de l'organisme, il poursuit
en disant que « l'intérêt public doit (...)
être au coeur des préoccupations du CRTC dans son rôle
de gardien des grands principes qui doivent guider le système canadien
de radiodiffusion. »
Drôle de concept que celui de l'intérêt public! Qui
peut prétendre être mieux placé que l'auditeur chez
lui pour décider qu'un produit est meilleur qu'un autre pour lui?
Si Madame Chose estime être mieux informée par un André
Arthur à CKVL (animateur-vedette de la station) que par une clique
de séparatistes bien-pensants à la SRC, est-ce que c'est
dans son intérêt qu'on alloue le 690 AM à la SRC? De
même, si Monsieur Chose ne peut pas flairer les grands questionnements
intellectuels gnagnan de notre radio d'État, est-ce que c'est dans
son intérêt qu'on remette une autre licence à la SRC?
L'intérêt public se mesure bien plus à la popularité
réelle d'une station ou d'une émission – en termes de cotes
d'écoute – qu'à ce qu'en pense un individu, en l'occurrence,
un président de fédération. |
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Aussi dans sa lettre ouverte, M. Auger touche à la notion de «
qualité de l'information »: cela fait
partie « des grands principes qui doivent guider le
système canadien de radiodiffusion ». Et parmi
ces principes, « il y a le fait que les fréquences
appartiennent au public et sont des ressources rares, dont l'utilisation
entraîne, pour le diffuseur, d'offrir certains services à
la population. » Et ça se corse: «
Jusqu'à tout récemment, une information de qualité
faisait partie des services que les diffuseurs étaient tenus d'offrir
à la population et le CRTC veillait au respect de certains standards
en matière d'information. »
Est-ce qu'il faut en déduire que les diffuseurs ne l'offrent plus
cette information de qualité? Qu'ils n'offrent maintenant qu'une
information de bas de gamme? Nous faisons-nous flouer à toutes les
fois que l'on syntonise une station autre que la SRC? Monsieur Auger devrait
savoir qu'une même information peut à la fois être jugée
mauvaise ou de qualité... que ça dépend de celui qui
la reçoit. Et il est bien placé pour le savoir, le très
populaire tabloïd montréalais pour lequel il travaille étant
souvent pointé du doigt pour sa piètre « qualité
» journalistique.
Le président de la FPJQ prétend prendre position pour le
droit du public à une information juste, objective et de qualité,
mais ses motivations ne seraient-elles pas plus terre à terre? Après
tout, si le CRTC avait pris la « bonne » décision,
sa fédération de journalistes aurait peut-être eu plus
de chance de grossir ses rangs. Dans son projet de chaîne d'information
continue, CKVL propose d'employer 22 journalistes, dont 13 qui travailleraient
conjointement pour la Presse canadienne, alors que Radio-Canada
propose d'en embaucher de 40 à 50 dans le sien. Neuf membres potentiels
contre cinquante... Hum.
Pendant ce temps...
Un peu plus loin, dans les pages de la même édition de La
Presse, la très nuancée Nathalie Petrowski en remettait:
« Dans les circonstances, et vu la levée de boucliers
que la nouvelle à suscitée, la moindre des choses serait
que la présidente [du CRTC] nous explique pourquoi une décision
aussi désastreuse pour le 690 a été prise et sur quelle
substance hallucinogène étaient les membres du CRTC lorsqu'ils
l'ont prise(2). »
Mais quelle levée de boucliers? À part les quelques réactions
de journalistes Radio-Canadiens et d'amis Radio-Canadiens, le peuple ne
s'est pas soulevé! Les eaux du fleuve ne se sont pas séparées!
« Si
Madame Chose estime être mieux informée par un André
Arthur à CKVL que par une clique de séparatistes bien-pensants
à la SRC, est-ce que c'est dans son intérêt qu'on alloue
le 690 AM à la SRC? »
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La chroniqueuse nous éclaire: « Plus le temps
passe et plus la mort du canal de nouvelles continues de Radio-Canada à
la faveur des nouvelles décousues d'André Arthur donne envie
de descendre dans la rue et de hurler au scandale et à la fraude
intellectuelle. Si ce n'est pas déjà fait, c'est que les
gens n'ont pas saisi toute l'horreur de la chose. »
Mais ça explique tout! Nous n'aurions pas saisi toute l'ampleur
de la chose. Peut-être devrions-nous investir la rue au plus vite,
au risque de passer pour une bande d'abrutis chez nos élites bien-pensantes.
Au delà des voeux pieux d'information de qualité pour tous
– et de son évidente aversion pour André Arthur –, Mme Petrowski
ne prêcherait-elle pas pour sa paroisse? Bien sûr que non!
Le fait que son mari soit permanent à la SRC n'a rien à voir
avec sa prise de position! Tout ici n'est entrepris que dans l'intérêt
public... rien de plus. Si Mme Petrowski est tellement préoccupée
par le bien-être de son petit cercle d'amis, et par notre santé
intellectuelle à tous, peut-être devrait-elle mettre sur pied
un mouvement de défense de la SRC et militer pour sa croissance!
On imagine les manchettes (aux bulletins de nouvelles de Radio-Canada):
La population d'Outremont et du Plateau Mont-Royal descend dans la rue
pour crier son indignation devant le mépris dont fait preuve le
CRTC en remettant les clés du 690 au roi Arthur.
Tous pour un...
On ne saura jamais ce qui a fait pencher le CRTC du côté de
CKVL plutôt que du côté de la SRC, l'organisme n'a pas
l'habitude d'expliquer ses décisions. Ce qu'on sait par contre,
c'est que CKVL devait composer avec d'importantes contraintes de diffusion
depuis des lustres. Qu'à cause d'ententes internationales, la station
devait diminuer sa fréquence entre le coucher et le lever du soleil
et l'hiver, sa fréquence était plus faible en fin d'après-midi
et très tôt le matin. Une situation qui entraînait son
lot de inconvénients, il va sans dire.
Ce qu'on sait aussi, c'est que la ministre du Patrimoine canadien, Sheila
Copps, n'a pas l'intention de permettre la croissance des budgets radio/télé
de la CBC/SRC. Et que lors des récentes audiences publiques sur
le renouvellement des licences de la société d'État
(voir: ANACHRONIQUE TÉLÉ PUBLIQUE, le
QL no 38),
elle avait d'entrée de jeu mis cartes sur table: la société
d'État, qui ne recevra pas un sous de plus d'Ottawa, serait forcée
de sacrifier la qualité pour favoriser la quantité si on
lui donnait les chaînes spécialisées qu'elle réclame.
Finalement, ce qu'on sait, c'est qu'à la suite d'une réprimande
du Conseil de presse à l'endroit d'André Arthur, son employeur,
la station CKVL, a vu sa période de renouvellement de licence d'exploitation
écourtée par le CRTC – l'organisme disait souhaiter que les
propos de l'animateur-vedette soient dorénavant mieux «
encadrés » (voir: ANDRÉ ARTHUR
ET LA LIBERTÉ D'ÉCOUTER, le QL no
37). Et que dans son projet de chaîne d'information continue
soumis au CRTC, CKVL stipule qu'advenant l'allocation du 690 AM, le caractère
talk radio de sa programmation disparaîtra pour laisser entièrement
la place à la nouvelle.
Qu'elle soit technique ou politique, la décision du CRTC ne va définitivement
pas dans le sens que M. Auger et Mme Petrowski auraient souhaité.
Pourtant, ils devraient se réjouir! Le départ d'André
Arthur (si CKVL devient effectivement une station entièrement dédiée
à la nouvelle), c'est une voix discordante de moins! Au lieu de
tout voir noir et de s'obstiner sur des notions aussi abstraites et subjectives
que l'intérêt public et la qualité de l'information,
ils devraient plutôt remettre en question la pensée unique
(terme qu'on utilise en France surtout pour dénoncer la pensée
libérale, mais qui est beaucoup plus approprié pour décrire
la mainmise des parlotteux de gauche sur les médias) et l'existence
même du CRTC. Mais il faut croire que nos chroniqueurs sont frileux
et qu'ils préfèrent le confort d'une petite société
égalisée où, dans l'intérêt public, tout
le monde reçoit une même information « de
qualité » et aseptisée.
1. Michel C. Auger, «
Le CRTC et l'intérêt public: le cas de CKVL-Info-Radio
»,
La Presse,
29 juin 1999, p. B2. >>
2. Nathalie Petrowski, «
Pour la suite du monde », La Presse, 29
juin 1999, B5. >>
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