Les facteurs politiques
J'ai souligné dans une chronique précédente (voir
DÉRÉGLEMENTER N'EST QU'UNE PREMIÈRE
ÉTAPE POUR VAINCRE LA POLLUTION, le QL no
1) comment la définition et l'application des droits
de propriété, une composante essentielle des économies
de marché, est un moyen efficace de combattre la pollution, car
lorsque les déchets d'un producteur affectent la propriété
d'un autre individu, ce dernier peut intenter une poursuite pour arrêter
les activités nuisibles. C'est d'ailleurs ce qui se produisit dans
la plupart des pays industrialisés au début du dix-neuvième
siècle, car en de nombreux endroits, des entreprises polluantes
situées en aval d'une rivière furent poursuivies par d'autres
producteurs en amont qui avaient besoin d'eau claire pour leur production.
Mais parce que certains producteurs étaient plus influents que d'autres,
nombre de politiciens entreprirent de « légaliser
la pollution » en la réglementant. L'auteur d'un
traité d'ingénierie civile du début du siècle
illustre bien le problème en rapportant les propos d'un fonctionnaire
belge sur les plaintes formulées par l'industrie des pêcheries:
It is, indeed, an exaggeration to demand, as has been done, a system
of purification so complete that water, having undergone treatment, shall
contain neither ammonia, sulphuric acid, nitrous acid, or any organic matter...
nor any organic ferment, nor « algae » or their
germs characteristic of impure water... In fact, the committee for the
improvement of fisheries have even insisted on the absence of anything
injurious to fish in purified effluents on their immediate issue from the
factory, and therefore undiluted. In this matter Dr. Weigelt remarks that
the income of German river fisheries amounts to eight million of francs,
whilst the value of products obtained by manufactures which give rise to
refuse water, is eight thousand millions. The same condition of affairs
must exist in Belgium(2).
« Si
le feu de la rivière Cuyahoga occupe une place de choix dans le
folklore environnementaliste contemporain, il reflète bien davantage
les défaillances du système politique que celles du libre
marché. »
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On entreprit donc dans plusieurs régions des économies avancées
de passer outre au respect des droits de propriété en adaptant
des législations spéciales au profit de grandes industries
qui transformèrent littéralement les rivières en «
égoûts de la nature » n'étant
pas assujetties aux poursuites civiles(3).
Ce fut notamment le cas de l'Ohio où l'on créa en 1951 le
Ohio Water Pollution Control Board (OWPCB). Bien que le libellé
du nouvel organisme ait semblé prometteur en déclarant illégale
la pollution des rivières de l'État, il contenait cependant
une clause spécifiant que la loi s'appliquait partout «
... except in such cases where the water pollution control board
has issued a valid and unexpired permit »(4).
Dans les faits, le OWPCB accorda des permis à toutes les entreprises
qui rejetaient leurs déchets dans des rivières déjà
polluées. Au début des années 1960, certaines entreprises
et individus intentèrent des poursuites contre les principaux pollueurs,
mais leurs tentatives échouèrent, car l'autorité du
OWPCB fut jugée prépondérante sur la common law.
Comme le remarqua le maire de Cleveland après l'incendie de 1969:
« We have no jurisdiction over what is dumped in
there... The state gives [industry] a license to pollute
»(5).
Malheureusement, bon nombre d'activistes environnementaux entreprirent
dès lors de promouvoir l'adoption de lois environnementales fédérales
(notamment le Clean Water Act de 1972) plutôt que de revenir
au principe de « strict liability
». Cette démarche ne fit au bout du compte que
déplacer le problème, car les réglementations fédérales,
en imposant l'adoption de certaines techniques et de niveaux tolérables
de pollution, « légalisèrent » tout
autant la pollution(6). Si le
feu de la rivière Cuyahoga occupe une place de choix dans le folklore
environnementaliste contemporain, il reflète toutefois bien davantage
les défaillances du système politique que celles du libre
marché.
1. Marian R. Chertow and Daniel
C. Esty (eds), Thinking Ecologically. The Next Generation
of Environmental
Policy, New Haven, Yale University Press, p. 1, 1997. >>
2. W. Naylor, Trade Waste:
Its Treatment and Utilisation. With Special Reference to the Prevention
of Rivers
Pollution, London, Charles Griffin and Company, p. 5, 1902. >>
3. Louis Blumberg and Robert
Gottlieb, War on Waste, Washington, Island Press, p. 7, 1989.
>>
4. Stacie Thomas, «
Cuyahoga Revisited », PERC Reports,
vol. 17, no. 3, p. 4, June 1999. >>
5. Idem. >>
6. Roger Meiners and Bruce Yandle,
« Common Law and the Conceit of Modern Environmental
Policy »,
George
Mason Law Review, vol. 7, no. 4, Summer 1999. >>
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