Plus d'un an après sa mise sur pied (voir DÉ(LIVRE)Z-NOUS
DU MARCHÉ, le QL, no
47), le Comité sur les pratiques commerciales dans le domaine
du livre, présidé par l'ex-syndicaliste Gérald
Larose, a déposé son volumineux rapport devant la ministre
de la Culture et des Communications du Québec, Agnès Maltais.
En tout, vingt-cinq recommandations qui visent
à protéger les librairies indépendantes et faire en
sorte qu'elles survivent l'ère de la globalisation des marchés
et des nouvelles technologies tout en demeurant « compétitives
». Ça ne sera pas la première fois qu'une poignée
de « représentants » élaborent entre
eux des scénarios qui auront inévitablement des répercussions
sur nos vies.
Prix
unique: revu et démoli
À part quelques resserrements de critères d'admission à
la très grande famille des librairies agréées et une
série de nouvelles mesures pour l'approvisionnement des établissements
d'éducation en livres, le comité Larose réclame de
nouveaux États généraux sur les impacts de la concentration
des médias sur la création et la diffusion des produits culturels,
l'abolition de la pratique de location des nouveaux livres dans les bibliothèques
publiques, la création d'un crédit d'impôt à
la consommation pour l'achat de livres en librairies agréées,
une vaste campagne nationale (sic) de promotion du livre et de la librairie
et... une réglementation de prix unique sur tous les livres vendus
au Québec, en français ou en anglais, durant leur année
de parution.
La question du prix unique refait surface à toutes les fois qu'il
est question du livre et de sa « survie ». Le
milieu de l'édition le réclame depuis des années dans
tous les bidules gouvernementaux qui se penchent sur le sujet. En 1998,
une analyse de l'impact des régimes de prix unique sur le marché
du livre avait été réalisée par l'économiste
Michel Leblanc puis présentée devant le Groupe de travail
sur la rentabilité et la consolidation des librairies. À
peine deux ans plus tard, M. Leblanc en réitère les conclusions.
Dans une lettre publiée récemment dans La Presse,
il se demande: « Comment peut-on ne pas comprendre que
s'il y a hausse des prix, il y aura baisse de la consommation? »(2)
Élémentaire!
Il poursuit: « Comment peut-on prétendre servir
le consommateur en haussant volontairement le prix du livre qu'il achète?
Tout simplement, affirme le comité, parce qu'il faut protéger
la petite et vulnérable librairie du grand méchant supermarché.
» La problématique est la suivante: « Si
on ne fait rien, la librairie perd les profits de la vente des best-sellers
et ne conserve que la vente des titres moins en demande. Incapable de s'ajuster,
la librairie doit alors fermer, ce qui à long terme réduit
les points de ventes des ouvrages moins en demande, et donc réduit
la diversité littéraire. Qui dit moins de diversité
dit moins de livres, moins d'auteurs, moins de richesse culturelle. En
fin de compte, affirme le comité, le consommateur en sort perdant.
»
Comme bien des raisonnements qui à première vue peuvent sembler
logique, celui-ci, affirme M. Leblanc, repose sur un argument
fallacieux: « La diversité littéraire
ne dépend pas du nombre de points de ventes, mais plutôt du
nombre et de la diversité des lecteurs. » Et
selon des statistiques entendues plus tôt cette semaine à
la radio de Radio-Canada, le nombre de livres lus par personne au Québec
était de 2,39 en 1997. Comme le souligne M. Leblanc, «
il y aura plus de lecteurs [au Québec] si on arrive à
abaisser le prix moyen du livre. » Pas si on le hausse.
Et hausse il y aura si Québec va de l'avant avec ce projet de prix
unique. En 1845, l'économiste Frédéric Bastiat (voir
ABONDANCE, DISETTE, p.
8) écrivait ces quelques lignes: « Les lois, qui devraient
être au moins neutre, prennent parti pour le vendeur contre l'acheteur,
pour le producteur contre le consommateur, pour la cherté contre
le bon marché, pour la disette contre l'abondance. [...] elles disent:
c'est le producteur qu'il faut favoriser en lui assurant un bon placement
de son produit. Pour cela, il faut en élever le prix; pour en élever
le prix, il faut en restreindre l'offre; et restreindre l'offre, c'est
créer la disette. »
« Le fait que les intervenants du milieu du livre reviennent constamment
à la charge avec ce concept de prix unique démontre à
quel point ils sont déconnectés de la réalité,
ils sont nuls en économie et ils se foutent éperdument du
consommateur. »
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M. Leblanc poursuit: « Dans une étude réalisée
pour le précédent groupe de travail mis sur pied par le gouvernement,
nous avions analysé, à partir des informations disponibles,
l'impact d'adopter un régime de prix unique. Nos conclusions étaient
limpides:
1.
Un régime de prix unique entraîne une hausse relative du prix
du livre. D'abord, le prix moyen payé par le consommateur augmente
automatiquement à la suite de l'élimination des rabais consentis
par les grandes surfaces. Ensuite, le prix unique décourage l'innovation
dans l'édition. Enfin, le prix unique isole le consommateur des
gains de productivité réalisés aux niveaux de la distribution
et de la vente au détail.[...]
2.
Un régime de prix unique ne protège pas les librairies traditionnelles
de l'érosion de leur part de marché. Par exemple, l'adoption
par la France d'un régime de prix unique, en 1981, a donné
un répit initial de cinq ans seulement aux librairies traditionnelles.
Leur part de marché a repris ensuite sa tendance à la baisse
[...]
3.
Un régime de prix unique ne limite pas la croissance de la part
de marché des grandes surfaces. Ces dernières s'appuient
sur une double stratégie: offrir au consommateur un cadre pratique
pour y effectuer ses achats non spécialisés et des prix plus
bas que dans les commerces spécialisés. Éliminer leur
avantage sur les prix ne réduit pas l'intérêt pour
le consommateur de profiter du côté pratique qu'offrent les
grandes surfaces. En outre, loin de réduire l'intérêt
de vendre des best-sellers dans les grandes surfaces, fixer un prix unique
vient au contraire hausser les marges bénéficiaires que retirent
les grandes surfaces de la vente de livres. Comme en France, elles élargiront
l'éventail des livres offerts sur leurs étagères.
4.
Enfin, un régime de prix unique n'assure pas une plus grande diversité
de la production littéraire. On dit souvent que la grande diversité
de la production littéraire per capita qu'a connu le Royaume-Uni,
lorsque comparée à celle des États-Unis, s'explique
par le régime de prix unique qui y a eu cours jusqu'en 1992. Ce
raisonnement attribue à la mouche ce qui revient au cheval. C'est
le grand nombre des lecteurs du Commonwealth et la force de la demande
de livre en anglais, notamment par les Américains, qui expliquent
cette production importante per capita. [...] »
Vase
clos
On le voit, dans le concret, le régime de prix unique est loin d'être
la solution. Le fait que les intervenants du milieu du livre reviennent
constamment à la charge avec ce concept démontre à
quel point ils sont déconnectés de la réalité,
ils sont nuls en économie et ils se foutent éperdument du
consommateur. S'ils avaient le lecteur à coeur, ils l'auraient consulté
lors des travaux du comité Larose. Or, comme d'habitude, ils ont
préféré faire ça entre eux – le comité
était formé de conseiller en gestion de la FQCMS, d'écrivaine
affiliée à l'UNEQ, de libraires affiliés à
l'ALQ, de membres de la SODEC, d'autres de l'ANEL, de l'ADELF, de l'ADP...
pas de lecteur à des kilomètres à la ronde.
Facile de se « donner » un marché quand
on est entre nous – et que la ministre est de notre bord! «
La librairie indépendante est considérée comme
le maillon clé de la chaîne du livre, celui qui permettra
au citoyen d'avoir accès à un inventaire plus riche que les
seuls best-sellers dont les Club Price de ce monde font leurs choux gras
» clamait récemment Paule des Rivières du Devoir(3).
Mais si une majorité de Québécois se plaisent à
consommer des best-sellers, et qu'un grand nombre d'entre eux préfèrent
se les procurer en grande surface, doit-on pénaliser toute une population
pour « aider » les quelques libraires qui refusent
de se plier aux nouvelles réalités?
Comme le soulignait Michel Leblanc, « Si les Québécois
veulent acheter leurs best-sellers en faisant leur épicerie, c'est
leur choix. S'ils sont à la recherche de bons prix, c'est leur droit
le plus absolu. » Ça semble évident! Les
libraires indépendants n'ont qu'à s'adapter aux changements.
Au lieu de cela, ils figent. Ils figent et crient « À
l'aide! » Plutôt que de faire comme tout le monde et
de constamment se réinventer, ils réclament qu'on coule leur
pratique dans le béton et qu'on les classe dans une catégorie
à part: les « espèces menacées
».
Peut-être qu'au fond, c'est Mario Roy de La Presse qui a la
solution: « Pourquoi ne pas aller au plus simple et
carrément nationaliser l'édition? »(4)
Au lieu de magasiner chez notre petit libraire du coin, ou à notre
mégalibrairie de banlieue (God forbid!), on achèterait
nos livres à la SLQ comme on achète notre porto à
la SAQ! Bien sûr, on payerait tous plus cher nos produits, on se
ferait servir par des fonctionnaires (Oh! ça sent la convention
collective et le moyen de pression) et on aurait droit à des spéciaux
du genre « À l'achat de 100 $ et
plus, obtenez un rabais de 10 $ » (autant dire qu'il
n'y en a pas du tout, mais bon...), mais au moins on pourrait dire que
« la SLQ, ça nous appartient! »
Pour ce que ça vaut...
1.
Extrait de l'introduction du Rapport
du Comité Larose sur les pratiques commerciales dans le domaine
du livre, 2000. >> |
2.
Michel Leblanc, « Qui voudrait d'un cartel du livre
au Québec? », La Presse, 21 octobre 2000,
p. A19. >> |
3.
Paule des Rivières, « Le prix du livre
», Le Devoir, 17 octobre 2000. >> |
4.
Mario Roy, « Livre: Pourquoi ne pas nationaliser?
», La Presse, 18 octobre 2000, p. A26. |
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