Montréal, 14 avril 2001  /  No 81
 
 
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LE
DÉFERLEMENT
DE L'ÉTAT
  
Les dépenses publiques au Canada, en pourcentage du PIB:
   
1926           15%  
   
1948           21%  
   
1966          30%  
   
1996         46%  
   
(Source: Statistique Canada) 
 
 
 
 
MOT POUR MOT
  
LES CAUSES DE LA RÉCESSION - 3
 
 
          L'Amérique du Nord est entrée à la fin de 2000 dans une période de ralentissement économique qui devrait conduire à une récession dans les mois qui viennent. 
  
          Pourquoi donc les récessions économiques surviennent-elles? Les théories les plus farfelues et incohérentes circulent sur le sujet, aussi bien chez les profanes que chez les économistes. Pour certains, ce sont les chutes de la bourse qui provoquent la récession; pour d'autres, une baisse de confiance de la part des consommateurs ou des salaires trop bas; pour d'autres encore, la spéculation ou les changements technologiques trop rapides – ou trop lents! Aucune de ces théories ne tient la rampe. 
  
          Côté solution, le remède keynésien qui a longtemps été prescrit – et qui est malheureusement encore mis en oeuvre au Japon avec des résultats désastreux – est de tenter de relancer l'économie avec des programmes de dépenses et une politique monétaire laxiste. Le keynésianisme est moins à la mode aujourd'hui, mais la théorie monétariste qui domine maintenant prescrit toujours la méthode d'une relance par l'inflation (voir LET THE RECESSION RUN ITS COURSE). 
  
          La seule explication économique qui se démarque nettement de toutes ces formules d'alchimie est la théorie des cycles de l'École d'économie autrichienne. Cette théorie, développée il y a 80 ans par l'économiste le plus brillant du 20e siècle, Ludwig von Mises, s'appuie sur un constat: toutes les récessions sont précédées d'un boom qui découle d'un gonflement artificiel du crédit et de la masse monétaire. Pendant le boom, les investissements irréalistes se multiplient et mènent à une distorsion générale des prix et de l'activité économique. La récession survient parce que ces investissements non rentables doivent nécessairement être liquidés. 
  
          Selon la théorie autrichienne, la récession est une phase inévitable de rééquilibrage avant que la croissance puisse reprendre. Tenter de l'empêcher par des programmes de dépenses ou une baisse des taux d'intérêt, comme le proposent keynésiens et monétaristes, ne peut que la prolonger en ralentissant le processus nécessaire de liquidation, tout en créant de nouveaux malinvestissements. La solution, cohérente avec l'approche libertarienne en général, est simplement de ne pas intervenir et de laisser le marché retrouver son équilibre. À plus long terme, la meilleure façon d'éviter les récessions est d'abolir les créatures étatiques que sont les banques centrales et de privatiser la monnaie en l'ancrant dans un étalon comme l'or, ce qui rendra toute manipulation impossible. 
  
          Dans son livre America's Great Depression, l'économiste Murray Rothbard applique la théorie des cycles autrichienne à la fameuse crise des années 1930. Dans cet extrait et d'autres qui suivront dans les prochains numéros, il explique de façon claire et relativement simple la logique de l'approche développée par Mises.
 
 
Numéros précédents: 
Les cycles et les fluctuations de l'activité économique 
Boom et dépression 
 
 
 
POURQUOI LA DÉPRESSION SE PROLONGE
 
 
          Puisqu'il faut de toute évidence très peu de temps pour que les nouveaux fonds s'écoulent des emprunteurs corporatifs vers les facteurs de production, pourquoi alors tous les booms ne prennent-ils pas fin rapidement? La raison en est que les banques viennent à la rescousse. Voyant les facteurs de production leur échapper à cause d'une demande plus élevée de l'industrie des biens de consommation, se rendant compte que leurs coûts augmentent et qu'ils se retrouvent à court de liquidités, les emprunteurs corporatifs se tournent de nouveau vers les banques. Si celles-ci accroissent encore plus la quantité de prêts, elles peuvent maintenir les emprunteurs à flot. Les nouveaux fonds affluent et permettent encore une fois de détourner les facteurs de production des industries qui produisent des biens de consommation à celles qui produisent des biens d'équipement. 
  
          En bref, l'expansion continue du crédit bancaire permet aux emprunteurs de repousser toujours plus loin le moment où ils subiront le jugement des consommateurs. C'est en effet en cela que la crise et la dépression consistent: la restauration par les consommateurs d'une économie plus efficace et la fin des distorsions créées par le boom. Il est clair que plus l'expansion de crédit aura été importante et aura duré longtemps, plus le boom se prolongera. Le boom prendra fin lorsque les banques cesseront d'augmenter la quantité de prêts. Évidemment, plus le boom s'étire, plus il y aura d'erreurs gaspilleuses de ressources commises, et plus les réajustements nécessaires de la dépression seront longs et sévères.  
  
          L'expansion du crédit bancaire met ainsi en mouvement le cycle de l'activité économique dans toutes ses phases – le boom inflationniste marqué par l'expansion de la masse monétaire et par les malinvestissements; la crise, qui arrive lorsque le crédit cesse de croître et lorsque les malinvestissements deviennent évidents; et la dépression salutaire, le nécessaire processus de réajustement par lequel l'économie revient aux façons les plus efficaces de satisfaire les désirs des consommateurs.  
  
          Quelles sont les caractéristiques essentielles d'une phase de redressement économique? Les projets gaspilleurs de ressources doivent, comme on l'a vu, être soit abandonnés soit utilisés au meilleur de leur capacité. Les entreprises inefficaces qui ont été soutenues artificiellement par la lancée du boom doivent ou bien être liquidées, ou bien se départir de leurs dettes, ou encore être remises à leurs créanciers. Les prix des biens de production doivent baisser, en particulier dans les stages les plus élevés de la production – ce qui comprend les biens d'équipement, les terrains et les salaires. De la même façon que le boom a été marqué par une chute du taux d'intérêt, i.e. des écarts de prix entre les différents stages de la production (le « taux originaire » ou encore le taux de profit courant), la reprise verra une hausse des écarts. En pratique, cela se traduit par une chute des prix des biens dans les stages supérieurs de la production relativement aux prix dans les industries de biens de consommation. Ce sont non seulement les prix de certaines machines qui doivent baisser, mais aussi ceux de certains types de capitaux dans leur entièreté, par exemple les actions en bourse et les valeurs immobilières. En fait, ces valeurs doivent baisser proportionnellement plus encore que les bénéfices que rapportent les actifs de façon à refléter la hausse générale du taux d'intérêt. 
  
          Puisque les facteurs doivent être déplacés des stages élevés de la production à ceux qui sont plus près de la consommation, il y aura un chômage « frictionnel » inévitable lors d'une dépression, mais il n'y a aucune raison pour qu'il soit plus grand que lors d'autres déplacements importants dans la production. En pratique, le chômage sera aggravé par les faillites nombreuses et les investissements erronés qui seront révélés, mais il n'a pas besoin d'être autrement que temporaire. Plus les ajustements seront rapides, plus le chômage sera passager. Le chômage dépassera le stade de « frictionnel » et deviendra vraiment sévère et permanent uniquement si les salaires sont maintenus artificiellement élevés. Si les salaires sont maintenus au-dessus du niveau où l'offre et la demande de main-d'oeuvre sont comblées dans un marché libre, alors des travailleurs resteront sans emploi en permanence. Plus la distorsion est importante, plus le chômage sera sévère.  
  
          (...) 
  
Les politiques à adopter   
  
          Si le gouvernement souhaite voir la dépression prendre fin aussi vite que possible et l'économie retourner à son degré habituel de prospérité, quelle ligne de conduite doit-il adopter? La recommandation la plus claire et cruciale est celle-ci: ne pas entraver le processus normal d'ajustement du marché. Plus le gouvernement intervient pour retarder l'ajustement du marché, plus la dépression sera longue et dévastatrice, et plus le chemin vers un redressement complet sera difficile. Les bâtons dans les roues qu'apporte le gouvernement ne font qu'aggraver et étirer la dépression. Malgré cela, les politiques adoptées par les gouvernements lors des dépression ont toujours aggravé les maux mêmes qu'elles visaient à solutionner. En fait, si on fait une liste systématique des différentes politiques qu'un gouvernement peut adopter pour entraver l'ajustement du marché, on verra qu'il s'agit précisément de l'arsenal de politiques « antidépression » que favorisent les politiciens.  
  
  
     « Si on fait une liste systématique des différentes politiques qu'un gouvernement peut adopter pour entraver l'ajustement du marché, on verra qu'il s'agit précisément de l'arsenal de politiques "antidépression" que favorisent les politiciens. » 
 
 
          Voici donc comment les gouvernements peuvent entraver le processus de réajustement: 
1) En empêchant ou retardant la liquidation. Les prêts à des entreprises défaillantes, les appels aux banques pour qu'elles continuent à prêter, etc., feront en sorte d'empêcher ou de retarder la liquidation des investissements irréalistes et non rentables.  
  
2) En créant plus d'inflation. La poursuite de politiques monétaires inflationnistes bloquera la nécessaire chute des prix, empêchant ainsi les réajustements et prolongeant la dépression. Une expansion additionnelle de crédit engendre encore plus de malinvestissements qui, à leur tour, devront être liquidés dans une dépression subséquente. Une politique d'argent facile empêche le retour nécessaire à de hauts taux d'intérêt sur le marché des prêts.  

3) En maintenant les salaires élevés. Garder les salaires artificiellement élevés pendant une période de dépression économique garantit la persistance d'un chômage massif. Qui plus est, s'il y a déflation et que les prix baissent, maintenir le même niveau de salaire implique en fait que les niveaux réels de revenu sont à la hausse. Dans une situation où la demande des entreprises est à la baisse, cela aggrave énormément le problème du chômage.  
  
4) En maintenant des prix élevés. Une politique de soutien des prix au-dessus de leur niveau naturel dans le marché engendrera des surplus impossibles à écouler et bloquera le retour vers une prospérité à long terme. 
  
5) En stimulant la consommation et en décourageant l'épargne. Nous avons vu comment un épargne accrue et une diminution de la consommation pourraient accélérer la reprise économique; inversement, une consommation accrue et une diminution de l'épargne auront pour effet d'aggraver le manque de capital réel à investir encore plus. Le gouvernement encourage la consommation en mettant en place des programme de « bons d'alimentation » ou de secours aux désoeuvrés. Il décourage l'épargne et l'investissement en augmentant les impôts, en particulier pour les plus riches, les entreprises et sur les successions. En fait, toute augmentation de l'imposition et des dépenses du gouvernement découragera l'épargne et l'investissement et stimulera la consommation, puisque les dépenses du gouvernement sont entièrement consacrées à la consommation. Une partie des fonds privés aurait été épargnée et investie; tous les fonds publics sont cependant dépensés pour la consommation. Ainsi, toute augmentation relative du poids de l'État dans l'économie modifiera le ratio consommation/investissement en faveur de la consommation et contribuera à prolonger la dépression.  
  
6) En subventionnant le chômage. Toute forme de subvention du chômage (au moyen de l'« assurance » chômage, de fonds de secours pour les sans emploi, etc.) fera en sorte de prolonger le chômage indéfiniment et de retarder le transfert des travailleurs vers les domaines où des emplois sont disponibles. 

          Ces mesures sont donc celles qui retarderont le processus de relèvement économique et qui aggraveront la dépression. Elles figurent pourtant parmi les politiques favorites des gouvernement lors des situations de crise et ce sont elles qui ont été adoptées lors de la dépression de 1929-1933. 
  
  
Extrait de Murray Rothbard, America's Great Depression, 1963, p. 20-21, 25-27. 
(traduit par Martin Masse) 
 
Prochain numéro: Comment éviter les dépressions 
  
  
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