Des
routes plus meurtrières?
Nous le savons tous: les routes de France sont parmi les plus meurtrières.
Les journaux télévisés n’en finissent pas d’égrener
les morts. Les médias, qui nous offrent chaque jour leur «
réalité » fictive (voir à ce sujet BIAS:
COMMENT LES MÉDIAS DÉFORMENT LA RÉALITÉ,
le QL, no 106), ne nous épargnent
jamais le rituel macabre d’une comptabilité des morts de la route
à l’occasion des départs et des retours de vacances, les
fameux « chassés croisés » objet de l’attention
paternaliste de Big Brother. Cette comptabilité est fallacieuse:
le bon critère serait de mesurer le nombre d’accidents par kilomètre
parcouru. Or ce nombre peut diminuer même en l'absence de limitation
de vitesse comme le montre Pascal Salin dans Libéralisme:
En réalité, les faits nous apportent essentiellement cet
enseignement: le nombre d'accidents (mortels ou non mortels) varie généralement,
dans un pays donné, au cours d'une période durant laquelle
on a décidé soit d'introduire des limitations de vitesse,
soit de modifier celles qui existaient (et la variation n'est pas nécessairement
dans le sens de la baisse). Mais il varie également, et dans des
proportions semblables, lorsqu'aucune modification des limitations de vitesse
n'a lieu. C'est bien dire que les accidents s'expliquent par un certain
nombre de facteurs qui n'ont rien à voir avec la vitesse. (p. 298)
[...] En essayant de comprendre comment un accident peut se produire, nous
nous sommes rendu compte que ce n'était pas la vitesse absolue qui
était dangereuse, mais la vitesse relative. Les risques d'accident
seront d'autant plus nombreux que les véhicules circulant sur une
voie donnée auront des vitesses plus différentes les unes
des autres. [...] Il est alors tout à fait intéressant de
noter que les raisonnements présentés ci-dessus sont parfaitement
corroborés par une étude sérieuse des accidents de
la route. Comme l'écrit Charles A. Lave, professeur à l'Université
de Californie à Irvine et auteur d'études économétriques
sur ce problème(1):
« Il n'y a pas de relation statistiquement discernable
entre le taux d'accidents mortels et la vitesse moyenne, mais il existe
une relation forte avec la variance de la vitesse [c'est-à-dire
un indice du caractère plus ou moins variable d'un phénomène].
Quand la plupart des voitures circulent à peu près à
la même vitesse, qu'il s'agisse d'une vitesse élevée
ou faible, le taux de mortalité est faible... La variabilité
tue, pas la vitesse. » (p. 305)
Une bonne information sur l'état de la route et de la circulation
constitue aussi un des facteurs prépondérants dans la diminution
des accidents. Mais non! Il faut désigner un coupable facile: ce
sera la vitesse. Ne faut-il pas que le gouvernement et les médias
à sa botte « fassent quelque chose »?
« Du moment que c’est pour éviter des morts,
c’est très bien » acquiesce benoîtement
une mère de famille réagissant à chaud au micro tendu
par un journaliste en service commandé. La brave dame ne pouvait
que répondre de manière irréfléchie, prise
au piège du micro-trottoire, cet outil de propagande des médias.
Individus
statistiques et crimes sans victimes
Pour l’État notre berger il convient d’abord d’inventer de nouveaux
concepts car le pouvoir impose la forme que doit avoir à la réalité
en inventant un vocabulaire (le novlangue de l’État) ou en détournant
le sens des mots. Ainsi ce n’est pas la chose qui préexiste au mot,
mais le mot qui crée la chose, ceci en bonne logique totalitaire
(d’où la criminalisation des mots et de l’expression des pensées
déviantes par l’État car, selon cette logique les mots «
créent » aussi des actes, mais c’est une autre question).
Ainsi surgissent quelques nouvelles expressions du novlangue sécuritaire
destiné à criminaliser les comportements. Par exemple un
automobiliste ou un motard qui roule à 160km/h sur une autoroute
déserte est devenu un « délinquant de
la route », un « criminel »
alors qu'il n'a causé aucun dommage, qu'il n'a porté tort
aux droits de personne – les Allemands doivent se réjouir de l’existence
des frontières car la vitesse n’est pas limitée sur leurs
autoroutes; quel peuple « délinquant »!
Bref, le caractère criminel n’est plus fondé objectivement
par la constatation d’une agression qui exige réparation mais simplement
sur le principe que « la vitesse tue ».
La vitesse tue? Admettons un instant cette hypothèse. Mais à
partir de quelle valeur? L’Assemblée nationale a décrété
qu’à 130km/h sur autoroute la vitesse ne tue pas mais par contre
à 131 km/h l’automobiliste, quelles que soient les conditions réelles
de la circulation, devenait un délinquant et un criminel en puissance
(en réalité on accorde une marge de 10% environ, par «
mansuétude » et surtout à cause des incertitudes
de la mesure par les radars). Les critères objectifs de la criminalité
ont été effacés au profit de critères purement
administratifs, fondés sur des statistiques et sur le postulat que
les usagers des routes forment un troupeau de bestiaux irresponsables.
On ne juge plus des actes individuels, on gère une masse de têtes
de bétail. Pour l’État, les individus n’ont qu’une existence
statistique. En gérant les individus comme des statistiques, les
hommes de l’État accomplissent la logique du collectivisme, la responsabilité
personnelle s’efface au profit d’une responsabilité collective et
génère l’injustice et la mentalité d’esclave.
Boîtes
noires et tickets mouchards
La nature de l’action d’un gouvernement peut se décrire de la manière
suivante. Son action est toujours constructiviste. Si l’objectif est de
diminuer statistiquement un phénomène, le gouvernement agit
sur un des facteurs. Il fait donc voter une « loi »
purement discrétionnaire pour manipuler les comportements et façonner
le monde à l’aune de ses valeurs. En général, le gouvernement
ne maîtrise pas les effets secondaires, souvent plus graves que le
mal et qui nécessitent une nouvelle intervention de l’État(2).
Mais un épais brouillard pèse sur les véritables causes
de ces interventions: ce n’est pas le problème identifié
(les morts sur les autoroutes) mais les interventions précédentes
de l’État et surtout la substitution de la législation au
Droit.
« Les critères objectifs de la criminalité ont été
effacés au profit de critères purement administratifs, fondés
sur des statistiques et sur le postulat que les usagers des routes forment
un troupeau de bestiaux irresponsables. » |
|
Le Droit, c’est les droits de propriété. La législation,
c’est le caprice gouvernemental. Toute atteinte au Droit par la législation
engendre un peu plus d’irresponsabilité, d’injustice, d’inefficacité
et conduit finalement au totalitarisme. Voyons cela avec la dernière
trouvaille des étatistes placés sous la houlette de Raffarin.
Cette idée à faire pâlir d’envie les anciens soviétiques
consiste à installer par la force des baïonnettes (comprenez
la législation à laquelle nul ne peut légalement échapper
mais qui n’est pas consentie pour autant) une boîte noire dans votre
propriété, votre voiture (mais l’installation indolore se
fera dans les ateliers du constructeur, c’est comme les impôts à
la source!). Idée connexe: « les "tickets mouchards"
indiquant le temps écoulé entre deux péages: le ticket
préciserait si la distance a été parcourue à
plus de 130 km/h et permettrait de verbaliser immédiatement l'automobiliste(3).
»
Ce n’est pas l’idée en soi qui est critiquable, c’est son caractère
coercitif. Il n’y a pas de moyens d’échapper à cette surveillance
d’État car les autres solutions qui auraient pu être expérimentées
sur un hypothétique marché libre du réseau routier
sont de fait interdites. La mère de famille peut dire: «
du moment que c’est pour diminuer le nombre de morts sur les routes,
c’est bien ». Et qui ne raisonnera pas ainsi? D’un côté
des morts, de l’autre une contrainte minime.
Assurances
libres ou réglementation?
Ce que je mets en cause c’est la prémisse de ce raisonnement à
savoir que l’État serait en droit d’imposer ses solutions pour résoudre
les problèmes liés aux comportements dangereux de certains
automobilistes. À quoi il faut répondre, d’une part, que
toute loi qui outrepasse la conservation des droits de propriété
et le respect des contrats place les citoyens dans un état de servitude
et d’esclavage. En effet le législateur qui oblige, de manière
non contractuelle (pléonasme utile!), les gens à adopter
un comportement particulier ou à agir d’une certaine manière
déclare implicitement un droit de propriété sur eux.
Esclavage!
D’autre part, en plus de la coercition, le seul moyen de savoir quelle
est la meilleure solution au problème de la « délinquance
routière » est de responsabiliser les automobilistes
par le moyen des contrats d’assurance: une solution de marché libre
qui, si elle avait été permise plus tôt, n’aurait pas
laisser émerger « l’insécurité
routière », insécurité à
mettre au compte de l’action étatique encore une fois.
Certaines compagnies d’assurance peuvent proposer de baisser leurs primes,
dans la mesure où elles peuvent diminuer leur risque si les clients
acceptent l’installation d’une boîte noire contrôlant la vitesse
du véhicule en continu. Ces clients seraient par exemple des gens
qui, par leur mauvaise conduite sur la route, ont causé trop d’accidents
pour trouver une compagnie d’assurance qui les acceptera. Situation tout
à fait réaliste qui a déjà été
expérimentée en Allemagne. Ainsi, la solution de marché
permettra la coexistence d’un grand nombre de types de contrat d’assurance
qui convergeront vers une sécurité accrue sur les routes,
par le simple respect mutuel des engagements contractuels, ce qui est l’intérêt
« égoïste » de chacun! Absence totale
de coercition et de servitude.
Que se passe-t-il si l’État se mêle des contrats d’assurance
ou s’il impose uniformément sa « solution »?
Par exemple si l’État rend l’assurance obligatoire et impose aux
compagnies assurances des clauses et des tarifs sous le prétexte
de « protection du consommateur »
et de la « concurrence »(4),
il est évident qu’exlosera le risque moral(5),
c’est-à-dire l’irresponsabilité des assurés qui vont
consommer du risque comme on consomme des petits pois (voir la surconsommation
des services de santé engendrée par la sécu). C’est
en grande partie ce risque moral, dû à l’ingérence
de l’État dans la mécanique de précision des assurances,
qui est responsable de cette insécurité routière devenue
cause nationale depuis...longtemps!
Il n’est pas besoin de chercher bien loin pourquoi les morts s’amoncellent
sur les routes de France. Le soupçon naît déjà
de la corrélation entre la montée continue de l’étatisme
et l’explosion du risque moral dans tous les espaces publics «
sécurisés » par l’État. Quant à
la démonstration, je pense en avoir donné un aperçu.
Pour une analyse détaillée il faut lire le chapitre «
La liberté de rouler » du livre de Pascal
Salin.
1.
Charles Lave, « Speeding, Coordination, and the 55-mph
Limit », American Economy Review, Décembre
1985. Cité par Pascal Salin, Libéralisme, Odile Jacob,
2000, p. 305. >> |
2.
« La théorie d'après laquelle le politicien procède
habituellement, c'est que le changement opéré par sa mesure
s'arrêtera au point où il veut qu'il s'arrête. [...]
Il ne songe guère aux effets éloignés. [...] Les législateurs
qui, en 1883, votèrent 20 000 livres pour aider à
construire des maisons d'école, ne supposaient pas que la mesure
alors prise dût amener des contributions forcées, locales
et générales, s'élevant maintenant à la somme
de six millions de livres; ils n'avaient pas l'intention d'établir
le principe qu'A serait rendu responsable de l'instruction des enfants
de B; [...] ils pensaient encore moins que leurs successeurs, en obligeant
les parents indigents de s'adresser aux administrateurs du bien des pauvres
pour payer la rétribution scolaire dont les comités scolaires
exigeaient le paiement, feraient naître l'habitude de s'adresser
à ces mêmes administrateurs et créeraient ainsi le
paupérisme. » Herbert Spencer, «
L'esclavage futur », dans Le droit d'ignorer l'État,
Les Belles Lettres, Paris, 1993. Spencer n'a pas vécu assez longtemps
pour assister à la justification de cette « ingénierie
sociale » catastrophique par un collectivisme parfaitement
assumé et revendiqué (la « solidarité
»). >> |
3.
Pascal Ceaux et Sylvia Zappi, « Le gouvernement décide
la création d'une police dédiée à la sécurité
routière », Le Monde, 23 juillet
2002. >> |
4.
La « concurrence » protégée par
l'État est en fait une utopie illusoire et néfaste qui est
la négation de la concurrence réelle. La « concurrence
pure et parfaite » des hommes de l'État est une
idéologie qui justifie son intervention perpétuelle et qui
consiste à vouloir uniformiser les produits et les prix. Il n'y
aurait alors plus de profits, bon moyen de mettre le capitalisme «
au service du peuple » et de ruiner la civilisation
car sans profits et sans recherche de différentiation il n'y a plus
d'incitation à produire. La concurrence « pure
et parfaite » est donc, en un sens, le moyen de faire
sombrer les économies européennes pour aboutir au socialisme
intégral ou... à la révolution libérale. Je
ne suis pas comme mes adversaires marxistes: je ne souhaite pas la politique
du pire pour qu'advienne le grand soir de la liberté. Mieux vaudrait
réagir avant pour éviter la ruine plutôt que de reconstruire
dessus. >> |
5.
Certes un système d'assurance se traduit toujours par une prise
en charge collective des risques – ce que l'on appelle le «
risque moral » – et donc par une atténuation
de la responsabilité individuelle: on fait supporter par autrui
les conséquences de ses propres actes. Mais c'est le rôle
d'une compagnie d'assurance de rechercher les moyens d'atténuer
ce phénomène, par exemple en proportionnant la prime aux
risques encourus. Ainsi, au lieu d'interdire de rouler sans avoir mis sa
ceinture de sécurité, il est préférable de
faire payer davantage ceux qui ne la portent pas. Certes, le problème
du contrôle de l'engagement contractuel du conducteur se pose toujours,
mais différents moyens peuvent être utilisés pour le
résoudre. On peut, entre autres solutions, imaginer qu'une compagnie
d'assurances refuse de payer les dommages si le conducteur a eu un
accident et qu'il n'avait pas mis sa ceinture de sécurité.
Mais de toute manière, il y a là un problème d'arrangement
personnel entre la compagnie et l'assuré et non un problème
de sécurité collective. (P. Salin, p. 327) >> |
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Voir:
L
’insécurité routière: mythes et réalité
par Bertrand Lemennicier, août 2002. |
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