Montréal, 12 avril 2003  /  No 123  
 
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Jasmin Guénette est étudiant à la maîtrise à l'Université du Québec à Montréal.
 
LES AVENTURES DE LUC CYR
La Naissance d'Amélie (no 119)
Luc Cyr et le permis de parent (no 117
Québec, 2012: Petit conte libertarien (no 116)
 
LES AVENTURES DE LUC CYR
 
BESOIN DE VACANCES, SAUF QUE...
 
par Jasmin Guénette
 
 
7 mai 2020 
  
          Ça fait maintenant trois mois que Sophie m'a quitté. Elle ne pouvait plus endurer d'être talonnée par les autorités du PPP et s'est prévalue du droit à l'assistance maternelle. Cette loi prévoit que, si une mère veut quitter son mari jugé délinquant (ce qui, dans mon cas, n'as pas été très difficile à prouver), elle sera aidée dans sa démarche par le Centre d'aide à la femme du Québec. Dans ce cas, des fonctionnaires visitent la mère et l'enfant trois fois par semaine avec le Petit guide de la mère patriotique. Chaque visite correspond à une page du guide. C'est donc dire que Sophie aura droit à 650 visites. Pour ma part, je peux visiter ma fille, mais seulement quand les fonctionnaires sont présents – incluant un garde de sécurité.  
  
          Évidemment, je suis complètement dévasté, moi qui crois n'avoir pourtant pas fait de choses bien répréhensibles. Pour me changer les idées, je décide de faire le voyage qui m'as toujours tenté: un grand tour du Québec à bicyclette. Bon, un grand tour, faudrait pas exagérer, mais je compte bien partir de Montréal pour me rendre jusqu'à Gaspé, y faire une courte escale de quelques jours et revenir à la maison. Mais je dois avant tout m'acheter une nouvelle bicyclette, car ma veille bécane ne tiendra pas le coup.
 
12 mai 2020 
  
          Les nouveaux vélos sont incroyables, je peux le confirmer, moi qui en possède un qui date de 1998. Le vendeur de la boutique me suggère le RDA 300 de la compagnie Mirallo;  
    Vendeur: C'est un vélo ultra-léger en aluminium brossé 36 vitesses. Très résistant et démontable, donc facile à ranger en voyage.
          Après de longues minutes de discussion, je décide d'acheter la bicyclette. Je n'ai jamais acheté de vélo neuf. Tous mes vélos m'ont été donnés, sauf les usagés que j'ai pu me procurer pour presque rien.  
  
          J'arrive au comptoir et à ma grande surprise je dois remplir un formulaire. Le vendeur m'explique que de plus en plus d'accidents se produisent à bicyclette et que Vélo-Québec, par mesure de sécurité, tient un registre de tous les vélos vendus. Puis, comme le gouvernement est en pleine crise budgétaire, c'est aussi une façon d'éviter que les commerçants ne déclarent qu'une partie de leurs ventes. 
  
          Ah bon, je me mets donc au boulot et commence à remplir le formulaire, qui, à ma seconde grande surprise, n'est pas très long. Des questions pour savoir l'utilité que je prévois faire du vélo, la date de fabrication de mon dernier vélo, etc. Je me dis que c'est bien la première fois que je tombe sur un formulaire qui ne me mettra pas dans le trouble. Le vendeur examine le formulaire et me dit que tout semble conforme. 
  
          Maintenant, me dit-il, nous allons du côté des casques qui sont obligatoires lorsqu'une personne achète un vélo neuf. Sécurité-Québec, l'organisme mandaté par le PPP pour sécuriser les activités récréatives et touristiques suivant les recommandations d'experts en la matière, a rendu obligatoire le port du casque.  
  
          Quelques minutes plus tard, je passe à la caisse pour finaliser mes achats et pouvoir enfin partir à l'aventure. Me voilà au comptoir avec mon vélo et mon casque. 
    Vendeur: Le montant total, mon cher monsieur, est de 2 137.48 $. 
      
    Moi: Combien? 
      
    Vendeur: 2 137.48 $, monsieur. 
      
    Moi: Mais je croyais que le vélo était 1 450 $ et le casque, 200 $. 
      
    Vendeur: Exactement. Le reste du montant ce sont les taxes. 
      
    Moi: Quel est le pourcentage des taxes? 
      
    Vendeur: Un peu plus de 25%, monsieur. Tous les produits qui sont jugés « récréatifs » ou « de loisirs »  font l'objet d'une surtaxe, puisqu'ils ne sont pas classés « produits essentiels ». Ça fait déjà quelques mois que tout cela est en vigueur, vous n'êtes pas au courant? 
      
    Moi: J'ai passé les deux dernières années dans un petit village perdu de la Nouvelle-Écosse. Et depuis mon retour, je ne sors pas beaucoup. Mais cette surtaxe ne vous dérange pas?  
      
    Vendeur: Au début, ça nous dérangeait. Mais les responsables du PPP nous ont bien fait remarquer tous les bienfaits pour l'ensemble de la communauté. Les gens sont aujourd'hui beaucoup plus en forme que par le passé puisque l'argent récolté avec cette surtaxe sert à financer des programmes, dont « Québec en forme ». Il faut dire aussi que de nouveaux projets très intéressants sont à venir. Je le sais, mon frère est conseiller pour le député Robitaille – le ministre des Loisirs. Cela devrait nous aider, nous les détaillants de produits de sport et loisir. 
      
    Moi: Des nouveaux projets?! 
      
    Vendeur: Oui, oui, des nouveaux projets.  
      
    Moi: Comme quoi? 
      
    Vendeur: Bien, mon frère à été mandaté pour mettre en place, d'ici trois ou quatre mois, un projet pilote pour s'assurer que les gens de la grande région de Montréal ne puissent dépasser de plus de 35 livres leur poids santé. Mon frère me disait que l'État dépense chaque année plusieurs milliards de dollars seulement pour soigner les gens qui ont un problème de poids. Moi, je suis en faveur d'une telle mesure parce que, si les gens doivent rester en santé, ils devront faire du sport et viendront donc ici pour acheter les produits nécessaires... Nous devons aider les gens qui ne peuvent pas s'aider eux-mêmes. Ça nous coûte très cher vous savez pour soigner les malades. Il faut donc faire de la prévention. Et puis, ce sont de bonnes idées, personne n'est opposé à la bonne forme physique des gens. 
      
    Moi: Vous ne croyez pas que les gens sont capables de s'occuper de leur santé eux-mêmes? 
      
    Vendeur: Pas du tout. La société est responsable de la plupart des problèmes que les individus vivent. Par exemple, dans le cas des gens qui ont un problème de poids, c'est la disponibilité des produits qui cause l'embonpoint. Il faut donc des lois qui contraignent les utilisateurs futurs. La manière de faire cela est de réglementer pour prévenir les abus possibles.  
      
    Moi: Vous croyez? 
      
    Vendeur: Oui, bien sûr. Vous connaissez Lise Mainville? C'est une militante qui écrit souvent dans les journaux. Bien, pour elle – et je crois que c'est vrai –, nous devons éviter à tout prix de nous laisser tenter par le piège de l'individualisme. En ce sens, je crois que le travail du PPP est plus que satisfaisant. Depuis son élection, des lois raisonnables ont été mises en place pour protéger les gens et éviter les abus. Vous souvenez-vous, il y a à peine 10 ans, on pouvait encore aller prendre une bière dans les clubs de strip-tease alors qu'on savait tous que les filles qui y travaillaient étaient des esclaves, sans possibilité de s'en sortir? Ce problème en était un « de société » car les lois n'empêchaient pas les hommes majeurs d'y aller. Depuis que ce genre d'établissement a été classé « illégal », les femmes n'ont plus à craindre de tomber sous le joug d'un exploiteur sans reproche qui ne voudrait que faire de l'argent sur leur dos. Le gouvernement a une énorme responsabilité, il doit légiférer sur l'ensemble des activités pour s'assurer que la vérité et la rationalité triomphent.  
      
    Moi: Mais toutes ces lois vous gênent, non? Elles vous empêchent de vivre selon ce que vous croyez être bon pour vous? 
      
    Vendeur: Pas du tout. Les lois me protègent, les lois protègent ma famille, mes amis, mon voisin. Plus il y a de lois, plus je suis en sécurité. De toute façon, vous imaginez une société où tout le monde pourrait faire ce qu'il veut? Ça serait complètement anarchique. 
      
    Moi: C'est ce que dit Lise Mainville? 
      
    Vendeur: C'est ce que dit Lise Mainville et c'est ce que fait le Parti patriotique populaire.  
      
    Moi: Donc, il n'y a pas lieu de s'inquiéter et, surtout, il faut laisser ces gens qui savent ce qui est bon pour la société la réglementer pour notre bien? 
      
    Vendeur: Je n'aurais pas su le dire mieux. Mais assez de politique, est-ce que vous achetez ce vélo mon cher ami? 
      
    Moi: Vu le montant que tout cela me coûte, je crois que je vais y réfléchir. Merci beaucoup.
 
     « Si des personnes croient qu'il faut faire la promotion du vélo ou de la bonne forme physique, ils pourraient le faire sans pour autant obliger ceux qui n'y croient pas à en faire autant. Les militants politiques du PPP se croient investis d'une mission et veulent imposer leurs visions du bien-être et de la justice à tous. »
 
16 juin 2020 
  
          Mes plans ont changés depuis deux semaines. Cette surtaxe m'empêche de m'acheter un vélo. Et ce vendeur qui n'y voit rien de mal, c'est à n'y rien comprendre. Pourquoi les gens sont-ils obligés de payer pour des programmes qui leurs semblent farfelus? Si des personnes croient qu'il faut faire la promotion du vélo ou de la bonne forme physique, ils pourraient le faire sans pour autant obliger ceux qui n'y croient pas à en faire autant. Les militants politiques du PPP n'en n'ont que pour leurs préjugés. Ils se croient investis d'une mission et veulent imposer leurs visions du bien-être et de la justice à tous. Ils ont pour cela une bonne recette, celle de la justice et de la sécurité sociale.  
  
          Grâce à ce concept, il est plus facile de faire croire aux gens que toutes ces questions les concernent. Qui s'opposerait à ce que les pauvres aient de meilleures conditions matérielles de vie? Personne. Qui s'opposerait à ce que les gens puissent être plus en forme? Personne. Et c'est tout à fait normal et souhaitable. Mais les gens se sentent mal de réagir car à chaque fois qu'une nouvelle loi contraignante voit le jour, les agents du gouvernement la présentent comme une bonne chose pour la société, même pour les individus qui sont affectés par ces mesures.  
  
          Tous ceux qui sont contre la surtaxe sur les produits de loisir se font traiter d'individualistes qui ne veulent pas aider les gens qui ont des problèmes de santé reliés à un manque d'activité physique. Sauf que, personne ne se pose la question à savoir si ces mesures aident vraiment les gens. Peut-être que les ressources qui sont « investies » dans les programmes d'aide aux obèses, par exemple, seraient mieux utilisées par les gens eux-mêmes et non pas à travers un programme d'intervention complexe qui ne redistribue qu'une partie de l'argent? La majorité des ressources financières va au fonctionnement même de l'appareil bureaucratique.  
  
          Suite à mes récentes aventures, je vois bien que la majorité de mes concitoyens ne font plus la distinction entre vivre dans une société où les lois sont bien structurées et favorisent l'épanouissement individuel et une autre où on obéit aux lois comme à la pointe d'un fusil. 
  
4 juillet 2020 
  
          Puisque j'ai un boulot au resto du coin depuis quelques semaines, j'ai maintenant l'argent nécessaire pour faire rouler ma vieille voiture, une Cougar XR 7 V8 qui date de 1992 – c'est l'ancienne voiture de mon père. Bien que cette voiture soit très âgée, je l'aime beaucoup et elle fonctionne très bien. Les gros moteurs de l'époque sont infatigables. Des voitures de ce genre ne se font plus et pour plusieurs raisons, notamment parce que les taxes sur l'essence comptent maintenant pour 60% du coût total de chaque litre vendu. Les gros moteurs sont donc très rares. 
  
          Je vais partir de Montréal dans deux semaines pour me rendre à Gaspé. J'ai hâte de rouler à bord de ma Cougar, elle me rappelle plein de souvenirs de l'époque où mon père la conduisait le dimanche pour aller au restaurant. Cette petite escapade sera le moment idéal pour oublier les tracas des derniers mois. 
  
30 juillet 2020 
  
          Il est 7h00 du matin et je quitte Montréal. Premier arrêt: la station d'essence. Au moment de payer, une dame entre à l'intérieur de la station et commence à m'injurier: « Comment osez-vous faire rouler votre voiture pendant que vous passez à la caisse? En plein été comme ça, vous savez combien de gens meurent à cause du smog urbain? Vous méritez d'aller en prison! C'est anti-démocratique ce que vous faites! » 
  
          Je n'aime pas me faire engueuler avant d'avoir terminé mon premier café. Je décide tout de même, pour éviter les emmerdements, de laisser faire et de quitter la station au plus vite. J'ai besoin de vacances et je ne laisserai pas cette petite veille me les gâcher. Mais voilà que sur l'autoroute 40, tout près de Repentigny, une voiture de police m'arrête et un agent s'avance: 
    Policier: Mon cher monsieur, veuillez descendre de votre véhicule. 
      
    Moi: Pour quelle raison, est-ce que je roulais trop vite? 
      
    Policier: Non, vous ne rouliez pas trop vite.  
      
    Moi: Alors, pourquoi m'avez vous intercepté? Je crois qu'il y a des lois contre les arrestations arbitraires, non?  
      
    Policier: S'il vous plaît, veuillez sortir de la voiture. 
          Je décide de sortir de la voiture. Je n'ai pas envie d'avoir de problèmes ce matin. Le policier examine longuement ma belle Cougar et prends plusieurs notes. Je crois bien qu'il n'a jamais vu de voiture comme la mienne.  
    Policier: Nous avons eu une plainte à votre sujet. Vous savez qu'il y a un règlement pour éliminer le smog urbain? On nous a informé que vous avez laissé rouler votre moteur pendant que vous étiez au comptoir caisse.  
      
    Moi: C'est une blague! 
      
    Policier: Non. D'ailleurs voici votre comparution pour demain au Bureau de l'inspection des véhicules âgés du Québec. Les lois sont strictes à ce sujet: pas de pollution inutile. De plus, mon cher monsieur, vous savez que les voitures deux portes ne peuvent plus être vendues au Québec. Vous allez devoir vous rendre au Centre de la sécurité routière du Québec pour obtenir un certificat attestant que les passagers qui s'assoient derrière peuvent sortir facilement du véhicule en cas d'urgence. Vous y allez et prenez rendez-vous directement avec eux.  
      
    Moi: Cette voiture est un héritage familial. Mon père l'a achetée en 1992. Que va-t-il se passer si les gens au Bureau de la sécurité m'avisent que les places arrières ne sont pas réglementaires? Je n'ai pas l'intention de me départir de ce véhicule vous savez. 
      
    Policier: Mon cher monsieur, je n'y suis pour rien. Je ne fais qu'appliquer les lois. Voici votre convocation. Maintenant, voici un constat temporaire qui vous permet de rentrer à la maison avec votre voiture. Merci et bonne fin de journée.
          Les vélos neufs sont trop chers et les vieilles bagnoles sont illégales. Je crois bien que je vais devoir rester encore quelques semaines à la maison. Sauf que pour le moment, je n'ai pas envie de rentrer. Je décide de me louer un sac de golf et d'aller jouer un petit par 3 sur le terrain du Magnifique à Repentigny. La température est idéale pour un avant-midi de golf. 
  
          Il est maintenant 12h30 et j'ai terminé ma partie, je décide de rentrer pour prendre les rendez-vous nécessaires pour faire évaluer mon auto. Repentigny n'est pas très loin de mon appartement de Montréal, je ne mets qu'une vingtaine de minutes pour rentrer. Mais, un si bel avant-midi ne pouvait se terminer sans la cerise sur le gâteau: deux officiers sont chez moi à m'attendre calmement. Mon délit: délais irraisonnable de retour.  
  
          À suivre… 
  
 
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