Montréal,
le 7 mars 1998 |
Numéro
1 - Lancement officiel
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Un
regard libertarien
sur
l'actualité québécoise et nord-américaine
numéros précédents
Publié tous les samedis
ql@quebecoislibre.org
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SOMMET AGRICOLE
LE CORPORATISME,
TOUJOURS
L'IDÉOLOGIE OFFICIELLE
AU QUÉBEC
Le corporatisme est une philosophie qui définit la société
comme un tout organique composé d'abord, non pas d'individus, mais
de membres collectifs. Ces « corporations » que
sont les associations, syndicats, institutions et groupes d'intérêt
divers, doivent, dans l'optique corporatiste, coordonner leurs actions
pour que règne l'harmonie à l'intérieur du corps social
national. Les dirigeants des groupes corporatifs négocient entre
eux pour prendre les décisions qui affecteront l'ensemble de la
société, chacun défendant théoriquement l'intérêt
de ses membres. Les individus n'ont alors qu'à se conformer pour
ne pas nuire à l'intérêt national.
Cette philosophie a connu une grande vogue dans les années 1930,
alors que Mussolini, Franco et Salazar la présentaient comme le
remède pour sortir de la crise et ressouder des sociétés
divisées. Le corporatisme étayait la vision économique
et sociale du fascisme. C'était aussi l'idéologie préférée
de l'Église catholique à l'époque. Au Québec,
le corporatisme était défendu par Le Devoir, le chanoine
Groulx, et d'autres illuminés qui constituaient l'élite de
l'époque.
Le corporatisme toujours vivant
Le corporatisme n'est plus une idéologie vivante, me direz-vous,
en cette ère où triomphe le « néolibéralisme
». Détrompez-vous! C'est, soixante ans plus tard, plus
que jamais l'idéologie officielle du Québec. La seule différence
fondamentale est que le membre ecclésiastique n'est plus aussi éminent
au sein du corps social harmonisé. L'Église pouvait prétendre
constituer la tête du temps où les curés contrôlaient
nos paroisses d'une main de fer. On la retrouve aujourd'hui quelque part
dans les parties inférieures, parmi d'autres chialeux sans grande
influence.
Les « sommets » divers que le Québec connaît
depuis des décennies (le grand Sommet socio-économique d'il
y a deux ans étant le dernier en date) constituent la quintessence
de la gestion corporatiste. L'État s'entoure des « partenaires
sociaux » qu'il considère important, on fait
des déclarations grandiloquentes sur l'intérêt collectif
pendant quelques jours, et on négocie ferme dans les couloirs sur
la portion du gâteau – payé par les taxes du citoyen – que
chacun obtiendra. Lorsque les enjeux deviennent vraiment importants, on
fait même des sessions à huis clos et on envoie le citoyen-téléspectateur
se coucher.
La Table des décideurs
La Conférence sur l'agriculture et l'agroalimentaire québécois
qui était réunie cette semaine à St-Hyacinthe donne
un bel exemple de cette attribution de positions de pouvoir selon un modèle
corporatiste. Voici quelques extraits du communiqué
de presse qui annonçait la composition de la « Table
des décideurs » présidée par Lucien
Bouchard (ceci n'est pas une blague):
« La Table des décideurs est représentative,
dans des proportions équivalentes, des quatre grands blocs suivants:
l'agriculture, l'agroalimentaire comprenant la transformation et la distribution,
les acteurs socio-économiques, de même que les participants
gouvernementaux et parlementaires. Au total, quelque 50 sièges sont
répartis entre les participants et les participantes en fonction
des regroupements suivants: |
LE BLOC
DE L'AGRICULTURE: 14 SIÈGES
Les producteurs et les productrices agricoles disposent de 10 sièges.
Il seront représentés par des membres de l'Union des producteurs
agricoles (UPA) et par des représentants des fédérations
spécialisées et des fédérations régionales.
Le milieu des intrants à la production dispose de 4 sièges.
Deux sièges sont attribués à l'Association québécoise
des industries de nutrition animale et céréalière
(AQINAC). Les deux autres sièges sont attribués à
la Coopérative fédérée, division meuneries
et approvisionnement à la ferme.
LE BLOC DE L'AGROALIMENTAIRE:
15 SIÈGES
Le secteur de la transformation dispose de 8 sièges. Un siège
est attribué à l'Association des manufacturiers de produits
alimentaires du Québec (AMPAQ). Un siège est attribué
à chacune des entreprises suivantes membres de l'AMPAQ: A. Lassonde
inc. et Aliments Carrière inc. Le Conseil de l'industrie laitière
du Québec dispose d'un siège. Agropur, coopérative
alimentaire dispose d'un siège. Le Conseil des viandes du Canada,
section Québec et l'Association des abattoirs avicoles du Québec
disposeront d'un siège en rotation. Quant à la Coopérative
fédérée, secteur de la transformation, elle dispose
de 2 sièges, dont un est attribué à Lactel.
Etc. etc.
L'harmonie du membre agricole
On peut imaginer toutes les tractations de coulisse, les tordages de bras,
les renvois d'ascenseur, les menaces et les promesses, qui ont eu cours
simplement pour négocier l'obtention d'un siège en rotation.
Les groupes qui ont par le passé fait preuve de trop d'indépendance
d'esprit et ont brisé l'harmonie collective risquent toutefois de
se faire exclure, comme c'est arrivé à l'Ordre des agronomes
du Québec. En entrevue, sa présidente Josée de Grandmont
confirme que l'OAQ a peut-être trop souvent défendu des points
de vue qui allaient à l'encontre de ceux du Ministère de
l'Agriculture et de l'Union des producteurs agricoles. Elle dénonce
le fait qu'on ait donné un siège « à
un monseigneur de Rimouski » (l'archevêque de
Rimouski qui représente, selon le communiqué cité
plus haut, « le milieu régional, social et communautaire
», whatever that means) mais pas à des professionnels
du secteur agricole. C'est, semble-t-il, ce qui arrive lorsqu'on commet
un tel crime impardonnable dans le racket de l'agriculture québécoise,
où rien ne se fait sans l'approbation des bureaucrates du MAPAQ
et de l'UPA.
On peut toutefois parier qu'au bout de l'exercice, presque chaque petit
nerf, os, muscle et tissu du membre agricole aura finalement retrouvé
sa place pour faire sa part dans l'avancement corporatif. Chacun aura obtenu
sa subvention, sa réglementation particulière, son quota,
sa fixation de prix, sa mesure protectionniste, dans un marchandage qui
se fait toujours sur le dos du consommateur et du payeur de taxes. Et notre
Tête dirigeante à Québec pourra dorénavant se
servir de cette harmonie apparente dans le membre agricole pour convaincre
d'autres membres plus réfractaires de rentrer dans le rang.
M.M.
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