Montréal, le 28 mars 1998
Numéro 4
 
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DIRECTEUR 
Martin Masse 

ÉDITEUR 
Gilles Guénette 
 
COLLABORATRICE 
Claire Joly 
 
CHRONIQUEURS 
Pierre Desrochers 
Pierre Lemieux 
 
 
POUR NOUS REJOINDRE 
 
 
 
 
 
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ÉDITORIAL
 
UN SAUVEUR 
QUI NE RÉGLERA RIEN
 
par Martin Masse
  
           Ça y est, le Sauveur est finalement apparu jeudi soir à Sherbrooke. Les Québécois sont chanceux, deux Sauveurs en deux ans. C'est certainement le sommet de la béatitude pour une population où l'esprit d'indépendance personnelle et de responsabilité sont des valeurs du passé, où on ne compte plus sur soi-même pour réaliser ses désirs mais sur les autres et sur un Sauveur collectif qui aura enfin la bonne formule magique. 
 
          Au-delà de ces considérations philosophiques, qui ne se régleront pas du jour au lendemain, il faut se demander si l'arrivée de Jean Charest aura vraiment un quelconque impact positif sur la situation politique au Québec. On ne peut évidemment que souhaiter le départ le plus rapide possible des péquistes, la fin de la menace séparatiste, un répit dans l'accumulation des pires folies nationalistes et interventionnistes que nous a imposées ce gouvernement. Mais un gouvernement Charest changera-t-il quoi que ce soit à la dérive que connaît cette province depuis maintenant quelques décennies? 
 
          Au Canada anglais, on se fait beaucoup d'illusions sur la capacité du Sauveur à « régler une fois pour toutes » la question du séparatisme, comme on a pu l'entendre ou le lire dans les médias du reste du pays (voir à ce sujet le texte d'opinion de Scott Reid, p. 4). Ici, bien des gens qui en ont ras le bol de la situation actuelle vont se laisser embarquer par le message de « solidarité et d'espoir » que Jean Charest a lancé le jour de son annonce. 
 
Le PLQ aussi responsable que le PQ 
 
          L'arrivée du Second Sauveur ne changera pourtant rien à une donnée de base: depuis plus de trente ans, le Parti libéral du Québec est aussi responsable de la montée du sentiment séparatiste et de la croissance de l'État que l'est le Parti québécois. On sait que le PLQ n'a rien de libéral, dans le sens classique du terme. C'est un parti affairiste, dont le seul but est de donner à ceux qui crient le plus fort ce qu'ils demandent et de procurer des jobs aux petits amis du régime. Un parti qui n'a pas d'idéologie bien définie et qui ne vise, comme on l'a vu ces derniers jours, qu'à gagner le pouvoir à n'importe quel prix.   
 
          Puisque ceux qui crient le plus fort au Québec sont bien sûr les nationalistes et les divers groupes d'intérêts, les gouvernements libéraux successifs leur ont donné ce qu'ils demandaient: des lois linguistiques répressives; des réglementations, programmes, subventions, et autres babioles étatiques; et aussi, des menaces, ultimatums, couteaux sous la gorge pour que nous obtenions notre « butin » d'Ottawa, pour que les « revendications traditionnelles » du Québec soient entendues, pour que notre « spécificité » soit reconnue. Les libéraux ont beau se dire fédéralistes, c'est sous leur gouverne que les pires fiascos sont survenus dans les relations fédérales-provinciales. C'est à la suite de Meech et des stratégies maladroites de Robert Bourassa que le sentiment nationaliste a atteint des sommets au Québec. 
 
          Les libéraux, comme les péquistes, ne veulent en fait qu'une chose: un gros État. Ils préfèrent bien sûr un gros État à l'intérieur du Canada, mais cela n'est qu'un détail. L'important est qu'ils aient leur gros État, avec plus de pouvoir, plus de « leviers fiscaux », plus de capacité d'intervention, plus de façon d'aider les petits amis. Et aussi longtemps que nous n'aurons à Québec que des partis qui veulent plus d'État, il n'y aura aucun répit ni dans la disparition progressive des libertés individuelles, ni dans les chicanes fédérales–provinciales. 
 
Charest entre dans le moule libéral 
 
          Jean Charest entre parfaitement dans ce moule nationaliste et étatiste. Son discours ne diffère de celui de Daniel Johnson et de Robert Bourassa que par l'intensité de sa ferveur. Sa position constitutionnelle est exactement la même que celle qu'a toujours défendue le PLQ. Comme « red Tory », il n'a jamais été à l'aise avec les positions les plus conservatrices du parti qu'il vient de quitter, mais il n'aura aucune difficulté à défendre la tradition libérale de tout vouloir régler avec un bon programme. Non seulement se joint-il à un parti qui n'a aucune propension à réduire le rôle de l'État provincial, mais le désir de faire une percée chez les électeurs « modérés » le forcera à promettre la lune à tout un chacun et l'amènera très certainement à reprendre le quémandage d'argent, de pouvoirs et de statut spécial à Ottawa, question de bien montrer son attachement à la tribu après un si long séjour chez les voisins. 
 
          Bref, dès l'élection d'un gouvernement Charest, des rapports de force moins brutaux mais aussi néfastes seront mis en place. On annoncera des négociations historiques pour permettre au Québec de réintégrer « dans l'honneur et l'enthousiasme » la famille canadienne. Dans les coulisses, on se rendra bien vite compte que les positions sont toutefois aussi campées qu'elles l'étaient en 1973, en 1987 ou en 1992. Les menaces vont alors se remettre à pleuvoir de la part de libéraux québécois impatients. Au Canada anglais, certains réagiront contre les demandes inacceptables du Québec. Ottawa va concocter une entente compliquée à soumettre à l'électorat du pays. Les séparatistes vont crier à l'humiliation et leur option va remonter dans les sondages. Etc. etc. etc. La boucle sera probablement bouclée par l'arrivée d'un autre Sauveur. 
 
          Les fédéralistes du Québec et du reste du pays qui s'imaginent que l'élection de leur héros sonnera la fin des combats n'ont rien compris au mal fondamental qui ronge cette société. La question du séparatisme ne se règlera pas parce qu'un Second Sauveur vient prendre la place d'un Premier Sauveur. Il n'y a qu'une façon de mettre fin à ces affrontements, c'est d'avoir à Québec un gouvernement voué à la défense de la liberté qui cherchera non pas à augmenter les pouvoirs de la province, mais à les diminuer; un gouvernement qui se réconciliera avec le Canada non pas parce que nous avons besoin d'un État central fort, ou parce que notre « distinction » est reconnue, mais pour mieux s'allier avec d'autres Canadiens, notamment dans l'Ouest, qui souhaitent eux aussi un État fédéral minimal. 
 
          Bref, un gouvernement qui visera à réduire l'étatisme à Québec et à Ottawa, au lieu de chercher seulement à augmenter l'étatisme à Québec au détriment d'Ottawa, comme le font depuis des lustres libéraux comme péquistes.   
 
 
 
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
 
  
Le Québec libre des 
nationalo-étatistes 
 
          « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »  

Alexis de Tocqueville 
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840)

 
 
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