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J'ai lu avec intérêt l'article de Brigitte Pellerin intitulé
SUR LES VERTUS DE LA MÉTHODE FORTE du
QL, édition du 4 juillet.
Daniel Lavigne
Lyon, France
dlavigne@lai1.insa-lyon.fr
Bonjour M. Lemieux, Un bref commentaire sur votre article intitulé LES FASCISTES DE LA SANTÉ dans l'édition du 4 juillet 1998.
Je trouve votre approche intéressante, mais j'aurais aimé
vous entendre sur les libertés des non-fumeurs et sur les Est-ce que, d'abord, la liberté de ne pas fumer existe? Le cas échéant, peut-on imaginer des cas où cette liberté individuelle serait brimée par les fumeurs? Et si oui, un certain encadrement législatif et réglementaire protégeant cette liberté ne serait-il pas souhaitable? (Au même titre que l'on protège la propriété privée... Par exemple, est-ce que l'air que je respire m'appartient?) Et s'il est vrai que la fumée de cigarette produit des effets secondaires non désirés par les non-fumeurs (allant de la mauvaise odeur des vêtements aux problèmes de santé), ne s'agit-il pas là d'un bel exemple de coût public non assumé par le producteur privé de fumée, a.k.a. externalité négative, une défaillance de l'économie de marché qui commande l'intervention de l'État?
C'est que j'ai l'impression que l'on peut bâtir un argumentaire libertarien
autant pour défendre la cause des non-fumeurs que celle des fumeurs,
du moment que l'on se soucie également des libertés individuelles
de ceux et celles qui font le choix de ne pas consommer ce produit.
Patrick Dery
Hull, Québec
sunofasky@hotmail.com
RÉPONSE DE PIERRE LEMIEUX: M. Dery soulève une question intéressante et importante qui débordait l’objectif limité de mon article. On en trouvera un examen plus satisfaisant dans mon petit livre Tabac et liberté. L’État comme problème de santé publique (Montréal, Varia, 1997). Il est bien entendu que la liberté individuelle inclut autant le droit de ne pas fumer que le droit de fumer. Le fait pour certains de fumer (ou de porter une eau de toilette) impose-t-elle des externalités à d’autres? C’est justement la fonction des droits de propriété de régler ces problèmes d’externalités. Prenons l’exemple des restaurants et imaginons que 99% des consommateurs souhaitent fréquenter des restaurants où ils pourront fumer et que 1% préféreraient des restaurants où personne ne fume. On s’attendrait à ce que la plupart des propriétaires de restaurants, afin de maximiser leurs profits, permettent à leurs clients de fumer. Mais comme il y a 1% des consommateurs qui n’obtiennent pas le service qu’ils souhaitent, on s’attendrait aussi à ce que des entrepreneurs cherchent à les satisfaire en ouvrant des restaurants non-fumeurs, à condition que les anti-fumeurs soient prêts à payer eux-mêmes pour le coût supplémentaire de leurs préférences minoritaires. C’est pour la même raison qu’il existe des restaurants végétariens, des bars pour homosexuels, des Ferrari et des cravates à fleurs jaunes. La réalité est qu’il y a 30% de fumeurs (statistiquement plus pauvres) et 70% de non-fumeurs incluant, parmi ces derniers, une certaine proportion qui souhaitent fréquenter des endroits sans fumée de tabac. Mais le principe reste le même. Il est dans l’intérêt des propriétaires privés de lieux dits publics de satisfaire les demandes, mêmes minoritaires, des consommateurs qui sont disposés à payer ce que coûte la production des services qu’ils préfèrent. Ce que font les lois antitabac, c’est d’interdire par la force à des entrepreneurs d’utiliser leur propriété pour satisfaire ces préférences minoritaires. La loi interdit d’ouvrir un restaurant pour fumeurs ou d’organiser des vols fumeurs seulement: l’État a nationalisé l’air dans les endroits privés. Entre l’interdiction et l’obligation, il existe une autre voie: la liberté des arrangements privés. Cet argument serait toujours valide même s’il était vrai que la fumée secondaire cause des maladies chez les non-fumeurs – ce que les historiens de l’avenir retiendront sans doute comme la supercherie du siècle. La propriété privée permettrait une ségrégation efficace des fumeurs et des anti-fumeurs, au lieu d’un apartheid public dirigé uniquement contre les fumeurs. Et même si tout ce qui précède n’était pas vrai, il faudrait considérer les coûts et les externalités de l’intervention étatique. Nous, hommes du 20e siècle, sommes pourtant bien placés pour comprendre que les défaillances des processus politiques et bureaucratiques sont souvent pire que les défaillances du marché. En d’autres termes, il y a un argumentaire libertarien pour défendre les droits des non-fumeurs si on entend par là le droit pour quiconque de discriminer contre les fumeurs dans des relations sociales libres et volontaires. Mais, presque par définition, il n’y a pas d’argument libertarien pour interdire par la force aux propriétaires d’espaces privés d’accueillir des fumeurs chez eux. P. L.
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