Montréal, le 21 novembre 1998
Numéro 25
 
(page 2) 
 
 
page précédente 
            Vos réactions           
 
 
 
 
 
 
 
 
     Le QUÉBÉCOIS LIBRE est publié sur la Toile depuis le 21 février 1998.   
   
     Il  défend la liberté individuelle, l'économie de marché et la coopération volontaire comme fondement des relations sociales.   
      
     Il  s'oppose à l'interventionnisme étatique et aux idéologies collectivistes, de gauche comme de droite, qui visent à enrégimenter les individus.      
  
     Les articles publiés partagent cette philosophie générale mais les opinions spécifiques qui y sont exprimées n'engagent que leurs auteurs.     
 
 
 
ÉDITORIAL
 
COMMENCER À CHANGER LES CHOSES AVEC L'ADQ
  
par Martin Masse
 
 
          Les libertariens sont toujours un peu coincés lorsqu'arrive le temps de voter. Comme tous les partisans de courants idéologiques minoritaires, ils ont le choix entre s'abstenir pour éviter de donner plus de légitimité à un système qu'ils rejettent; voter pour un parti marginal qui défend leurs idées mais dépasse rarement la marge d'erreur des sondages en termes d'intention de vote; ou voter stratégiquement pour un parti mieux établi et qui défend certaines de leurs idées mais de façon incohérente.  
  
          Je n'ai jamais cru que l'abstention faisait avancer la cause de quelque manière que ce soit: aux États-Unis, le fait que plus de la moitié des électeurs ne votent plus aux élections nationales n'a strictement aucun impact sur le processus politique. Je serais bien prêt à « gaspiller » mon vote sur un petit parti libertarien s'il y en avait un au Québec, mais ce n'est pas le cas. Il reste donc à voter stratégiquement pour faire avancer les choses, si peu que ce soit, dans une direction qui mène vers plus de liberté et moins d'étatisme. 
  
Charest s'est dégonflé 
 
          La partie de ping-pong idéologique que jouent le Parti libéral et l'Action démocratique depuis quelques mois semble finalement avoir connu son dénouement. Comme il fallait s'y attendre, le chef libéral Jean Charest n'aura tenu un discours... libéral que pendant les trois ou quatre premiers jours de la campagne. On l'a entendu alors dénoncer l'excès d'interventionnisme dont souffre le Québec depuis la Révolution tranquille, appeler à une réduction du rôle de l'État, attaquer la subventionnite aiguë du gouvernement péquiste et proposer privatisations et déréglementations. Un bien beau discours, qui annonçait un changement de dynamique majeur et une campagne passionnante. 
 
          Mais devant la levée de boucliers immédiate qui a suivi dans les médias et dans son propre parti, M. Charest s'est dégonflé. On est allé chercher les vieux stratèges de l'ère Bourassa pour reprendre les choses en main et revenir à la bonne vieille recette libérale, c'est-à-dire promettre autant de milliards que le Parti québécois et se distinguer uniquement en promettant de ne pas tenir de référendum. 
  
          Jean Charest a donc raté la seule chance qu'il avait de se démarquer et d'offrir quelque chose de nouveau. Les programmes des deux grands partis sur les questions autres que constitutionnelle sont pratiquement identiques, à quelques milliards près. M. Charest a bouclé la boucle la semaine dernière en promettant la chose la plus ridicule de la campagne, et certainement la plus conforme au « modèle québécois » tant vanté par le premier ministre: lors d'une rencontre avec des chefs syndicaux, il a promis de tenir un « sommet » avec les « acteurs socio-économiques » habituels pour discuter de ce qu'on fera des surplus budgétaires qui apparaîtront au cours des prochaines années. Il ne pourrait y avoir de preuve plus marquante de sa reddition totale devant les forces du corporatisme qui dominent la vie politique et intellectuelle québécoise depuis des décennies (voir LE CORPORATISME, TOUJOURS  L'IDÉOLOGIE OFFICIELLE AU QUÉBEC, QL no 1). 
  
          En cette fin de campagne, le PLQ est donc redevenu ce qu'il a toujours été: un parti de guidounes sans l'ombre d'un principe prêtes à offrir n'importe quoi pour se trouver des clients et reprendre le pouvoir. Voter pour le PLQ, c'est appuyer un parti qui nuit aux idées libérales classiques au lieu de les faire progresser. Au diable le prochain référendum, qui viendra de toute façon dans 6 ans si ce n'est pas dans deux ans. Les libéraux s'alignent vers la défaite et méritent le sort qui les attend. Jean Charest aura quatre ans pour méditer sur sa performance déplorable et son désastreux changement de carrière sur les banquettes de l'Opposition. 
  
Un discours courageux mais incohérent 
  
          L'Action démocratique se présentait depuis quelques années comme un parti nouveau, prêt à défendre, de façon incohérente il est vrai mais tout de même avec constance, les principes de libre marché, d'un État réduit, de moins d'interventionnisme et de plus de liberté. L'arrivée de l'ex-chef conservateur à la tête du PLQ a semblé refroidir l'ardeur libertarienne de Mario Dumont, qui a changé de discours ces derniers mois pour se présenter comme le sauveur d'une jeunesse abandonnée et sous le joug des baby boomers. La plate-forme électorale adoptée lors d'un congrès il y a quelques semaines ne présentait strictement plus rien qui soit relié de près ou de loin à des principes libertariens (voir L'INUTILITÉ DE L'ADQ, QL no 21). Mais le jeune leader de l'ADQ a surpris depuis le début de la campagne en remettant le cap, encore une fois de façon incohérente mais avec constance, sur des principes qui se rapprochent des nôtres. 
  
          Mario Dumont a refusé de se lancer dans la valse des promesses et a dénoncé l'irresponsabilité des deux autres partis qui ont cédé aux demandes de tous les groupes de pression quémandeurs. Il a proposé de consacrer tous les surplus budgétaires au remboursement de la dette, et de réduire les taxes des contribuables avec l'argent économisé en faisant de véritables coupures dans l'appareil d'État et non en misant sur une hypothétique croissance économique à venir. À ce chapitre, il a proposé l'abolition de dizaines d'organismes et de ministères qui ne font que brasser de la paperasse sans rien offrir de concret comme services aux citoyens. Il a maintenu son engagement de réduire la taille de la fonction publique du quart, et n'hésite pas à rappeler que la réforme de l'État ne peut être menée à bien sans faire de perdants chez ceux qui profitent de ses largesses. Un discours courageux, même si le chef adéquiste le justifie plus souvent en recourant aux intérêts des jeunes qu'à partir d'une logique de libre marché. 
  
          C'est d'ailleurs sur ce terrain que ses positions restent les plus faibles. Mario Dumont semble parfois ne rien comprendre des processus économiques et partager la pensée magique des interventionnistes, qui s'imaginent que ce sont les actions de l'État qui amènent la croissance et les emplois. Il propose par exemple de privatiser le bidule de propagande nationalo-socialiste qu'est Télé-Québec, mais veut consacrer les 55 millions que l'État y engloutit pour « brancher le Québec » et donner un accès internet à chaque citoyen. La radio et la télévision sont pourtant devenus des objets de consommation courants sans que l'État en fournisse gratuitement à chaque foyer lorsqu'ils sont apparus. 
  
          Pire encore, il souhaite subventionner les entreprises de multimédia encore plus que ne le fait le gouvernement actuel et suggère que cette révolution informatique appuyée par l'État aura des conséquences miraculeuse: « Dans la capitale, des tas d'entreprises vont s'associer au gouvernement et aux grandes institutions et vont développer de l'expertise dans cette nouvelle économie du savoir. La région de Québec deviendra assurément l'un des plus grands bassins d'expertise dans l'économie nouvelle de tout l'est de l'Amérique. » Comme avec une baguette magique! L'incertitude inhérente à toute avancée économique, le fait que personne ne puisse vraiment expliquer pourquoi des secteurs se développent à un endroit et pas ailleurs, l'illusion de pouvoir influencer dans un sens précis les décisions de milliers d'investisseurs et de gestionnaires par des commandements bureaucratiques, tout cela semble avoir échappé à Mario Dumont, du moins lorsqu'il a fait cette déclaration. Si on consent à subventionner les technologies de l'information, quelle logique nous dira qu'il faut exclure l'aéronautique, la biotechnologie, ou même la fabrication de chaussettes avec de nouvelles méthodes high-tech? 
  
          On pourrait aussi citer son attaque ridicule contre Jean Charest lors du débat des chefs (voir Mot pour mot, p. 8) sur la proposition libérale de réduire la taxe sur le capital, « une mesure qui va aider les multinationales », selon lui, et non les PME et les travailleurs autonomes. Un commentaire digne du plus obtu marxiste-léniniste! M. Dumont devrait savoir que toute taxe ne profite qu'aux parasites qui vivent de l'extorsion étatique, alors que toute baisse de taxe sur une activité économique bénéficie en bout de ligne à tout le monde. Et c'est sans compter tous les engagements ridicules qui font toujours partie de la plate-forme électorale de l'ADQ, comme celui de financer des programmes qui faciliteront des contacts plus étroits entre grands-parents et petits-enfants. 
  
Une démarche qui va dans le bon sens 
  
          Il reste beaucoup de chemin à faire, de toute évidence. Mais on sait qu'il en reste encore plus de toute façon pour propager et faire comprendre les idées libertariennes dans la société en général. Qu'un parti qui défend des positions relativement radicales (dans le contexte de la politique québécoise) comme celles mentionnées plus haut ait l'espoir d'obtenir plus de 10% des voix et de faire élire au moins un député est déjà encourageant. Mario Dumont a fait bonne figure lors du débat des chefs en tenant des propos beaucoup plus fermes dans le sens d'une réduction de l'État que ses deux adversaires, et beaucoup de gens qui n'ont jamais entendu ce discours se rendent compte qu'ils sont d'accord. Un bon résultat pour l'ADQ le 30 novembre sera interprété comme le signe que de plus en plus de Québécois en ont ras le bol de la politique interventionniste actuelle, surtout si les défections du PLQ vers l'ADQ sont significatives. 
  
          On peut donc, sans se faire trop d'illusion sur ce qui arrivera par la suite – les virages sont fréquents en politique québécoise – appuyer une démarche qui va dans le bon sens. Mario Dumont concluait sa dernière allocution lors du débat en appelant les électeurs à « commencer à changer les choses » en l'appuyant. Les choses pourront en effet commencer à changer si on donne la chance au coureur – et si celui-ci s'efforce de garder le cap vers le bon objectif avec un peu plus de cohérence et de rigueur intellectuelle dans les années à venir. 
  
 
 
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
 
  
Le Québec libre des 
nationalo-étatistes 
 
          « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »  

Alexis de Tocqueville 
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840)

 
 
 
sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO
page suivante